On peut être étonné de constater que beaucoup de commentateurs politiques continuent d´inscrire leurs analyses dans l´optique de la confrontation éradicateurs-réconciliateurs, feignant de croire que tout est absolument comme avant, comme s´ils avaient un bandeau sur les yeux qui les empêche de voir que l´Algérie a changé. Or , on sait que la confrontation en question a été secrétée par des conditions politiques, sociales et historiques qui sont aujourd´hui dépassées. La déliquescence de l´Etat, à laquelle on a assisté au cours des années 90, a été provoquée autant par les luttes de clans et d´appareils que par les séquelles de la pensée unique (et inique) et du dirigisme économique. Elle a créé le bouillon de culture d´où ont émergé les mutants et les zombies qui ont mis le pays à feu et à sang. Dieu est pourtant témoin que la population algérienne, dans son immense majorité, est restée saine et qu´elle a vécu cette tragédie comme une calamité qu´il fallait oublier, une fracture qu´il fallait vite fermer. Quant à l´islam, innocent des crimes que certains ont commis en son nom, il est resté bien heureusement un rempart contre la barbarie. L´Algérie est passée à une autre étape, et seuls ceux qui mènent des politiques à courte vue continuent de faire dans l´amalgame et de mettre dans le même panier l´islam et l´islamisme. On retrouve malheureusement les mêmes raccourcis au niveau mondial, où l´on entretient les mêmes flous, au risque de faire apparaître les musulmans pacifistes comme les pires ennemis de la paix dans le monde. C´est vrai qu´après avoir fait des dégâts incommensurables en Algérie, le terrorisme est passé à une autre phase. Désormais, pour lui, le conflit est planétaire. Pour revenir à l´Algérie, les amalgames dont on a parlé plus haut empêchent d´avoir des débats sereins sur les sujets d´actualité, sur les nécessaires réformes à apporter pour moderniser l´école, redonner à la femme la place qu´elle mérite en lui garantissant dans les faits et dans les lois les droits que lui accorde la Constitution. Pour ne parler que du code de la famille, il est clair que si on centre la polémique sur la question du tutorat, on occultera l´essentiel. Le tutorat, ou le wali, fait partie de nos traditions et si vous faites un sondage au sein de la société, rares seront les femmes qui le remettront en cause, tout simplement parce que c´est ce qui donne du charme à la cérémonie du mariage. En revanche dans le code de la famille de 1984, d´autres droits de la femme sont bafoués : la procédure de divorce, la garde des enfants, la question du logement, et qui ne tirent pas forcément leur justificatif dans la charia. Il y a tout un déblayage à faire autour de ces questions pour ne pas prêter le flanc aux raccourcis et aux amalgames qui font autant tort à l´islam, qu´à l´évolution de la société. La violence qu´a connue l´Algérie au cours de la décennie précédente a fait que l´islam politique a nettement reculé, puisqu´il est désavoué par la société et qu´il s´est de lui-même discrédité. Aujourd´hui, il semble que la meilleure manière de continuer à l´isoler, consiste non pas à mettre de l´huile sur le feu, mais à émettre des propositions qui sont celles du troisième millénaire, dont les défis sont pourtant évidents: comment sortir du sous-développement, lutter contre l´ignorance et la pollution, former des générations d´enfants qui ont la tête bien faite, et en se posant la seule question qui mérite d´être posée: pourquoi certains pays arabes, qui dorment sur des puits de pétrole et qui sont riches comme Crésus, maintiennent-ils leur peuple dans les carcans des sociétés moyenâgeuses? La réponse n´est pas religieuse, mais politique et économique. La religion n´est qu´un paravent.