«L´été se marque non moins par ses mouches et moustiques que par ses roses et ses nuits d´étoiles...» Marcel Proust Pour tout le monde, c´est d´abord l´arrivée des grosses chaleurs qui annoncent le solstice: toutes les années, une canicule de quelques jours s´abat sur les cités surpeuplées, de jour comme de nuit. Les climatiseurs commencent à ronronner aux fenêtres fermées et le sempiternel tic-tac des gouttes d´eau de la condensation de l´air refroidi rythment les nuits des insomniaques. L´arrivée de l´été se manifeste aussi par la désertion des allées qui conduisent aux établissements scolaires: l´hymne national chanté mollement par des enfants qui ne sont pas pressés de rentrer en classe ne perce plus la rumeur sourde d´une cité qui s´éveille. L´épicier du coin qui est assailli chaque matin par une bande de gamins avides ne prend plus la peine de se lever tôt: il ne se fournit d´ailleurs plus en petits croissants et en jus de fruits que les petits garnements, munis chaque matin de «frais de mission», s´arrachent pour meubler leur temps de récréation. Très tôt, des bandes investissent les petits carrés de bitume laissés libres par les véhicules et d´interminables parties de football opposent des gamins qui se prennent au sérieux. Les adolescents, en petits groupes, un sac sur le dos et sur le visage l´air sérieux de gens partant en expédition, s´interpellent au pied des tours endormies pour prendre le chemin de la plage. Mais il y a d´autres symptômes, beaucoup plus caractéristiques de l´arrivée de la saison estivale: c´est le harcèlement nocturne de moustiques obstinés et ce sont d´abord les énormes cafards marron ailés qui sont remontés des égouts pour un ultime vol nuptial. Leurs cadavres desséchés tapissent déjà les escaliers et les encoignures où des colonies de fourmis viennent se ravitailler en silence. Le silence est d´ailleurs devenu une denrée rare dans cet environnement surpeuplé et surchauffé: le matin, c´est une boîte, le bruit d´une boîte de conserve roulant sur le bitume, poussée par un pied entêté qui met à l´épreuve les nerfs de ceux qui ont veillé très tard. Le soir, les clubs de drogués se multiplient dans les coins reculés de la cité, et sous les arbres aux branches pendantes des joints circulent de main en main pour alimenter des conversations ponctuées par des jurons étouffés ou par des cris désespérés de naufragés. Nul ne pense à leur intimer un peu plus de retenue, puisque des pères de famille, pas pressés de rejoindre la couche conjugale, s´attardent au pied des immeubles pour refaire une fois de plus la sélection de l´équipe qui s´est aplatie devant le Maroc, ou alors philosopher sur la gestion du parking de nuit... La politique n´occupe plus les esprits d´autant plus que tout le monde s´interroge sur les retombées inflationnistes des dernières augmentations qui promettent un Ramadhan où les consommateurs seront frits aux petits oignons... L´été, c´est aussi l´odeur pestilentielle qui monte très tôt à l´entrée du marché où les vendeurs vantent à tue-tête la fraîcheur d´une sardine maintes fois arrosée. Se pinçant le nez, les passants pressent le pas en évitant les éclaboussures... L´été, c´est surtout les petits groupes de gamines léchant des cornets de glace... Mais ce ne serait plus l´été sans ces cortèges nuptiaux ou ces musiques saturées s´évadant de salles des fêtes tapies entre les villas, avec leurs feux d´artifice et leurs youyous qui couvrent le bruit sourd des pompes du château d´eau. Et ce ne serait pas l´été sans l´inévitable coupure d´eau qui marque un début de saison.