Le plébiscite du secrétaire général du FLN a donné lieu à une énorme liesse. Il avait bien raison Fattani en stationnant la Corolla 100 mètres plus loin. La rue Abou Nawas à Hydra, où se situe le siège du FLN, est pleine à craquer. Au moins deux mille personnes se dirigent ou sortent du siège, les voitures stationnent difficilement à même les trottoirs, les portables grésillent et on se noie dans cette masse humaine composite et bigarrée. Il est dix-neuf heures dix minutes, et on arrive difficilement à nous frayer un chemin jusqu'au bureau d'Ali Benflis. «Presse ! Laissez passez !» Il faut se frayer son chemin et passer par deux longs escaliers, un second étage et deux autres longs escaliers, un long couloir, et nous voilà devant la porte du secrétaire général, l'ex-chef du gouvernement. Celui-ci, après voir été informé de la présence de journalistes, sort, rayonnant, un peu agité, mais presque serein: «Restez encore jusqu'à la fin, vous allez entendre de grandes décisions !», lance-t-il, avant de s'éclipser encore. Son staff commence à distribuer le communiqué rédigé par les parlementaires du Conseil de la nation. Péremptoire, le propos des sénateurs FLN ressemble à un communiqué de guerre: «(...) Cette stratégie vise à la destruction des assises d'un parti majoritaire, légal et reconnu aussi bien à l'intérieur du pays qu'à l'extérieur. Les motifs de cet acharnement sont vils et exécrables et ont été imposés à l'administration par le candidat-Président et Président-candidat». Dans les couloirs, nous croisons nos confrères, Billal Zouaoui, Anis Rahmani, des personnalités politiques et médiatiques, et des correspondants de la presse étrangère. Les longues processions de délégués des wilayas se terminent dans le jardin du siège, vaste cour bordée d'arbres, où la direction du parti a décidé de tenir son congrès. Benflis, brassant les rangées de militants du regard, appréhende quelque chose. Son état-major prend place à ses côtés. Tout le monde se lève. Qassamen retentit. Le texte est chanté en entier, même la partie qui stigmatise la France et qui est généralement expurgée dans les événements nationaux officiels. Très significatif... Benflis prend le micro et lance des bribes de phrases, pleines d'émotion, chargées de défi: «Aujourd'hui, je me sens fort et immunisé avec vous, entre vous (...) Lorsque vous m'avez demandé de prendre les commandes du parti, en 2001, je pressentais que mon parcours serait jonché d'embûches et de difficultés, mais je souhaitais surtout construire un parti fort, indépendant du pouvoir, qui s'inscrit dans son temps, dans la démocratie et le libre exercice des libertés...» Longs applaudissements. Des youyous, des chants improvisés: «Hadi el-bidaya wa mazal mazal», «Benflis Président», «Bouteflika ya Atika», etc. On dirait un jour de liesse, une soirée de mariage. Sans couscous. Fattani communique à la seconde près les développements de la réunion du comité central à son staff à L'Expression. « Changez le titre !» «Temporisez un peu! Oui je sais, il est près de 20 heures, mais patientez : le congrès va se tenir dans un moment...» Le flux des délégués continuait à se déverser sur le siège, devenu exigu pour contenir ces marrées humaines. 1375 délégués vers les 1500 sont présents. Benflis semble avoir bien calculé son coup pour prendre le ministre de l'Intérieur de court. Le congrès extraordinaire du FLN s'ouvre à 20 heures, et on passe immédiatement au vote: «Y a-t-il quelqu'un qui ne souhaite pas la tenue du congrès?» Aucune réponse. «Souhaitez-vous, ici et maintenant, que s'ouvre le congrès?» Un grand «oui» fait vibrer les alentours. Les travaux des congressistes commencent. Des discours des membres de la direction sont prononcés. Des décisions sont annoncées, le plébiscite de Benflis, la condamnation unanime de la stratégie du pouvoir, celle des «renégats», très rares, qui ont déserté le parti pour le miroitement des postes de responsabilités, et surtout cela: un appel solennel aux partis pour la constitution d'un front commun contre le s et les dérives du pouvoir ! Rien de moins... Le communiqué final cristallise l'euphorie des foules. Benflis est plébiscité et choisi à l'unanimité pour être candidat unique et officiel du FLN à la présidentielle d'avril 2004. Les délégués entament un solennel Min djibalina. Mains levées, paumes ouvertes en signes d'allégeance («moubayaâ»). Les 1 500 personnes présentes, militants et sympathisants, donnent l'impression de partir en guerre. L'acte d'allégeance est fait, pour certains, sous les arbres. Très allégorique...Vers 20 h 20, un huissier de justice est désigné pour vérifier la conformité des procédures et la légalité du vote. 1375 délégués présents ont voté à main levée pour rendre applicables toutes les décisions prises par les congressistes. Au moment où on quittait les lieux, un important dispositif sécuritaire quadrillait les routes menant vers les hauteurs d'Alger. Entre Ben Aknoun et Saïd Hamdine, nous croisons le cortège présidentiel qui rentrait de son périple parisien. Au même moment, Benflis, prenant de court tout le monde, avait réussi le coup de force médiatico-politique le plus spectaculaire de la rentrée 2003 en organisant, et en réussissant, la tenue du congrès extraordinaire du FLN, à quelques heures d'une interdiction d'activer qui planait sur lui. Le ministre de l'Intérieur a dû passer une nuit...pas très calme.