L'Algérien est-il devenu à ce point irritable, à bout de nerfs et agressif pour un rien? Chaque jour de ce mois de piété qui tire bientôt à sa fin, pas moins de 80 personnes défilent au niveau des services de médecine légale pour l'obtention d'un certificat d'invalidité suite à des coups et blessures volontaires. Ce chiffre communiqué à L'Expression par le service de médecine légale et de dommages corporels du CHU Frantz-Fanon de Blida, donne froid au dos. L'Algérien est-il devenu à ce point irritable, à bout de nerfs, et agressif pour un rien? «On le voit chaque minute, l'Algérien a adopté, ces dernières années, des réactions inadaptées. Il agresse un concitoyen dans le marché pour une poignée de persil ou coriandre, mais ne réagit jamais lorsqu'une femme se fait agresser dans la rue et sous ses yeux», a constaté un jeune Blidéen rencontré au niveau du quartier Ben Boulaïd, témoin d'une bagarre entre deux jeunes avant-hier. Un constat amer où l'on peut facilement déceler une violence verbale ou physique dans tous les échanges de la vie quotidienne. «On a un rush de victimes de violence depuis le début du mois sacré. Il nous est arrivé de faire jusqu'à 120 consultations par jour et dont la majorité est due à des bagarres sur la voie publique. Des actes qui vont de la violence urbaine à la violence intrafamiliale. Statistiquement parlant, on passe du simple au double durant ce mois de Ramadhan», a indiqué hier, le Pr Keltoum Messahli, chef de service médecine légale, CHU Frantz-Fanon, Blida. A 9h du matin, ils étaient environs 30 personnes à attendre devant la porte du service en question. Nous nous sommes rapprochés d'un jeune homme avec un bandage à la tête et qui a accepté de témoigner. «En tant qu'employés de l'APC on a été chargés hier, mon collègue et moi, de remplacer les lampes d'éclairage public dans le quartier de Kamarize. A notre grande surprise, un habitant du quartier est venu nous ordonner de partir sous prétexte qu'une fois montés sur l'échelle, on risquait de croiser le regard de sa femme ou de sa soeur. Il n'a pas hésité un moment à aller chercher une hache pour donner un coup au bras de mon collègue», a raconté le jeune homme qui s'excusa avec amabilité parce que c'était son tour de consultation. Un cas parmi tant d'autres et qui confirment que la plupart des Algériens, sous l'effet du jeûne, se laissent facilement hérisser et se livrent à des combats de gangs comme au cinéma. «Ce qui nous laisse perplexes, ce sont plutôt les motifs de ces bagarres et ces agressions par rapport à la gravité des conséquences», souligne le Pr Messahli. «Pour une poignée de coriandre ou un regard douteux ou de travers, et c'est le couteau qui sort», note encore le professeur, ajoutant que les conséquences sont graves. «Les blessures sont très graves, allant de traumatismes crâniens suite à un coup par une barre de fer ou encore des ecchymoses, les fractures au nez suite à des coups de poing reçus en pleine figure ou carrément la perte de la vie», La gent féminine n'est guère à l'abri de ces comportements. «Pendant la première semaine du mois sacré, nous avons délivré un certificat d'invalidité à une dame, victime d'un acte barbare de la part de son conjoint. Parce que le deuxième plat n'était pas à son goût, monsieur n'a pas hésité une seconde à verser un bol de chorba brûlante sur le visage de son épouse», raconte le Pr K.Messahli, soulignant que c'est classique durant ce mois de jeûne où le phénomène connait une recrudescence sans précédent. Notre interlocutrice a soulevé pire encore durant le mois de la «rahma». Des antagonistes se retrouvent au niveau de son service. «Il y a une dizaine de jours, deux hommes se sont retrouvés face-à-face pour une consultation suite à une bagarre qui avait eu lieu la veille. L'un d'eux n'a pas hésité à continuer la guerre et à sortir une arme blanche dans notre service», nous a-t-elle raconté. Des situations qui mettent tout le personnel en danger et qui pousse cette responsable à faire appel aux agents de sécurité à l'intérieur du service même. «Pour rétablir l'ordre, et depuis cette histoire, on est obligé d'en avoir à l'intérieur du service», avait-elle décidé. Une autre forme de violence est tout de même à signaler. Celle au volant qui reste la première cause de mortalité en Algérie et les chiffres communiqués chaque jour par les forces de l'ordre font frémir. En moyenne, pas moins de 15 morts par jour sur les routes durant le mois de Ramadhan! Parmi les victimes qui attendaient leur tour de consultation, une dame, victime d'un fou du volant. «Un vieux conducteur a voulu me dépasser dans un virage et quand il arrive à le faire de force, il m'a saccagé mon véhicule et a osé même me donner un coup sur la main. Quand je lui ai demandé ses papiers pour établir un constat, il a refusé et a fait semblant de n'avoir pas peur des suites que je pourrais entreprendre contre lui», explique-t-elle. Finalement, on conduit comme on se conduit! Pour les spécialistes, la violence qui sévit durant le mois de Ramadhan est irrationnelle, enfantine ou identique à celle des hommes primitifs. «Ce sont des réactions primaires et pas du tout raisonnées. L'individu se met soudainement à réagir de manière primitive, comme les hommes des cavernes et ceci occasionne des dégâts importants dans la société», souligne le Pr Messahli. C'est justement le moment idéal d'essayer de trouver une solution radicale à ce phénomène qui prend de l'ampleur, d'année en année et de Ramadhan en Ramadhan. Pour le Pr Messahli, il faudra ouvrir un débat sérieux sur la question. «Il faut d'abord commencer par la médiatisation du phénomène, qu'il soit débattu à haut niveau avec des spécialistes pour qu'il y ait une prise de conscience», propose le Pr Messahli. Est-ce que l'Etat, ce garant de l'ordre public, peut devenir garant de la morale publique? Une question qui mérite réflexion.