Yasser Arafat est bien vivant, mais Israël s´empresse de l´enterrer. Comme si on pouvait tuer une idée, un symbole, un idéal? Pourtant, les dirigeants israéliens s´entêtent. Le Premier ministre, Ariel Sharon lui-même, a déclaré à la radio publique qu´il s´opposerait, tant qu´il serait au pouvoir, à des funérailles du dirigeant palestinien à Jérusalem. «Tant que je serai au pouvoir, et je n´ai pas l´intention de le quitter, il ne sera pas inhumé à Jérusalem», a-t-il clairement indiqué. Certes, il est écrit dans le ciel que Yasser Arafat mourra un jour, comme nous tous, et personne n´a lu dans le marc de café le nom de celui qui partira le premier. Comme le rappelle la radio publique israélienne, qui cite John Maynard Keynes: «A plus ou moins longue échéance, nous sommes tous appelés à mourir.» Il serait donc inutile de gloser la-dessus, mais la foi de Yasser Arafat en l´érection d´un Etat palestinien avec Jérusalem comme capitale est une foi inébranlable, et Israël doit se faire à cette idée. Par ailleurs, le président palestinien a exprimé à maintes reprises le souhait d´être enterré sur l´esplanade des Mosquées, à Jérusalem, un site où se dressent le dôme du Rocher et la mosquée El Aqsa, considérée comme le troisième lieu saint de l´islam. En 2001, le gouvernement israélien avait pourtant autorisé l´inhumation, dans le carré de l´esplanade, de Fayçal Husseïni, petit-fils d´Abdelkader Husseïni, figure légendaire du nationalisme palestinien, tué en 1948, dans la bataille de Jérusalem, au prétexte que Fayçal Husseïni est résident de Jérusalem, mais pas M.Arafat. En fait, Sharon a surtout peur que les funérailles ne donnent lieu à d´immenses manifestations des Palestiniens ou que la tombe du vieux leader ne devienne un lieu de pèlerinage, exacerbant les conflits israélo-palestiniens et la revendication nationaliste. Ce serait, pense Sharon, rallumer la mèche de l´intifada. Mort ou vivant, Yasser Arafat donne des sueurs froides et des cauchemars à Ariel Sharon. Un ministre israélien ayant déclaré, hier matin, que Yasser Arafat pourrait être enterré soit à Ramallah soit à Gaza, on pourrait en déduire que le corps de ce leader de 75 ans est aussi grand qu´un territoire, et que là où il se trouve, que ce soit à Paris, à Amman, au Caire ou à Ramallah, il fera passer des nuits blanches à Sharon. Ça aussi c´est écrit. Dans ce flot de spéculations, ce sont les services de renseignement israéliens qui se sont le plus distingués, puisqu´ils ont affirmé, sans ambages que Yasser Arafat n´avait le choix qu´entre deux hypothèses : mourir ou survivre. La palme sera décernée à Aharon Zeevi Farkash, le chef des renseignements, qui a été interrogé sur l´état de santé du leader palestinien et qui a eu cette réponse anthologique: «Les possibilités pour Arafat varient entre la mort et le rétablissement complet.» La vie, la mort, la guerre, la paix, il ne fait aucun doute qu´Ariel Sharon souffle le chaud et le froid, faisant la guerre en déclarant qu´il veut la paix, s´inventant des fantômes et des cadavres fictifs, érigeant des murs là où il eût fallu multiplier les passerelles et tisser des liens entre les deux peuples israélien et palestinien, oubliant que ce qu´il y a lieu d´enterrer, c´est bien la haine, la violence, la terreur et le terrorisme d´Etat, le déni de justice au droit du peuple palestinien à vivre libre dans un Etat indépendant. Même si Sharon réaffirme son souhait de négocier avec les successeurs d´Arafat, on voit bien qu´il s´est enfermé dans un monologue, dans un tête-à-tête avec lui-même qui mène toute une région à l´impasse et à l´explosion permanente. On ne construit pas sur les décombres et avec des bombes, pas plus qu´on ne négocie avec des fantômes imaginaires.