La révolution numérique a introduit de nouvelles moeurs chez les jeunes Les uns pour le paradis virtuel et les autres pour l'Eden céleste à défaut d'un quotidien serein et d'une vie heureuse. «La Toile est mon seul lieu de loisir. Je n'ai nulle part où aller», déclare Farid, la tête coiffée d'une casquette, l'écouteur à l'oreille. Il est devant l'écran de l'ordinateur. Farid fait partie des chanceux qui ont pu avoir un poste pour accéder aux réseaux sociaux d'Internet. «J'ai pris la dernière cuillère de ma chorba ici», plaisante-t-il. C'est dire toute la difficulté qu'éprouvent les jeunes du quartier à se trouver une place dans ce cybercafé qui est pourtant situé à proximité d'un café à Alger-Centre. La révolution numérique a introduit de nouvelles moeurs chez les jeunes. Fini le temps où les cafés grouillaient de monde après la rupture du jeûne. Fini les longues soirées du loto. Pris entre le marteau de la mosquée et l'enclume d'Internet, ce jeux de hasard a fini par disparaître. L'été est d'une canicule impitoyable. Observer le jeûne dans ces conditions d'extrême chaleur est une véritable épopée. Cette rude épreuve se décline à travers les propos de Yacine, un autre internaute. «J'ai du mal à poursuivre ce rythme. Venir dans ce cybercafé est pour moi synonyme de libération», confie ce lycéen. Juste après, Yacine s'excuse. Il repart dans le monde virtuel que lui offre Facebook. Le cybercafé reçoit de plus en plus de monde, pas moins de dix personnes attendent leur tour. Les places devant les écrans de l'ordinateur sont très prisées. «Je ne ferme qu'aux environs de 3 h du matin. Au moment du s'hor (le commencement du jeûne)», confie l'un des gérants du cyber, sous couvert de l'anonymat. Le temps avance au rythme des clics sur les claviers! Soudain, l'appel du muezzin retentit. C'est le moment de la prière de la nuit (Al-Icha), les deux rives de la voie menant vers la mosquée El-Rahma se muent en deux fleuves humains. Les tapis de prière sont posés à même le trottoir. Une «anarchie» qui a son explication en Islam, «chaddou rihal est déconseillé. C'est-à-dire qu'il n'est pas bon de décider d'aller vers d'autres mosquées que celle de la région où l'on habite, car toutes les mosquées se valent», indique un formateur à l'Institut de formation des cadres des affaires religieuses, proche de la salle Harcha. A part quelques uns qui préfèrent aller dans les cafés où d'autres qui se regroupent pour discuter, la plupart des passants prennent la direction de la mosquée. «Dépêche-toi, la prière va commencer», presse l'un des passants son compagnon, tous les deux vêtus de gandoura, coifés d'une chéchia, et le tapis de prière à l'épaule. «Pourvu que l'on trouve une place où prier», espère un autre passant.En ce mois de jeûne et de prière, il n'est pas aisé de trouver une place où se prosterner dans les mosquées. Beaucoup de fidèles prennent leur tapis de prière de chez eux et des sachets pour éviter de se faire voler les chaussures. Des mésaventures de ce genre sont légion. «Zarbia» sur l'épaule, vieux, femmes, jeunes et petits se dirigent en masse vers ces lieux de culte. Pour une société qui s'islamise à grande vitesse, tout ça a un sens, paraît-il. Il faut relever que les tarawih ne sont pas obligatoires comme les cinq prières quotidiennes, mais «sont considérées comme un acte très méritoire», a souligné Walid, rencontré à la sortie de la mosquée d'Appreval située à Kouba. Il dit qu'il ne peut jamais rater les tarawih en rappelant, que «ces prières furent établies par le Prophète (Qssl)». Pourtant, «le Prophète (Qssl) les dirigea occasionnellement de peur que cela ne devienne obligatoire pour les fidèles. Après sa mort, son successeur, Abou Bakr Seddik, n'a pas continué de les pratiquer durant ses 2 années de son califat. C'est le second calife, Omar Ibn El Khattab, qui les réinstaura», indique un imam qui préfère garder l'anonymat. Les minutes passent, les haut-parleurs font retentir la parole de Dieu dans les rues d'Alger. La prière commence! Chacun des habitants semble avoir fait son choix. Les uns pour la Toile et les autres pour la Mosquée, les uns pour le paradis virtuel, les autres pour l'Eden céleste à défaut d'un quotidien serein et d'une vie digne et heureuse. «Chacun fuit sa propre réalité et cherche un refuge», remarque Nassim, un jeune peintre au regard désabusé. «Pour moi, mon refuge, c'est ma peinture. J'appartiens au monde que je crée», tranche-t-il. C'est ainsi que pour les Algériens, une fois le jeûne rompu, les soirées, elles, ne rompent pas avec la «révolution du vide». Devant un été qui affiche des journées des plus dures pour les jeûneurs, beaucoup ont prédi qu'après la rupture du jeûne, les soirées dans nos villes seront plus pimentées et plus animées. Finalement, que dalle! L'engouement et la bousculade qui caractérisent ce mois de Ramadhan sont enregistrés seulement au niveau des mosquées du pays et des cybercafés. Outre quelques animations culturelles et le peu de sorties nocturnes habituellement programées durant le Ramadhan, la tendance est à la mosquée ou au cyber. Il faut se rappeler qu'autrefois, en ce mois sacré, après chaque rupture du jeûne, la jeunesse s'impatientait de vivre ces soirées si particulières. Le temps où les jeunes étaient toujours enthousiastes et heureux de se préparer à sortir chaque soir. Une époque où, au menu du soir: qaâdate feutrées aux rythmes traditionnels et fêtes branchées, ils savouraient avec insouciance jusqu'à l'aube. Chicha, jeux de cartes, dominos, jeux de société, karaoké ou simples discussions entre amis autour d'un bon thé constituaient des soirées des plus sympathiques.. Cette année, rien ne manque de tout ça. Plusieurs espaces, salons de thé, restaurants ou cafés, clubs se sont transformés en kheïmas le temps d'un mois sacré. Des kheïmas, qui proposent des ambiances assez différentes d'un établissement à l'autre. Sans compter celles ouvertes toute l'année et qui, lors du Ramadhan, mettent les bouchées doubles pour attirer la jeunesse avide de détente et de loisirs. Les établissements de culture ont mis le paquet: hawzi, andalou, chaabi, rock, jazz, gnawi... Pourtant, «aucune mayonnaise n'a pris», comme l'exprime si bien le grand humoriste Fellag.