«Vraiment! Je comprends maintenant pourquoi même à 70 ans on devient harrag!» s´était exclamé mon épouse en sueur en sortant d´un marché couvert surpeuplé, les deux bras portant couffin et sachets. Il est vrai que cette histoire de «harrag» septuagénaire rapportée par la presse a fait sourire plus d´un. Certains ont vite conclu que ce vénérable vieil homme voulait finir ses jours en «beauté» sous des cieux plus cléments, d´autres ont, par contre, émis l´idée que ce pauvre homme serait atteint de sénilité précoce et que sa tentative d´évasion n´est qu´un symptôme parmi tant d´autres de la fameuse maladie d´Alzheimer, maladie qui détruit les bandes mémorielles et poussent ses victimes vers les chemins du large. Mais certains, romantiques, ont tout simplement émis l´hypothèse que ce candidat, au départ clandestin, aurait tenté l´aventure, pour retrouver un premier amour niché dans ce vaste espace de Schengen. Rien n´est impossible! Au printemps comme en été, Cupidon n´est pas avare et il fait flèche de tout bois. D´autres, plus pragmatiques, pensent qu´il serait parti pour retrouver ses enfants prodigues partis depuis des années et qui ne seraient pas revenus au pays de peur d´être pris au même piège que leurs aînés: en effet, il n´y a pas plus attachant que les nombreux problèmes (toujours les mêmes!) qui font qu´une grande partie de la population aime ce pays et ne voudrait pas le quitter pour tout l´or du monde alors qu´une mince frange rêve de le quitter pour d´autres Florides, afin de vivre les problèmes autrement, d´une autre manière. Et c´est justement ce qui a révolté une fois de plus mon épouse qui a dû faire le parcours du combattant (à jeun!) pour essayer de remplir son couffin. Et en plus, elle a eu la délicatesse de ne pas me dire ce qu´elle a dépensé pour faire bouillir la marmite ce jour-là afin de calmer la faim de la maisonnée. «C´est toutes les années le même scénario! s´est exclamée la matrone en posant ses couffins et sachets d´un air excédé! D´abord, il y a trop de monde, on dirait que tout Alger est venu s´approvisionner dans ce marché de banlieue. Et puis, c´est trop cher! "Ils" nous prennent pour des Américains!» Je ne sais pas si dans ce «ils», ma tendre moitié voulait désigner les marchands arnaqués et qui arnaquent à leur tour les gogos que nous sommes, ou bien le pouvoir, silhouette indécise et floue qui est représentée par les autorités impliquées dans la politique des salaires et des prix. «Pourtant, il y a une propagande à tout casser! Ils avaient annoncé que l´Etat allait fixer les prix et qu´il allait combattre la spéculation. Et patati et patata!...» Je ne voulais pas briser un peu plus le moral de ma compagne, en lui disant que ceux qui sont à même de prendre des décisions pour soulager le modeste consommateur touchent tous des salaires mirobolants et que le citoyen lambda, payé en dinars dévalué, est obligé d´acheter au taux de change parallèle. Et que dans toute cette histoire, il est le dindon de la farce. Les autorités promettent des points de vente pour la viande: avec 50 points sur le territoire national, il n´y aura qu´à diviser 30.000.000 par 50 pour trouver que c´est une mesure ridicule et sans portée. Quant aux contrôleurs, c´est une vieille histoire à laquelle personne ne croit. Mais le sommet de l´hypocrisie est atteint quand une entreprise célèbre annonce des réductions de 1 DA sur certains de ses articles: de la publicité à bon marché! Pas plus!