Dans les systèmes politiques et les régimes à la censure pesante et impitoyable, les artistes, peintres et écrivains ont recours le plus souvent à représenter les cibles de leurs critiques par des animaux sauvages ou domestiques. Ce subterfuge, hélas, ne les met pas toujours hors d´atteinte des griffes des puissants (déjà, l´emploi du mot griffes est une référence à l´animalité de certains). C´est ainsi que certains fabulistes ont fait des carrières prodigieuses et leurs oeuvres ont traversé les âges sans perdre de leur fraîcheur et de leur pédagogie. Ainsi les caractères des divers animaux sont empruntés pour illustrer ceux des hommes. La majesté, la noblesse et la puissance du lion s´appliquent parfaitement à l´absolutisme royal d´un monarque vénéré et craint. La lourdeur d´un éléphant ou le mauvais caractère de l´ours collent si bien aux personnages lourdauds, maladroits ou grincheux. La ruse du renard est proverbiale (quand on n´a pas la force, il vaut mieux être rusé) et elle dépeint parfaitement les détours d´une pensée maligne et perverse, comme celle des hommes politiques. Les entourloupes, les magouilles sont le menu quotidien de ce modeste carnassier. La férocité, l´acharnement, le manque de pitié, le courage sont l´apanage du loup. La bêtise, elle, s´incarne dans le bouc et le corbeau alors que la malice est symbolisée par le singe ou le rat. La sagesse de même que l´innocence, la candeur sont chez l´agneau... La liste est longue et tous les fabulistes, selon le pays où ils ont vécu, ont utilisé ce riche bestiaire. Dans l´affaire «Clearstream», le «Watergate» français, qui a plongé le pouvoir français dans la tourmente, tous ces noms de bêtes ont été cités. D´abord le corbeau. Ici, loin d´incarner la bêtise ou la fatuité comme dans la célèbre fable de La Fontaine, il désigne l´expéditeur de messages et de lettres anonymes. Ce procédé très utilisé dans les petites villes françaises où tout le monde se connaît, tend à dénoncer les comportements immoraux ou malhonnêtes de certains citoyens. Cela crée en général une atmosphère malsaine, lourde de suspicions qui met tout le monde dans la gêne. Henri-Georges Clouzot en a fait un film admirable mais voilà, dans l´imbroglio de l´affaire «Clearstream» (pas aussi clair que cela), le corbeau est connu, et le juge Van Ruymbeke a été bavard comme une pie. Alors tous les regards se tournent vers ce général Rondot, à l´origine des indiscrétions. A-t-il agi de son propre chef ou bien a-t-il en bon militaire exécuté scrupuleusement les ordres de sa hiérarchie? Chirac et Villepin sont-ils les commanditaires de cette OPA sur les prochaines présidentielles? Sarkozy serait-il le machiavélique de toute cette machination qui ferait de lui l´innocente victime. Dans les travées de l´Assemblée, le hurlement des loups couvrent le silence des agneaux, mais le gouvernement tient bon malgré toutes les révélations qui tombent en cascade, mouillant un jour celui-ci, un jour celui-là... D´ailleurs tout ce bruit ne servirait-il pas à couvrir l´échec retentissant du CPE? Ne cherche-t-on pas à passer derrière cette fumée épaisse la loi scélérate sur l´immigration? Quant à la presse, elle se fait l´écho fidèle de toutes ces dissonances qui émanent du sommet de l´Etat. Chez nous, tout baigne: mais on apprend avec trois décennies de retard que deux anciens chefs d´Etat du Maghreb uni aurait à réciter La mort du loup d´Alfred de Vigny. Cet engouement pour un prédateur modèle ne serait-il pas le trait de caractère commun à beaucoup d´hommes politiques?