Nadia, 32 ans, mère d'une fillette et épouse d'un agent communal n'a ni domicile ni adresse, mais elle n'est pas pour autant une SDF. Non, elle habite dans des hôpitaux, voilà déjà plus de trois mois. Et si les mères de son âge parlent déjà des plats à préparer pour ce Ramadhan et rêvent de confiseries, elle comme son mari prient de tout leur cœur le ciel pour qu'on la laisse encore habiter ce lit du service infectieux du centre hospitalier de Skikda. Car si on la déclare « sortante », c'est en quelque sorte la mettre... à la rue. Et c'est vrai ! A priori, le lecteur aurait tendance à se dire que c'est une histoire qui ressemble à des milliers d'autres tellement notre cher pays continue à vivre sa crise de logement et cette chère Skikda son retard catastrophique en matière d'urbanisme. Le lecteur aurait pu avoir raison, mais il a tort. Explications : l'histoire de Nadia et de Youcef, son jeune mari, se singularise par une succession de maux et de « malchances » qui, du jour au lendemain, feront de leur vie un enfer. Ils habitaient chez des parents et occupaient une pièce. Une seule pièce dont la moisissure et l'humidité finiront par avoir raison de la santé de la jeune femme. Deux médecins de deux centres hospitaliers (Constantine et Skikda) le confirment noir sur blanc : « Nadia est atteinte d'une maladie chronique dont le contexte est fortement lié aux conditions socioéconomiques. » Une méchante tuberculose péritonéale la mènera du CHU de Annaba, à celui de Constantine en passant par le centre de Skikda. Entre temps, le hasard fera qu'elle ne pourra plus disposer de la pièce qu'elle occupait avec son mari et sa petite fille. Mais elle était beaucoup plus occupée à combattre cette dangereuse infection qu'à penser à un gîte. Et à son mari, diriez-vous ! Comme le hasard fait, des fois bien les choses, il a trouvé dans son boulot un lieu pour passer ses nuits, puisqu'il est veilleur de nuit dans un établissement scolaire. Et votre fille madame, où est-elle ? Quand nous lui avons posé cette question, Nadia n'a pu retenir ses larmes. : « Elle est en train de faire la tournée des maisons. En trois mois, elle a été accueillie dans plus de six foyers différents. Des âmes charitables se sont proposées pour nous aider. Elle ne me reconnaît plus je vous le jure. La dernière fois que je l'ai vue elle m'a appelée tata. » Nadia a perdu plus, de 15 kg et les stigmates du mal ont eu largement le temps de faner un visage que d'anciennes photos pourtant esquissaient si jovialement. Le carrousel des hospitalisations la mènera d'abord aux CHU de Annaba et de Constantine où elle y demeurera plus de trois mois. Une fois rétablie, elle rentre à Skikda et comme elle n'avait plus où aller, son mari décide de louer une chambre dans un hôtel. « On a passé trois jours seulement dans cet hôtel, je ne pouvais pas me permettre de payer 500 DA la nuitée. Je ne suis qu'un simple agent et je ne perçois que 7000 DA mensuellement ». Supposée être en convalescence, Nadia rechute. Elle est transportée en urgence au centre hospitalier de Skikda où nous l'avons rencontrée. L'âme vide, l'avenir obstrué, elle suit un double traitement. Celui de sa tuberculose en plus de toute une ordonnance d'antidépresseurs. Son mari ne sait plus que faire ni où aller. Les services hospitaliers viennent de lui signifier que sa femme est désormais sortante et devrait libérer sa place. Sous le coup de la colère, il a presque mis le service sens dessus dessous en menaçant de se donner la mort ; il a fallu l'intervention des agents de l'ordre pour le calmer et le ramener à la raison. Sa femme criait de toutes ses forces qu'elle ne voulait pas quitter son lit parce qu'elle n'a plus où aller s'est évanouie. Voulant certainement calmer les choses, le corps médical a reporté la sortie de la patiente. Un geste qui honore toute l'institution. Mais jusqu'à quand faudra-t-il encore garder Nadia ?