C'est l'image de villes bombardées pendant un mois que nous avons vue devant notre reportage. En entrant dans la petite ville touristique de Zemmouri, on met du temps pour réaliser ce qui s'y passe: les choses semblent à leur place et le peu de dégâts occasionnés aux bâtisses environnantes n'indique pas que nous sommes au centre de l'hécatombe. Mais au fur et à mesure que nous avançons vers le centre-ville, nous réalisons que nous étions bien en face d'un paysage d'apocalypse. Rien, absolument rien, ne tient débout. Toutes les villas, la mosquée, la poste et la Caisse d'assurance se sont écroulées comme des châteaux de cartes. Le beau miraret de la mosquée tient encore...à quelques briques près. Les prières sont accomplies dans le jardin public en face, et le muezzin a fait son appel en «mimant» un porte-voix avec sa main. Les rangs sont réduits, car beaucoup sont morts, ou en train d'enterrer un parent ou un proche. Les gens sont assis à même le sol, sur les trottoirs ou font quelques pas avant de se rasseoir. Les jambes fléchissent et ne tiennent plus debout. Le regard hagard, vague, les gens tentent de reprendre conscience après ce qui s'est passé la veille. Quelques-uns essayent de parler: «C'est au bruit d'un immense craquement que le tremblement de terre à commencer. Les murs ont immédiatement craqué, aussi facilement que des gaufrettes et ils ont commencé à s'écrouler...Cela a pris en tout quelque 25 à 35 secondes.» Un commerçant regarde longuement sa villa écroulée, et dont le premier étage a complètement écrasé, ratatiné, l'étage du dessous, une grande épicerie qu'on devine à la trace de bouteilles de limonades qui jonchent encore le parvis. «Mon fils était dedans, on l'a ressorti aujourd'hui (jeudi matin, ndlr) écrasé par une dalle et les yeux plongés dans un livre.» Les riverains de la côte ont été frappés, par le reflux de la mer, qui s'est carrément retirée des côtes de plus de 40 m. «C'est invraisemblable, dit un pêcheur, mais j'ai vu, aussitôt sorti de la maison après le début des secousses, que la mer se retirait plus au nord. Regardez-là cet énorme rocher, je ne l'ai jamais vu auparavant, alors que pendant les minutes qui ont suivi le tremblement de terre, je l'ai vu en entier, entier et un, comme je ne l'avais jamais vu auparavant (on apprendra plus tard que le reflux de la mer dont parle le pêcheur a provoqué un raz de marée qui s'est dirigé vers les côtes espagnoles, coulant plusieurs bateaux de plaisance). Zemmouri a été atteinte à 100% par le tremblement de terre, qui a frappé, sous la mer, à 7 km des côtes. Une distance jugée « très proche » pour provoquer une véritable hécatombe. Le sinistre est total dans cette ville côtière qui se préparait à accueillir les estivants, une de ses rares ressources financières. On quitte la ville pour aller vers Thenia, tout en évitant soigneusement de prendre le chemin qui passe par Ouled Ali, fief du Gspc par excellence. On préfère contourner par Boumerdès. Cette grande wilaya limitrophe de la capitale a été, elle aussi, frappée par le séisme de plein fouet. Le centre-ville offre un paysage de désolation totale. Les gens sont dehors, tous, hommes, , enfants et vieillards, bagages et couvertures à la main. On préfère dormir dehors que de se retrouver dans des bâtiments «en carton». Les bâtiments qui se sont écroulés emprisonnent-ils encore des survivants? Là, les gens s'insurgent: «Où est l'Etat? Que font nos responsables? Depuis seize heures (il est midi, jeudi) on essaye de sauver des vies en creusant avec nos mains, avec des pioches et des barres de fer. Il n'y a pas trace de chiens renifleurs pour nous venir en aide, comme ils l'avaient fait lors de la catastrophe de Bab El-Oued. Seuls, nous avons pu sauver quatre personnes deux et deux enfants, mais on ne peut rien faire pour arriver, à l'aide de rien du tout, jusqu'à la quatrième dalle.» Pour toute la ville de Boumerdès, il n'y avait que deux poclains. Les gendarmes aidaient les gens, traçaient des périmètres de sécurité et, surtout, sécurisaient les biens et les habitations abandonnés. Le colonel Abdelhafid Abdaoui dirigeait ses troupes, mobilisées H24, pour la circonstance. Là haut, un hélicoptère de la gendarmerie filmait toutes les villes touchées par le tremblement de terre (les images prises seront retransmises à la télévision durant la nuit). Des unités de l'armée commençaient à être dirigées vers les lieux les plus sinistrés. A Tidjelabine, les citoyens ont passé la nuit dehors, près de la brigade de gendarmerie. Ils s'y sentent en sécurité. Des couvertures leur ont été offertes par les brigadiers. En face, le spectacle est affligeant. Pratiquement tous les bâtiments ont été touchés et se sont soit écroulés, soit lézardés à partir des fondations de manière à ce que les habitants ne pensent plus à les habiter de nouveau, ne serait-ce une seule nuit. La cité 210 Logements est la plus touchée par le séisme. A Thénia, trois bâtiments de l'ancienne cité se sont écroulés. Dans les décombres de l'une d'elles, on a retiré, entre 8 et 14h, cinquante cadavres. D'autres bâtiments se sont à moitié écroulés ou menacent de tomber. Là, un seul petit poclain tente de déblayer les décombres, à la recherche de vie à sauver ou de cadavres à retirer. Les moyens mis en branle pour les opérations de sauvetage sont dérisoires pour espérer faire ce qu'il faut. Le manque de moyens est flagrant, frappant, criminel. Car ne l'oublions pas, il y a, c'est certain, des Algériens qui luttent contre la montre, qui luttent contre la mort...