L´excès de véhicules en circulation sur un réseau routier qui n´arrive pas à suivre, génère tellement de désagréments pour le père de famille qui tient à faire parvenir les membres de sa cellule à leur destination dans les meilleures conditions, chaque matin que Dieu fait. Le pénible exercice auquel s´astreint chaque jour pour le conducteur modèle, respectueux du code de la route, l´amène souvent à faire une analyse de la société et à tirer des conclusions négatives qui l´amènent à faire des généralisations pas toujours hâtives. Cela m´amène à raconter l´histoire d´un honnête père de famille, respectueux des règlements qui encadrent la société. C´était d´ailleurs un travailleur modèle, sérieux. Il arrivait toujours le premier au travail et il était le dernier à quitter son atelier de mécanique. Et il ne le quittait qu´après avoir nettoyé et mis en ordre tous les outils hâtivement abandonnés par des ouvriers pressés d´arriver chez eux. Bien que ne pouvant pas écrire une lettre, ce mécanicien hors catégorie arrivait à déchiffrer le journal. Cela ne l´a pas empêché de finir dans l´entreprise étrangère où il avait atterri, de devenir chef d´atelier. Son sérieux et sa compétence lui avaient valu l´estime et la considération de ses employeurs. Mais ce brave homme n´avait pas la fibre patriotique: dès le lendemain de l´indépendance, il songea à partir en France pour y continuer sa carrière. Ce fut son épouse qui le retint avec les arguments que seules les femmes peuvent développer. Cela généra un conflit entre les deux époux à tel point qu´un jour, ce brave homme se confia à moi. Tout en ayant un oeil sur le rétroviseur et l´autre sur la route devant lui, il me murmura timidement: «Tu sais Titus (c´est ainsi qu´il m´appelait), ce n´est pas que je n´aime pas mon pays, mais je ne peux pas supporter la conduite de la majorité de ses habitants. Regarde la circulation: tous essaient d´arriver avant les autres. Regarde celui-ci avec sa minable trottinette, il slalome entre les voitures, change de file sans clignoter. Il fait mille et une queues de poisson. Il se croit chez lui. Le chauffard, ce n´est pas seulement celui qui ne respecte pas le code de la route en transgressant les règlements, mettant ainsi en danger la vie d´autrui. Ce n´est pas seulement celui qui est maladroit au volant, c´est surtout le sans-gêne qui se croit plus malin que les autres. D´ailleurs, la même personne qui se conduit mal sur la route, se conduira mal partout. C´est la même personne qui grille le feu rouge ou la priorité, qui grillera la queue au nez et à la barbe des gens respectueux de l´ordre. Et cela, c´est ce qui est visible! Dieu seul sait ce qu´il peut lui arriver de faire pour arriver à ses fins. Dans son travail, il sera capable de toutes les magouilles et les compromis possibles pour s´en sortir...Et tu veux que moi je supporte tout cela! Et ne me raconte surtout pas que cela va changer demain. Demain, ce sera pire. C´est moi qui te le dis...» J´étais demeuré sans réponse. Il avait raison. Le mépris de la loi et des règlements est l´apanage de beaucoup qui croient, chacun à son niveau, que la loi est pour les autres. Le brave homme, le travailleur modèle respectueux du travail bien fait et de l´ordre, finira par quitter le pays à l´âge de cinquante-deux ans, avec son épouse et ses quatre enfants. A présent, il mène une vie de grand-père tranquille sous un ciel plus clément.