Jeudi, elle se réveille d'une nuit cauchemardesque. Dès l'entrée en venant d'Alger, la vue d'une monumentale villa récemment construite accroche le regard. Inclinée d'un côté, une béance au milieu, elle menace de s'effondrer. L'intense trafic routier a créé un immense embouteillage sur l'artère principale de la ville. Cette impression de fébrilité que renvoie la chaîne de véhicules traversant l'agglomération tranche avec l'aspect de ville morte qui s'en dégage. Un seul magasin d'alimentation générale a ouvert. Une foule s'est massée devant une porte entrebâillée. Les clients s'arrachent les dernières provisions. Si, à la suite du séisme d'hier, la plupart des bâtisses longeant l'artère principale ne se sont pas effondrées, il n'en demeure pas moins qu'elles ont été sérieusement endommagées. D'ailleurs un immeuble laisse voir au premier étage une façade complètement éventrée. Les machines d'une salle de jeux électroniques apparaissent. En outre, de larges lézardes courent sur les murs de ces bâtiments souvent à un étage datant de l'ère coloniale. Les commerçants ont fermé, nous dit-on, parce que le tremblement de terre a mis sens dessus dessous les marchandises se trouvant à l'intérieur. Etrangement le plus gros de la catastrophe cette fois-ci, catastrophe humaine s'entend, s'est produit au niveau de l'ancien centre urbain datant de la colonisation. Il s'agit de la cité Soummam, ex-Mafal, elle est entourée du cimetière chrétien ainsi que du nouveau siège de l'APC. La cité est sous le choc et la consternation se lit sur tous les visages. Sous l'effet du violent tremblement de terre, l'une des deux tours, le bâtiment B à 10 étages, construit en 1956, s'est écroulé comme un château de cartes. En une fraction de seconde quelque 700 personnes environ y ont péri si l'on compte 7 personnes par appartement sachant que la tour en compte 100. A présent la tour n'est qu'un amas de béton fracassé et de ferraille autour de laquelle s'affairent pompiers et soldats en quête de morts ou d'éventuels survivants. La tour jumelle à 15 étages, quant à elle, ne s'est heureusement pas écroulée. Après avoir vacillé, elle s'est immobilisée dans cette posture de géant courbant l'échine. Ses occupants ont alors dévalé les escaliers et ont eu la vie sauve. Ils ont tout perdu, logis et matériel qu'ils ne peuvent récupérer du fait que l'immeuble peut s'effondrer d'un moment à l'autre. Le rez-de-chaussée s'est enfoncé dans le sol engloutissant quelques magasins dont une bijouterie. Les habitants maintenant occupent un espace vert jouxtant le quartier. Ils ont dressé des tentes de fortune. Ils y ont fait entrer leurs véhicules. «On a cru à la détonation d'une bombe, on est tous descendus complètement affolés, Dieu merci il n'y a pas eu de morts, juste quelques blessés légers. Quelques instants plus tard, nous nous sommes dirigés sur l'emplacement de la tour voisine pour sortir les gens des décombres. Beaucoup sont morts dans ce bâtiment, parce que tout le monde était entré chez lui pour regarder le match de Porto», relate un témoin. «Si vous étiez venu (pendant la nuit du séisme, ndlr) raconte un autre, vous auriez senti l'absence de l'Etat. Le président de l'APC a complètement disparu et il n'a reparu qu'aujourd'hui en compagnie d'Ouyahia qui effectuait une visite. On était seuls. Dans l'obscurité la plus totale, on n'arrivait pas à voir dans le tas de poussière n'eût été l'aide des automobilistes qui ont allumé les phares de leurs véhicules. Nous avons quand même pu sauver deux bébés et 10 autres entre et hommes, si les secours étaient venus plus tôt on aurait pu sauver un nombre plus important. Comment cela se fait-il qu'une commune comme Reghaïa ne puisse pas disposer de projecteurs ni de groupes électrogènes, où est passé ce fameux plan Orsec?», s'est-il interrogé. Les anciens habitants de la tour ont passé la nuit à la belle étoile. La plupart ont laissé dans leurs appartements, maintenant inhabitables, vêtements, couvertures et mobiliers. «Dès l'annonce de la catastrophe, des anonymes venus d'Alger à bord de véhicules nous ont fait des dons de vivres». Le président du comité de quartier la Soummam déplore «l'absence d'une cellule de crise au niveau de la commune». Il a fallu attendre jeudi 10 heures pour voir s'organiser les premiers véritables secours avec l'arrivée sur les lieux de la Protection civile et des troupes de l'ANP qui disposent de moyens lourds comme les bulldozers, les Poclain, les grues, les porte-chars et les camions. Les gens manquent d'eau, de gaz, d'électricité et se nourrissent de repas froids. «Il y a pénurie de lait, d'essence, de gasoil, absence de champ pour le téléphone mobile, les autorités, le Chef du gouvernement en tête nous ont promis les tentes, mais on attend toujours». A quelques mètres du site où se trouvent les sinistrés, devant la devanture de l'APC, ont été dressées quelques tentes où sont évacués les cadavres. Ces derniers sont regroupés et désinfectés par les éléments de la Protection civile avant d'être dirigés sur les morgues des hôpitaux. Si la mort a frappé au coeur de la ville qui a éclos près de la zone industrielle de Rouiba, les autres quartiers ont en été dans l'ensemble miraculeusement préservés. Mais là, la catastrophe est plutôt matérielle. Les édifices qu'on eût dit en carton, se sont fissurés de partout, quantité d'entre eux ont vu leurs murs litéralement soufflés. «La plupart sont l'oeuvre d'une coopérative immobilière privée», nous dit-on. Dans la cité Bouzegza, à Boudouaou, une cité, récemment construite, menace ruine. Là, faut-il parler de la baraka de la Cnep puisque seuls quelques bâtiments financés pas cette caisse sont épargnés? Les habitants de cette cité, située loin du centre-ville, ont été complètement oubliés. Des actes de pillage ont été d'ailleurs commis par les jeunes du quartier dans un entrepôt d'alimentation générale dont les murs ont été pulvérisés. Il y avait pour quelque 300 milliards de centimes de marchandises. Le grossiste a dû solliciter l'intervention des «sages» pour ramener le calme.