L'éducation est un progrès social... L'éducation est non pas une préparation à la vie, l'éducation est la vie même.» John Dewey Toujours accroché à la barre rouillée du bus et coincé entre la matrone et le vieux qui sentait la chique, il essaya d'occuper son esprit à observer les infortunés embarqués dans la même galère que lui. Il remarqua juste en face, une jeune femme qui faisait des efforts pour protéger son bébé des rayons ardents du soleil tandis qu'un autre enfant en bas âge, assis à côté d'elle, pleurnichait tout en la tirant par la manche de son vêtement. «Voilà, pensa-t-il, une femme qui risque de vieillir très vite à force de maternités...» Il déplora alors l'absence de toute planification dans l'espacement des naissances tout comme il lui arrivait de déplorer l'absence du mari dans la prise en charge des enfants. Tout retombe en général sur le dos de la pauvre épouse qui doit traîner avec elle toute sa descendance pour peu qu'elle ait une course à faire, au marché, à la poste. Les enfants sont partout et avec eux, le bruit et le désordre. Il avait vu en quelques années son quartier doubler démographiquement parlant: à peine le mariage a-t-il lieu par un torride après-midi d'été qu'on voit la jeune mariée promener ostensiblement une grossesse dont elle tire une certaine fierté. Au bout de quelques années, elle laisse la place à une femme excédée qui traîne derrière elle une ribambelle de mioches. Elle n'aura plus le temps de s'occuper de leur éducation: le second est-il à peine né que l'aîné traîne déjà dans les escaliers, plus tard dans la cour d'immeuble. Et leur bruit enfle à mesure qu'ils grandissent. Et c'est surtout l'éducation de ces enfants qui en souffre, surtout si le père est souvent absent parce qu'il doit aller chercher son pain très loin: beaucoup de ces enfants ont glissé inexorablement vers l'abîme de la délinquance. Par exemple, il avait remarqué que les échecs scolaires visaient surtout les enfants dont les pères étaient souvent absents, soit dans le Sud: les épouses qui sont des femmes au foyer, n'ont pu s'acquitter d'une si lourde tâche. Résultat des courses: tous ses enfants ont été virés de l'école à 16 ans en 9e Année. Leurs bulletins scolaires étaient catastrophiques et les pères, qui avaient un bon niveau, s'étonnaient que l'héritage génétique n'ait pas joué dans ce cas-là. Les enfants avaient commencé à traîner dans le quartier, puis le père les inscrivit dans une école privée afin qu'ils ne puissent pas être exposés à l'ambiance nuisible du quartier. Mais là aussi, il s'aperçut que le ver était dans le fruit: ses enfants ne faisaient pas de progrès malgré les sommes faramineuses qu'il versait chaque mois. Au bout d'une année, il se résolut à les faire sortir de cette soi-disant école. L'aîné commença à fréquenter les voyous du quartier qui lui apprirent à rouler un joint, confortablement assis sur des pierres plates, derrière les acacias qui bordent les immeubles, ils passaient ainsi des après-midi entiers à suivre les volutes de leurs cigarettes, le regard perdu...Puis, comme il fallait acheter la matière première, les garçons commencèrent à chaparder à la maison toute la monnaie qui traînait. Quand les parents s'en aperçurent, ils cachèrent leur argent et les enfants prodigues se mirent à commettre des petits larcins dans le quartier. Une chemise chez un marchand, des articles de ménage par-ci, une radio par-là puis une roue de secours. Un jour, ils allèrent même briser le carreau d'une voiture et à en voler le poste radio. Le propriétaire du véhicule, informé par les voisins, faillit les étrangler. Petit à petit les petits voleurs d'occasion se transformèrent en cambrioleurs et connurent la prison... Et les quartiers dits populaires, fourmillent d'exemples de ce type.