Certaines parlent, mais beaucoup se taisent Pour crier leur douleur, les femmes algériennes brisent les tabous en ayant recours à l'Internet. Une femme en larmes et sa fille adolescente s´entrelacent au pied du lit. Elles se couvrent le visage laissant le reste du corps exposé à la sauvagerie de l´autre... le mal. Coup après coup, la violence est déjà forgée et affûtée par l´ingratitude et l´inconscience. «A plusieurs reprises je me suis évanouie sous les coups. C´est seulement à ce moment là qu´il cesse de me frapper. Ce n´est pas un moment de bastonnade mais des heures entières», raconte Salma d´une voix froissée par la douleur. Pourtant, il ne s´agit pas là d´un instant fixé dans la mémoire de cette femme battue mais d´une sinistre séquence qui se répète de façon continue, de semaine en semaine, de mois en mois et d´année en année. Battue à vie. Victime d´une telle stigmatisation, Salima a vécu l´horreur, seule avec son silence. «Je n´ai pas à qui le raconter. Je ne sais pas pourquoi le raconter. Je le supplie de cesser de me frapper. Je vis avec lui depuis 20 ans, il n´a jamais cessé», poursuit en intermittence Salma. Le mari frappe, agresse, assomme, cogne... «Selon lui, il corrige», poursuit Salma précisant que son mari est un islamiste extrémiste. Pour se blanchir, les violeurs se réfèrent souvent à l´Islam, en arguant d´un passage du Coran, verset 34 de la Sourate An Nissâ (Les Femmes), qui dit: «(...)Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d´elles dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles, car Allah est certes, Haut et Grand.» Une violente réalité Parallèlement, ils esquivent les lois et l´arsenal juridique qui protègent la femme et les enfants mineurs. Mais, en l´absence de plaintes déposées par les victimes, la situation passe du dramatique à la déconfiture nationale. Oser déposer une plainte contre son époux, son frère ou son père est un blasphème pour l´Algérienne. Un ordre social, qui favorise l´arbitraire surtout que «le gouvernement ne s´est pas fixé la priorité de mener de vraies actions pour mesurer, prévenir, coordonner et protéger la femme contre la violence conjugale», estime un observateur au fait de la question féminine. Des chiffres ahurissants L´inégalité entre femmes et hommes a été encore une fois démontrée hier, à la faveur du lancement de la Fondation des femmes pour la Méditerranée, où des chiffres révélateurs ont été fournis aux participants, confirmant que beaucoup de chemin reste à faire pour réaliser l´égalité des genres. Ainsi, des statistiques récentes de l´Onu sur l´inégalité d´accès à l´éducation, citées par la fondation soulignent que sur 800 millions d´adultes analphabètes, 2/3 sont des femmes. L´accès des femmes à l´autonomie financière, n´est pas meilleur puisque 65% des emplois féminins sont précaires, indique la même source, qui relève que le salaire des femmes est en moyenne inférieur de 17% à celui des hommes. Sur l´inégalité d´accès à la gouvernance, on signale que 19 % seulement des parlementaires sont des femmes et que seulement 1/4 des hautes responsables sont des femmes. On révèle aussi que pour les femmes de 15 à 44 ans, les actes de violence provoquent plus de décès que de handicaps que le cancer, le paludisme, les accidents de voiture et la guerre combinés et que plus de 600 millions de filles sont forcées d´accepter un mariage précoce chaque année. S´agissant de la représentation stéréotype des femmes dans la société, on affirme par ailleurs, que près de 48% des reportages renforcent les stéréotypes liés au sexe, alors que 8% d´entre eux les remettent en question. Jusque-là, les statistiques «avouées» restent en deçà de la réalité. Durant les six premiers mois de l´année 2008, les femmes ayant subi des violences étaient au nombre de 2675 pour passer à 4409 en 2009, selon les statistiques des services de la Sûreté nationale. Ce constat a été mis en évidence dans un rapport d´enquête de l´Office national des statistiques et une enquête financée par l´Unicef et publiée en 2009, qui font ressortir que 67,9% des Algériennes acceptent les violences conjugales. Les statistiques font ressortir également que le conjoint vient en tête, puis le fiancé, le frère, l´oncle, le fils et enfin le père. Les mêmes données révèlent que l´âge des victimes de violences varie entre 18 ans et 75 ans et que 4183 d´entre elles, sont mariées, 2033 célibataires, 726 divorcées, 494 sont veuves. Récemment, Iamarène Dalila-Djerbal, sociologue et membre du réseau Wassila, lors de son passage, à l´émission «Femmes et avenir», sur la Radio Chaîne III a déclaré que près de 70% des femmes sont battues par leurs époux. Un chiffre qui donne froid dans le dos. C´est dire que la violence s´accroît davantage dans les ménages algériens. Dans leur grande majorité, les agresseurs sont des hommes. Les femmes subissent des violences physiques, les coups en premier lieu, des violences psychologiques et sexuelles. «Si vous saviez le nombre de femmes battues que nous recevons!», s´est exclamé un médecin exerçant au service des urgences de l´hôpital Mustapha-Pacha à Alger. Pour d´autres observateurs, si les violences faites aux femmes restent intolérables, les chiffres avancés pour dresser un constat exact de la situation sont inexistants. Certaines statistiques font état de 10.000 femmes battues chaque année en Algérie. Le tabou, au centre de cette fracture, refait toujours surface. Tout compte fait, la noire réalité de la violence à l´égard des femmes, traduit sans ambages, qu´elle a atteint un seuil critique. Le nouveau refuge Chut, ça tabasse! Sous silence, la maltraitance de la femme est devenue monnaie courante. Dans l´espoir de voir le bout du tunnel, des centaines et des milliers de femmes, «habituées» de la violence, tentent de briser le mur de la peur et de la terreur. Violences verbales, insultes humiliantes, violences physiques, sexuelles. Elles se donnent rendez-vous sur la Toile. Pour parler de ce qu´elles subissent régulièrement. Elles se racontent, se consolent, se comprennent, se conseillent. Elles veulent se faire entendre pour en finir avec la maltraitance. Leurs témoignages représentent une libération pour elles-mêmes et pour d´autres victimes. Le poids de la mentalité algérienne les a longtemps maintenues dans le silence. Les premiers cris fusent pourtant. En anonymes, ils jaillissent de la douleur. Un premier pas qui invitera le second. Quant aux associations, elles trouvent là un outil rapide et efficace de communication et d´échange d´informations. Le Net, cet espace de liberté a aussi son utilité. «J´ai vécu la violence verbale et physique pendant 15 ans dans mon couple. j´ai eu le courage de partir et de demander le divorce à presque 60 ans. Je revis, le divorce est maintenant prononcé et je commence une nouvelle vie... Bravo pour votre blog.... je le fais connaître autour de moi...», écrit Fettouma pour un blog dédié aux femmes battues. «Ayant subi des violences par mon mari pendant 25 ans, j´aurais aimé pouvoir parler de tout cela. j´ai été seule à m´en sortir. Ma propre famille m´a laissée car c´est encore tabou, surtout que je suis issue d´un milieu islamiste. Un milieu où on appliquait la politique de l´autruche, j´ai divorcé il y a 4 ans de cela. C´était très éprouvant car mon ex-mari me harcelait moralement, mais au bout du tunnel il y a le bonheur», a témoigné Farida. D´un témoignage à un autre, l´Algérien est démasqué. «Mon mari est un monstre. Il finira par me tuer car je n´ai personne pour me protéger», écrit une femme d´Alger-Centre en anonyme dans un autre blog. Qu´importe les données, les faits sont là. Les violences conjugales existent bel et bien et elles sont nombreuses. Une honte!