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Les conditions d'un renouveau
L'ISLAM À LA CROISEE DES CHEMINS
Publié dans L'Expression le 18 - 08 - 2011

Ce mois sacré du Ramadhan nous donne une fois de plus l'opportunité de faire un rapport d'étape sur la situation peu enviable des musulmans dans le monde en convoquant une fois de plus les causes qui ont amené à ce déclin qui commença depuis la chute de Grenade en 1492. Le destin des pays musulmans, notamment arabes, était lié dans une grande mesure à celui de l'Empire ottoman Au XVIIe siècle, l'âge d'or de l'Empire ottoman est déjà révolu. Lépante en 1571, première défaite majeure, marquait un tournant dans l'histoire de l'Etat ottoman et un regain de confiance dans la puissance de l'Europe chrétienne. La campagne d'Egypte, expédition militaire entreprise par Napoléon Bonaparte (1798-1801), et l'invasion des troupes du gouverneur de l'Egypte, Mehemed Ali, de la Syrie, secouent brutalement les fondements de l'Etat ottoman et l'obligent à rechercher des solutions pour les crises qui éclatent au sein de l'empire, c'est l'époque des Tanzimat. Le rôle de l'Angleterre et de la France a été décisif dans le long délitement de l'empire. La technique est connue. Imposer à l'homme malade de l'Europe des réformes et l'amputer inexorablement de ses provinces. Ce fut la Grèce, et au Maghreb l'invasion française de l'Algérie en 1830, précédée, il faut le souligner, de la débâcle de Navarin en 1827, où l'empire perdit sa flotte, même la flotte algérienne venue en aide fut détruite. De plus, les puissances européennes attisant les haines et se voulant protectrices des minorités chrétiennes ont imposé au sultan des gouverneurs chrétiens «les moutassarif». Inexorablement, la scission des populations amena à des émeutes et le rôle de l'Emir Abelkader dans la protection des milliers de chrétiens à Damas, fut reconnue.(1)
La curée
Les réformes «tanzimat» mises en oeuvre devaient faire de l'Empire un Etat moderne, mais l'Empire ottoman dut faire face à la guerre qui le ruina, l'obligeant à emprunter auprès des Français et Anglais. Ainsi, malgré toutes ces réformes, la situation est loin d'être positive. Pour faire face aux ingérences continuelles des puissances étrangères, notamment la Grande-Bretagne qui a occupé l'Egypte en 1882, Abdülhamid se fit le promoteur de l'idéologie panislamiste, espérant mobiliser tant les musulmans vivant dans l'empire que les autres pays musulmans. Par la suite, le mouvement des Jeunes-Turcs réclame la restauration de la Constitution de 1876 pour pouvoir résister à la pénétration européenne, et pour éviter le démantèlement de l'empire, les Jeunes-Turcs regroupent des libéraux d'origines diverses: Turcs, Arabes, Arméniens et Kurdes. Les Jeunes-Turcs sont dominés par le Comité Union et Progrès (CUP) fondé en 1895 à Salonique par Talaat bey et Rahmi bey avec l'adhésion d'officiers de l'armée turque tels Enver, Niazi bey, Jamal et Mustafa Kemal. La crise devient de plus en plus patente à la première décennie du XXe siècle. En effet, la situation sur le double plan économique et social se détériore graduellement. L'Allemagne, soucieuse d'affirmer sa vocation mondiale, cherche à renforcer son influence dans l'empire, spécialement après la visite de l'empereur Guillaume II. Elle s'engage dans la construction du chemin de fer Berlin-Baghdad et participe à l'exploitation du pétrole d'Irak (Turkish Petroleum Company). Avant l'intervention de la Grande-Bretagne, le Koweït était une province de l'Irak qui lui-même faisait partie de l'Empire ottoman. L'agitation des Jeunes-Turcs en Macédoine ottomane devient de plus en plus grandissante et risque même de se transformer en une insurrection qui menace le pouvoir de Abdülhamid. Ce fut ensuite la curée: profitant de la désorganisation de l'Empire due à la révolution, l'Autriche annexe officiellement la Bosnie-Herzégovine, tandis que la Bulgarie proclame son indépendance et la Crète son rattachement à la Grèce.(1)
Les dernières années de la vie de l'Etat ottoman sont marquées par une série de guerres qui va gravement compromettre l'intégrité de l'empire et la crédibilité du pouvoir central. Prélude de la dislocation définitive de l'Etat ottoman, les deux guerres balkaniques qui ont eu lieu de 1912 à 1913 font perdre aux Ottomans l'essentiel de leurs possessions en Europe, en même temps que leurs dernières possessions africaines, en Libye, conquises par les Italiens. Le 28 juin 1914, à Sarajevo, l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche est assassiné. La Première Guerre mondiale est déclenchée. En novembre, la Russie, le Royaume-Uni et la France déclarèrent la guerre à l'Empire ottoman. Créant la division avec le fameux Lawrence d'Arabie, la Grande-Bretagne fomente la révolte arabe, conduite par le Chérif de La Mecque, Hussein, en juin 1916. Ce dernier sera par la suite trahi, le Royaume fut réduit à la Jordanie. Les puissances occidentales croient le moment venu de satisfaire leurs ambitions, ce sera les accords Sykes-Picot entre Français et Britanniques. Ces accords mirent en coupe réglée le Moyen-Orient. Humilié par le traité de Sèvres qui reconnaît la tutelle britannique sur Constantinople et le contrôle grec, français et italien sur certains territoires de l'Anatolie, le gouvernement du sultan tombe en discrédit. Refusant cette situation de catastrophe nationale, Mustafa Kemal réussit à remporter des victoires décisives sur les Grecs. Par le nouveau traité de Lausanne en 1923, la Turquie actuelle accède à son indépendance, le sultanat est aboli en 1922 et le califat en 1924. La République turque proclamée le 29 octobre1923 avec Mustafa Kemal pour président.(1)
Nous sommes en 2011, les puissances européennes et les Etats-Unis ont toujours en tête de reshaper le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord avec l'apparition de nouveaux acteurs (la Chine et la Russie). Les musulmans n'ont pas évolué. Colonisés pendant plus d'un siècle, ils eurent graduellement leurs indépendances sur papier. La colonisation mentale et l'impossibilité de se mettre en phase avec la marche du monde font qu'ils sont toujours arriérés. Cela ne veut pas dire qu'il n'y eut pas des penseurs qui ont essayé de rentrer dans la modernité sans perdre ou rejeter les acquis positifs et indéniables de la science et du progrès. Nous citerons, sans être exhaustifs, Djamel Eddine Al Afghani, Mohamed Abdou. En fait, l'actualité de ce penseur illustre saute aux yeux si on a présent à l'esprit les deux préoccupations essentielles qui ont mobilisé son intelligence: d'une part, réforme religieuse et sociale et d'autre part émancipation à l'égard du colonialisme européen. Ce fut ensuite Ahmad Iqbal en Inde et Malek Bennabi, qui attribua le malheur arabe à une certaine «colonisabilité», la débâcle matérielle du Monde arabe est aussi une débâcle morale, une perte de sens qui fait que la religion confisquée par les pouvoirs s'est refroidie en rite. Elle est plus vue dans le m'as-tu-vu, l'ostentation que dans le recueillement, l'effort, le grand Djihad, celui qui doit permettre aux Nations musulmanes et surtout arabes de rattraper le train du Progrès. Est-il normal que sur les 5000 premières universités, il n'y ait que 3 universités arabes et encore dernières! Le malheur de l'empire c'est de n'avoir pas encouragé la science et de ne pas s'être introduit dans la première révolution industrielle, celle du fer, de l'acier et des canons. Le malheur des potentats arabes, c'est de ne pas avoir une vision globale pour aller à marche forcée sur le chemin pénible du savoir. L'Islam n'est nullement responsable de la gabegie, voire de l'anomie totale des sociétés arabes musulmanes. A titre d'exemple et pour l'honneur de l'Islam, quelques pays musulmans non arabes arrivent à s'en sortir brillamment. Je veux citer l'Indonésie et la Malaisie.
A ce propos j'invite le lecteur à méditer ces phrases de l'ancien premier ministre malaisien à l'occasion de l'ouverture de la 10e conférence de l'OCI. Nous l'écoutons: «Le monde entier nous regarde.(...) Pour commencer, les gouvernements de tous les pays musulmans doivent resserrer les rangs et adopter des positions communes, si ce n'est sur tous les sujets, du moins sur les plus importants, comme la question de la Palestine. Nous sommes tous musulmans. Nous sommes tous opprimés. Nous avons tous été humiliés. Mais, non seulement nos gouvernements sont divisés, mais la Oumma musulmane est aussi divisée, encore et encore divisée. Tout au long des 1400 dernières années, les interprètes de l'Islam, les Uléma ont donné des versions de la religion apportée par le Prophète Mohamed(Qsssl) si différentes que nous avons à présent des milliers de religions qui sont souvent en conflit les unes avec les autres. Au lieu d'être une Oumma unique, nous nous sommes divisés en de nombreuses sectes, les mazhabs et les tarikat, tous plus désireux de brandir notre Islam comme le seul véritable, que notre unité comme Oumma islamique».(2)
Critiquant la division, il déclare: «Nous n'avons pas perçu que nos adversaires et nos ennemis ne cherchent pas à savoir si nous sommes de vrais musulmans ou pas. Pour eux, nous sommes tous musulmans, les tenants d'une religion et d'un prophète dont ils disent qu'ils soutiennent le terrorisme, leur ennemi juré. Et nous les aidons, nous en sommes les complices en nous attaquant et en nous affaiblissant les uns les autres. Parfois, nous obéissons à leurs ordres, nous agissons pour leur compte et nous attaquons nos frères musulmans. Nous ignorons aussi d'autres enseignements de l'Islam. Il nous enjoint de Lire, Iqra, c'est-à-dire d'acquérir de la connaissance. Les premiers musulmans s'en inspirèrent pour traduire et étudier les oeuvres des Grecs et des autres lettrés antérieurs à l'Islam. Les savants musulmans ajoutèrent au corpus des connaissances leurs propres apports. Les premiers musulmans produirent de grands mathématiciens et de grands scientifiques, des physiciens et des astronomes, qui excellèrent dans le champ de la science de leur époque, tout en étudiant et en pratiquant leur religion. Les Européens du Moyen-Age étaient encore arriérés et superstitieux alors que les musulmans avaient déjà bâti une grande civilisation, puissante et respectée, en mesure, et même plus, de se comparer au reste du monde, capable de protéger la Oumma des agressions étrangères».
Le grand djihad
Le Premier ministre nous dit pourquoi: «Les Musulmans étaient conduits par de grands leaders comme Abdel Rahman III, AI-Mansour, Saladin et d'autres, qui investirent les champs de bataille, à la tête de leurs armées, pour protéger la terre des musulmans et la Oumma. Mais, encore à mi-chemin dans la construction d'une grande civilisation islamique, de nouveaux interprètes de l'Islam enseignèrent que pour les musulmans, l'apprentissage devait se réduire à l'étude de la théologie. L'étude de la science, de la médecine, etc., fut découragée. Comment est venue la débâcle? Ce fut un long délitement: «Les musulmans commencèrent à régresser sur le plan intellectuel. Avec la régression intellectuelle, la grande civilisation musulmane commença à perdre du terrain et à se flétrir. Ce fut la chute de Grenade. Les premiers succès des Ottomans ne s'accompagnèrent pas d'une renaissance intellectuelle. A la place, on s'intéressa de plus en plus à des problèmes insignifiants si l'imprimerie était autorisée et si l'on pouvait éclairer les mosquées avec l'électricité. Les Musulmans ratèrent totalement la Révolution industrielle».(2)
Que faut-il faire alors pour être en phase avec la marche du monde?: «Nous sommes aujourd'hui forts de 1,3 milliard d'individus. Nous avons les plus grandes réserves de pétrole du monde. Nous avons de grandes richesses. Nous connaissons bien le monde économique et la finance. (...) Et nous semblons encore plus démunis que le tout petit nombre des convertis de la Jahiliah qui prit le Prophète (Qsssl) comme chef. Pourquoi? Est-ce du fait de la volonté d'Allah? N'est-ce pas plutôt parce que nous avons faussement interprété la religion, parce que nous n'avons pas su respecter ses préceptes et agi de façon erronée? Nous avons besoin pour notre défense, de fusils et de missiles, de bombes et d'avions, de tanks et de vaisseaux de guerre. Mais comme nous n'avons pas encouragé l'apprentissage de la science et des mathématiques, comme nous n'avons pas oeuvré pour la renaissance, nous sommes actuellement incapables de produire nos propres armes pour notre défense. Nous devons acheter nos armes à nos adversaires et à nos ennemis...»(2)
«Nous attachons plus d'importance à la forme qu'à la substance des paroles, nous nous en tenons à l'interprétation littérale des traditions du Prophète (Qsssl). L'Islam n'est pas seulement fait pour le VIIe siècle. L'Islam est pour tout le temps. Et l'époque a changé. Que cela nous plaise ou pas, nous devons changer, pas changer de religion mais appliquer ses enseignements dans un monde qui est radicalement différent de celui du premier siècle de l'Hégire. Aujourd'hui, nous, la Oumma, sommes traités avec mépris et dédain. Aucun de nos pays n'est vraiment indépendant. Nous sommes sous influence, soumis aux souhaits de nos oppresseurs qui nous disent comment nous devons nous comporter, comment nous devons gouverner nos pays, même comment nous devons penser».(2)
La marche du monde
«Est-ce que c'est l'Islam qui en est la cause? Ou est-ce parce que nous n'avons pas accompli les devoirs prescrits par notre religion? Il y a un sentiment de désespoir dans les pays et les peuples musulmans. Si nous utilisions la faculté de penser dont Allah nous a dotés, nous saurions qu'aujourd'hui, nous agissons irrationnellement. Nous combattons sans objectif, sans but autre que causer des dommages à l'ennemi parce qu'il nous en cause. En fait, nous sommes très forts. 1.3 milliard d'individus ne peuvent pas être balayés d'un coup, simplement. Les Européens ont tué 6 millions de juifs sur 12 millions. Mais aujourd'hui, les juifs dominent le monde par procuration. Ils poussent les autres à se battre et à mourir pour eux. Nous savons aussi que tous les non-musulmans ne sont pas contre nous. Certains sont bien disposés à notre endroit. (..) Même parmi les juifs, il y en a beaucoup qui désapprouvent ce que les Israéliens sont en train de faire. Nous ne devons pas nous opposer à tout le monde. Nous devons gagner les coeurs et les esprits. Nous devons construire notre force sur tous les terrains et pas seulement sur le champ militaire. Nos pays doivent être stables et bien administrés, forts sur les plans économique et financier, industriellement compétents et technologiquement avancés. Cela prendra du temps, mais on peut le faire et ce sera du temps bien employé. Notre religion nous commande d'être patients. Evidemment, c'est une vertu d'être patient. Nous devons être braves mais pas téméraires. Le pouvoir que nous exerçons est pour notre peuple, pour la Oumma, pour l'Islam. Nous devons avoir la volonté d'en user de façon judicieuse, prudente, concertée. Inch Allah, nous triompherons en fin de compte.»(2)
La recomposition du monde se fait sans les musulmans. La deuxième religion au monde est en défensive. Pendant que l'Occident, qui instrumentalise le christianisme qui y trouve son compte, fait preuve d'un mépris. Nous avons, là encore, la pénible impression que le monde musulman s'est installé confortablement dans les temps morts en invoquant le passé, plutôt que d'analyser les causes de son déclin. Assurément, le plaidoyer sans concession du Premier ministre malaisien devrait être médité pour permettre, il faut le souhaiter, à ce que cette religion qui a éclairé le monde, apporte de nouveau sa part de charité et d'espérance à une humanité en proie à une débâcle multidimensionnelle.
1.Le déclin de l'Empire ottoman Encyclopédie Wikipédia
2.Premier ministre de Malaisie: 10e session du Sommet de la Conférence islamique à Putrajaya, Malaisie


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