Au risque de choquer le puriste Fayçal, son ami Saïd annonce tout de go: - Le raï, c´est la continuation du chaâbi sous d´autres formes! - Tu dérailles! - Non, c´est vrai, je te jure! - Ma parole, tu as perdu la boule! - Ecoute, prends ton mandole, et essaie de jouer à la manière chaâbi des morceaux de raï. - Non, laisse-moi, tu dérailles te dis-je. Sur l´insistance de Saïd, Fayçal accepte de gratter sur son mandole les refrains de quelques chansons de raï, en y mettant le tempo chaâbi - Qu´est-ce que tu en penses? - Bof! - Je te le dis et le répète: le raï c´est du chaâbi modernisé! - Bof! - Je vais te dire moi, ce qui manque au chaâbi. C´est le mouvement, le rythme. Le chaâbi n´est pas visuel. Il ne se regarde pas à la télé. L´interprète est assis, scotché à son siège, un instrument à cordes sur ses genoux, tandis que le raï, c´est avant tout du spectacle. Ça remplit les salles. Ça danse, ça swingue, ça déménage. - Bof te dis-je. Le chaâbi, ça s´écoute, ça se savoure, ça s´apprécie, tu ne vas pas comparer les paroles pour midinettes du raï avec les qacidates des maîtres du melhoun, Lakhdar Benkhlouf, Mohamed Benm´saib, Abdellah Lakhdar Benkriou, et le grand Kaddour el Alamine du Maroc, l´auteur de la qacida «Ouach del aar alikoum ya redjal Meknes». (Honte à vous, gens de Meknès) - D´abord, on est en train de parler de la musique et non pas de paroles, donc restons sur le registre de la musique. - Même sur le plan de la musique, rien ne te permet de mettre sur un pied d´égalité le raï et le chaâbi. Ce dernier est construit, il tire ses règles de l´andalou, il s´est même inspiré du jazz qu´affectionnait El Anka, et tout comme Lewis Armstrong ou Duke Ellington, le maître du chaâbi aimait improviser sur scène. Il n´interprétait jamais un morceau deux fois de la même manière. - Non, tu ne me convaincs pas. Tout comme le chaâbi, qui s´est développé dans les mahchachates (fumeries), parmi les manutentionnaires du port, les travailleurs de nuit, les ouvriers du bâtiment ou les ouvriers agricoles du temps de la colonisation, dans les lieux marginaux, avant de conquérir les fêtes familiales et la radio, le raï a aussi fait ses premiers pas dans les tripots, les boîtes de nuit, les cabarets, soit dans les bas-fonds de la société, et c´est ce côté marginal et subversif qui lui a permis d´aller à la conquête du monde entier, à partir d´El Bahia, Oran. Si le chaâbi, avec El Anka s´est frotté au jazz et au blues, le raï est allé à la rencontre du rock, du reggae, de toutes les nouvelles sonorités et de tous les rythmes qu´on peut entendre aussi bien en Algérie qu´ailleurs dans le monde. - Bof! - Je crois qu´aussi bien le chaâbi que le raï sont de la soul music! - Ma parole tu débloques ! Il m´arrive d´apprécier le raï sur scène, à la télé, mais pas sur ma chaîne stéréo ou dans ma voiture! Et toi tu mélanges tout . - Je te le dis : Le raï et le chaâbi ont les mêmes racines. C´est de la musique algérienne. Et c´est ce qui fait la diversité de ce patrimoine et qui le rend différent aussi bien de l´oriental que de l´occidental. Et en plus je vais te dire: le raï est international, alors que le chaâbi n´a jamais dépassé les frontières d´Alger. - Tu crois ça? Demande aux gens de Mostaganem, d´Oran, de Constantine, de Annaba et même de Casablanca. Le chaâbi, ça s´écoute partout. C´est le top de la musique. Le must. Le chaâbi c´est de la musique pour mélomanes, pour gens qui savent goûter un morceau, un istikhbar, une touchia. - A mon tour de dire bof!