Les plaideurs de la partie civile ont eu raison du bâtonnier et des autres «as» constitués pour les quatre inculpés condamnés lourdement. Des amateurs de promenades en mer admiraient le beau paysage du côté de Moretti. Au large d'El Djamila (ex-La Madrague), ils sont d'abord curieux de voir un point flotter au-dessus des flots. Le bateau de plaisance est en vitesse de croisière. Il avance et permet aux occupants de découvrir un spectacle macabre: un corps flottant à proximité d'une énorme mare de sang. Liamine C., un des occupants, appelle la Marine. Il informe les autorités de ce qu'ils venaient de voir. L'instruction est donnée de ne toucher à rien et c'est ce qui explique l'immobilisme des gens aujourd'hui poursuivis. Le patron de la base, Youcef O., est, lui, inculpé d'homicide involontaire et de défaut de présentation de papiers et surtout de non-assistance à personne en danger. La famille de la victime, informée, dépose plainte. Manque de pot, le papa de la victime connaît Youcef. Il lui reproche la mort de son fils. Et tout ira vite. Les gendarmes sont connus pour leur rigueur et leur précision durant les investigations. Surpris, les inculpés, dont Liamine C. qui avait été entendu par la Marine à titre de... témoin, se voit être mouillé et poursuivi de non-assistance à personne en danger. Il trouve même que les poursuites sont abusives. Il en perdra le sommeil jusqu'à ce qu'il constitue Maître Rida Lakehal qui avait saisi les vices de formes du dossier qu'il étalera ce mardi face à une Dabouci curieusement tolérante et trop cool à cause, peut-être, du comportement des quatre inculpés qui ne pouvaient déclarer que ce qu'ils savaient... Mais certains témoins ont affirmé avoir vu le malheureux se débattre dans les eaux tumultueuses. Et la juge s'accroche à ce détail. Elle dit ne pas comprendre l'absence d'initiative en vue de sauver le blessé. D'emblée, la juge du mardi donne le ton: «Qu'on ne vienne pas me raconter que notre hors-bord se trouvait à 400 m du rivage. Tout le monde sait et voit les folles courses à quoi s'adonnent les engins de mer. Et puis, il y avait un corps qui flottait et aucun de vous à bord n'avait pensé secourir le pauvre malheureux blessé, qu'on repêchera mort par la suite», résume sans ton ni teint la présidente qui allait écouter les quatre inculpés. Un à un, ils racontent ce qu'ils avaient vu et fait. «Dès que nous avions aperçu un corps flottant et une mare de sang, nous avions téléphoné aux gardes-côtes qui avaient répondu aussitôt. Nous avons les preuves de ce que nous disons à propos de cette triste histoire.» Youcef O., le principal inculpé, se fait signifier l'accident. «C'est vous qui vous êtes adonné à de dangereuses manoeuvres», accuse Dabouci, sûre de ses propos enfonçants (elle est interrompue par une agaçante musique s'échappant d'un mobile). Maître Bentoumi pense haut: «Eteignez ce portable». «Ce n'est pas le mien!» Ce dont profite la présidente pour faire une mise au point: «Ici, c'est un lieu de travail. Vous êtes donc priés d'éteindre vos appareils.» Le bâtonnier Silini grimace. Il a senti que la juge était embarquée dans le «radeau des éléments de la police judiciaire» et il a dû penser ce que ne cesse de plaider son aîné et ami Maître Tayeb Belarif, l'avocat de Chouaïb Oultache que les juges ne sont rien en indépendance devant la police judiciaire qui est tout!» Ce qui était utile au cours de ces débats, c'est que la présidente avait permis à toutes les parties de s'exprimer longtemps. Maître Brahimi, le bâtonnier Silini, Maître Lakehal, Maître Sadouki, Maître Lakhlaf, Maître Bentoumi, Maître Kamel Gouasmia qui s'étaient aperçus du trop-plein de la tolérance de Dabouci, ont posé mille questions permettant souvent d'importants éclairages - pour le tribunal qui a beaucoup dédramatisé ce coup du destin. Mais une seule question est demeurée en suspens: quel est le bateau de plaisance qui a heurté le nageur? Une chose est certaine: il y a eu mort d'homme! Et la juge a eu la présence d'esprit de le rappeler: «C'est qu'il ne s'agit pas d'un simple accident matériel d'où on attend des dédommagements!» Elle venait de fixer le cap. Les témoins, eux, tenteront de répondre juste aux questions du tribunal avec la mise en garde de la présidente: «Ne faites pas de commentaires. Vous êtes sous serment. Attention aux déclarations mensongères!» Et lorsqu'un témoin est invité à ouvrir la bouche en n'omettant pas Allah, il perd tous ses moyens d'expression et devient amnésique! Et là, c'est vraiment sans commentaires! Maître Abdelmadjid Silini met son grain de sel et pose deux questions relatives à la position du bateau: «A l'arrêt ou en marche?» Ou encore cette question: «Est-ce que le corps humain touché par une hélice cause des dégâts au métal?» Ce qui fera plaisir au bâtonnier qui avait déjà, tout comme Maître Rida Lakehal, une info de taille: rien durant les expertises n'a laissé entrevoir que le bateau avait causé la mort du jeune Guir, 20 ans, un fan de la plongée sous-marine. Il est vrai que le tribunal avait une large idée de la responsabilité du Dounia II à laquelle Abdallah, le procureur, n'avait rien à ajouter, se permettant le luxe de suivre l'escrime tribunal-avocats et autres légers accidents de parcours sans aucune incidence sur le cours du procès. On retiendra surtout que la partie civile ne s'était pas déplacée au tribunal pour assister à une relaxe. Au fur et à mesure que l'on avançait vers la fin des débats, Dabouci, calmement, avait donné le ton d'une sentence lourde, lourde, lourde. Heureusement, en appel, le trio du juge saura mieux évaluer la «chose» et...