Il s'agirait de proclamer avec force que l'argent ne fait pas le bonheur «Il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et mal en point» Fernand Reynaud La recherche du bonheur, dit-on, est une quête indispensable afin de ressentir pleinement son existence. Nous sommes obsédés par le bonheur, mais savons-nous cerner les facteurs y contribuant? Quelles sont les données favorables au bonheur du point de vue scientifique, économique, psychologique, politique et géographique? En d'autres termes, qu'est-ce qui nous rend heureux? (...) En tout cas, nous savons que l'accroissement des richesses n'est pas un facteur prépondérant au bonheur ou même à la satisfaction. Par contre, il faudrait s'attacher à évaluer les critères propices au bien-être au lieu de présenter des mesures économiques qui restent désespérément liées à l'économie. Il est évident que les maladies et autres troubles de la santé sont responsables d'une large part de nos malheurs. L'éducation est également influente pour notre satisfaction. En bref, pour favoriser le bien-être en société, il faudrait des relations familiales saines, une situation financière satisfaisante, un travail valorisant, des amis fidèles, la santé (physique et mentale) et la liberté individuelle. Mais est-ce suffisant? Depuis plusieurs années, des études sont faites pour montrer que le bonheur n'est pas forcément synonyme de bonheur malgré ce qu'en dit Coluche: «L'argent ne fait pas le bonheur des pauvres.» L'évolution de la satisfaction des besoins humains PIB, IDH; BIN BIB «L'homme a toujours été tenté de sérier, de comparer, de hiérarchiser les puissances en termes de potentiel indexé sur la Richesse. Pendant près d'un demi-siècle on parla de PIB (Produit intérieur brut) ou PNB (Produit national brut). Après les travaux du prix Nobel d'économie l'Indien Amartya Sen, l'IDH (Indice de développement) humain) fit son apparition. Cet IDH permet au Pnud (Programme des Nations unies pour le développement, de classer les Etats. Cet IDH ne tient pas seulement compte des données économiques, mais aussi de facteurs humains comme l'éducation, la santé, l'environnement, la place des femmes. Pour Pierre Haski, c'est un bon moyen de connaître l'état du monde, et de savoir où on se situe sur cette planète. Globalement positif sur les progrès de l'humanité, le dernier rapport fait aussi apparaître ses disparités et ses inégalités criantes. (...) Loin, très loin de cette concurrence entre pays riches, il y a un autre monde. Celui de ces dix pays, tous africains, où deux enfants sur cinq, d'aujourd'hui, n'atteindront pas l'âge de 40 ans, et dans le cas de la Zambie c'est carrément un enfant sur deux (...) Cette situation clivée se retrouve dans l'enjeu de l'adaptation aux changements climatiques, identifié par les auteurs du rapport comme le grand défi du XXIe siècle. Les plus riches ont les moyens de s'adapter et de se protéger, tandis que les plus pauvres subiront de plein fouet les conséquences du réchauffement planétaire. Encore un chiffre fort: un seul climatiseur de Floride consomme en un an plus d'énergie qu'un Cambodgien durant toute sa vie.» (1) Le BIN se veut une alternative au PIB... en tout cas, si l'on en croit le "Bonheur intérieur net", qui mesure le niveau de bien-être des populations. Cet indicateur, alternative au PIB, a connu son apogée en 2001, selon L'Expansion et le Centre d'étude des niveaux de vie. Le nouvel indice, créé comme une alternative au Produit intérieur brut (PIB), tente de mesurer pour chaque année - en remontant jusqu'à 1980 (...) Chaque élément est lui-même fondé sur différentes statistiques et le tout est ensuite corrigé par les baromètres de la confiance des ménages publiés par l'Insee et de l'institut de sondage Sofres. (...) Cet indicateur fait écho à la commission, installée en février 2008 par Nicolas Sarkozy et présidée par le prix Nobel d'économie américain Joseph Stiglitz, chargée d'identifier et de pallier les limites du Produit intérieur brut (PIB) comme indicateur de performance économique et de progrès social. Dans son rapport, la commission préconise notamment, de compléter l'indice du PIB afin qu'il mesure davantage le revenu disponible des ménages et qu'il reflète mieux la répartition des richesses et le bien-être de la population.» (2) Le bonheur est-il une notion scientifique? Le concept est donc fort sérieux et pertinent. C'est l'usage du mot «bonheur» qui pose problème et transforme cet indice en gadget médiatique. Le mot n'est-il pas plus adapté, par exemple, à un grand moment de joie collective comme la victoire de l'Algérie sur l'Egypte en 2009? Un bonheur qui n'avait pas grand rapport avec la réalité économique ou sociale du pays... «L'ONU crée la Journée mondiale du bonheur. Nous vous avions déjà raconté l'embouteillage de journées mondiales, 90 décidées par la seule ONU, sur les 200 journées mondiales que nous avions recensées. Il y a la Journée des Nations unies pour les droits de la femme et la paix internationale, ou Journée internationale de la femme (8 mars), probablement une des plus connues, la journée de poésie, la journée des oiseaux migrateurs, celle de l'amitié,... Mais il n'y avait pas celle du bonheur. Dans sa résolution, l'Assemblée générale de l'ONU «invite tous les Etats membres, les organismes des Nations unies et les autres organisations internationales et régionales, ainsi que la société civile, à célébrer cette Journée "comme il se doit", notamment dans le cadre d'initiatives éducatives et d'activités de sensibilisation» «(...) Il faut envisager d'adopter la croissance économique dans une optique plus large, plus équitable et plus équilibrée, qui favorise le développement durable, l'élimination de la pauvreté, ainsi que le bonheur et le bien-être de tous les peuples.» (3) Il existe de nombreux autres indices de bonheur que celui présenté par L'Expansion. Du Bonheur national brut (BNB) préconisé par le roi du Bhoutan. Il paraît évident que pour mesurer le bonheur d'un être humain, il faut auparavant considérer sa situation sociale. Si on se réfère à la pyramide de Maslow, on ne peut accéder à un niveau de spiritualité qu'après avoir comblé nos besoins de base (un logement, de quoi se vêtir, de quoi se nourrir), nos besoins d'appartenance. Il paraît difficile de se sentir heureux lorsqu'on dort dans la rue, que l'on mendie pour manger ou boire... A moins d'avoir un niveau de conscience supérieur, comme celui d'un moine Zen, capable de se détacher des considérations matérielles pour se mettre en méditation et jeûner...On pourrait, écrit un internaute, envisager d'initier les SDF au Zen, pour éviter d'avoir à les nourrir et les loger. Nous sommes devant un dilemme. Bonheur ou décroissance? «Préférez-vous l'économie du bonheur, ou celle de la décroissance? s'interroge le journal en ligne Slate.fr «A moins d'être un rien masochiste, le choix est vite fait: car pourquoi décroître - comme nous y engage un nombre croissant de penseurs, si le bonheur est à portée de système économique, comme a tenté de le démontrer une conférence organisée à Berkeley, en Californie, du 23 au 25 mars 2012 et modestement baptisée «l'économie du bonheur», on est persuadé que le système économique actuel mène le monde à sa perte, écologiquement bien sûr, mais aussi socialement. Et l'on milite sans relâche pour relocaliser les économies, remettre le citoyen -et non le consommateur- au centre des préoccupations, inventer une société plus lente, plus respectueuse de l'environnement et où les valeurs humaines prendraient le pas sur les valeurs marchandes. Mais au-delà des termes et des éventuelles différences d'approches, cette récente conférence témoigne que dans le monde anglo-saxon aussi, le modèle de croissance actuel est de plus en plus sérieusement contesté. (...) Cette floraison d'initiatives et de recherches est en tout cas bienvenue: écologistes, indignés, ou laissés-pour compte de la «croissance» ont besoin d'alternatives constructives.» (4) Parmi les ajouts que propose Stiglitz, pour rendre le PIB plus pertinent, beaucoup ont trait à la solidarité nationale. Il s'agit de faire en sorte que la valeur ajoutée dans l'économie par la construction d'un porte-avions et celle fournie par la construction d'une école maternelle ne soit pas comptabilisée simplement par l'argent mis en circulation à ces occasions. Ce qui est quantifiable n'a pas le même poids d'une société à l'autre et ce qui fait la différence entre le bonheur et le malheur d'une société n'est pas forcement quantifiable, comme le résume bien le mot de Bob Kennedy, rappelé cette semaine dans Psychologie Magazine: «Notre PNB comptabilise la fabrication des ogives nucléaires et les voitures de police blindées mais ne mesure ni notre humour ni notre courage.» Sarkozy parle d'une politique de civilisation, de la même façon, Martine Aubry veut élaborer un projet dit du «dépassement du matérialisme». Pour l'instant ces deux objectifs sonnent creux mais au moins, la prise de conscience et les intentions sont là... Pierre Bourdieu et le détricotage des solidarités par le néolibéralisme Une cause importante de «mauvais-être» pour ne pas dire de malheur est la précarité -au- minimum la flexibilté-qui aboutit à un CDD antichambre du chômage. Avec sa lucidité coutumière, Bourdieu constate que l'Etat Nation, garant du bonheur des citoyens- recule et abdique ses prérogatives il écrit: «Historiquement, l'Etat a été une force de rationalisation, mais qui a été mise au service des forces dominantes. Pour éviter qu'il en soit ainsi, il ne suffit pas de s'insurger contre les technocrates de Bruxelles. Il faudrait inventer un nouvel internationalisme (...) Il s'agirait de construire des institutions qui soient capables de contrôler ces forces du marché financier, d'introduire - les Allemands ont un mot magnifique - un Regrezionsverbot, une interdiction de régression en matière d'acquis sociaux à l'échelle européenne. (...) En fait, la force de l'idéologie néo-libérale, c'est qu'elle repose sur une sorte de néo-darwinisme social: ce sont ́ ́les meilleurs et les plus brillants ́ ́, comme on dit à Harvard, qui triomphent.» (5) Il s'agirait, entend-on, de proclamer avec force que l'argent ne fait pas le bonheur, qu'il y a autre chose dans la vie que l'accumulation de biens matériels. C'est naturellement faire abstraction des couches sociales qui, de plus en plus larges, peinent à joindre les deux bouts, qui n'ont d'autre choix que mal manger, mal se vêtir et mal se loger. Le remède miracle: le bien-être, notion subjective s'il en est. Il ne faudrait plus ́ ́maximiser ́ ́ la croissance, mais le bien-être et le bonheur. Avec raison en 1997, Pierre Bourdieu se posait la question "des coûts sociaux de la violence économique et avait tenté de jeter les bases d'une économie du bonheur."(6) Abondant dans le même sens, Michel Onfray et Patrick Braouezec écrivent: «La politique de civilisation que ́ ́Sarkozy président ́ ́ entend imposer nous renvoie à l'avant-1789. Retirer toutes les protections collectives, l'en-commun qui permet à chacun d'être concepteur et acteur d'un avenir humain partagé, pour livrer les individus, marchandises parmi d'autres, au service d'une économie mondialisée conçue comme source de profits financiarisés bien davantage que comme moteur de progrès. Ce projet d' "a-civilisation" est d'une extrême brutalité et d'une extrême régression. (...) Le refus de la marchandisation générale, y compris de l'homme, est non seulement le fondement d'un humanisme contemporain. (...) Chaque fois que l'organisation sociale a nié l'homme, la civilisation a reculé. (...)» (7) Et en Algérie? Une fois de plus, l'Algérie est le pays des paradoxes! Une étude nous apprend que l'Algérie a été consacrée en 2012 le pays le plus heureux du continent africain et 26e au rang mondial sur les 151 pays étudiés - nous étions 73e en 2006 et 40e en 2009 - par le New Economics Foundation, qui s'est référé à son indice de perception, le Happy Planet Index (HPI). La Tunisie deuxième après l'Algérie, 39e au rang mondial. Le Maroc 3e en Afrique et 41e dans le monde. Parmi les plus heureux viennent également la Libye, 81e, et l'Egypte, 91e. Le Costa Rica, le Vietnam et la Colombie sont les trois pays qui sont considérés comme les plus heureux au monde. Ce classement a été réalisé, en effet, en se fondant sur l'indice HPI qui se base dans son étude sur trois critères pour établir ses calculs, à savoir: l'espérance de vie moyenne, le respect de l'environnement et la perception subjective du bien-être par les habitants. Dans cette étude, il est demandé à un échantillon d'un millier de personnes dans chaque pays de donner une note «bonheur» allant de 1 à 10, tel que défini par l'indice HPI et qui comprend notamment la qualité des services publics. (8) On apprend aussi que ce que véhiculent les médias sur le malheur des pays qui n'acceptent pas d'être laminés par le capitalisme est faux: les Etats-Unis étaient 114e en 2006, la France 71e. Les bêtes noires: Cuba 7e, Venezuela 36e, la Syrie que l'on veut normaliser à tout prix 38e, loin devant les pays occidentaux. C'est dire si les clichés martelés par la doxa occidentale sont largement sujets à caution. C'est en fait de cela qu'il s'agit: le bonheur est-il indexé - comme en Occident - la possession toujours plus boulimique des biens matériels? Ne devons-nous pas chercher une autre façon d'être heureux en consommant mieux, en consommant moins et qui passe par le partage pour éviter un bouleversement irréversible de la vie sur Terre, notre seule et unique Terre? L'addiction aux choses superflues devrait nous inciter à militer pour les "fondamentaux". Que faut-il pour être heureux sans dépasser l'empreinte écologique que la Terre met gracieusement à notre disposition? C'est un changement total de paradigme qui devrait nous permettre de ré-étalonner les valeurs essentielles de la vie.(9) La journée du bonheur proposée par les Nations unies est un recul. Elle sous-entend que les autres jours, les hommes peuvent être malheureux. C'est de fait un constat d'échec de sa mission. L'humanité n'est plus capable de garantir qu'une journée où il n'y aura pas de malheur... 1.Pierre Haski: Développement humain: le danger d'un apartheid planétaire Rue89 29/11/2007 2.C'est en 2001 que les Français étaient les plus heureux... L'Expansion.com - 24/08/2009 3. http://www.slate.fr/lien/58681/journee-mondiale-bonheur-nations-unies. 30 06 2012 4. http://www.slate.fr/story/54453/crise-economique-bonheur12 05 2012 5. Pierre Bourdieu: Le mythe de la ́ ́mondialisation ́ ́ et l'Etat social européen Intervention à la Confédération générale des travailleurs grecs (GSEE) à Athènes, en octobre 1996. 6.Pierre Bourdieu: L'essence du libéralisme, le Monde diplomatique mars 1998. 7. Patrick Braouezec et Michel Onfray: Une politique de régression Le Monde 21.01.08 8. Abdallah, S., Thompson, S., Michaelson, J., Marks, N., Steuer, N. et al. (2009). The Happy Planet Index 2.0. New Economics Foundation. 9. Chitour http://www.notre-planete. info/actualites/actu_1926_convulsions_monde_survivre.php