La hausse des prix s'inscrit dans la durée Les spéculateurs font tout pour créer des situations de pénurie et de rareté. Les prix connaissent un emballement inquiétant et porteur de perturbation. Et la crainte est grande de voir tout le climat social se détériorer. Ces constats alarmants sont contenus dans le Mémorandum relatif à la politique de maîtrise des prix et de sauvegarde du pouvoir d'achat élaboré par l'Ugta et le Cnes, transmis au président de la République et dont L'Expression a obtenu une copie. Les institutions à la tête desquelles se trouvent respectivement Abdelmadjid Sidi Saïd et Mohamed Seghir Babès ont ainsi délivré un verdict sans concession. Ils ont tous les deux attiré à plusieurs reprises l'attention sur «les limites des politiques publiques à agir sur la pression des prix de consommation qui risquent de devenir insupportables à moyen terme». Les rédacteurs du document vont jusqu'à affirmer que la hausse des prix s'inscrit dans la durée, ce qui ne ferait «que compliquer davantage les efforts de stabilisation sociale». Il est précisé que sur les cinq premiers mois de l'année, l'inflation est de 9,3%. Celle des produits alimentaires est de 12,4%. A quoi servent dans ce cas les hausses des salaires? Réponse de Sidi Saïd et de Babès: le relèvement du Snmg et la hausse des salaires en faveur des fonctionnaires et des travailleurs du secteur économique n'ont pas été suffisants car ils «ont été vite absorbés par l'inflation», selon la même source. Le pouvoir d'achat des catégories les plus faibles s'en trouve affecté, à quoi s'ajoute une accélération des disparités en matière de revenus. L'avertissement est clair: «Les effets de tels phénomènes peuvent aller jusqu'à réduire la portée des politiques de cohésion et de stabilité sociales.» Plus explicite, le document va jusqu'à affirmer que l'accélération du processus inflationniste risque d'installer de nouveaux processus contestataires portés par les oubliés de la croissance, les faibles revenus et les sans-emploi. De là à dire qu'on n'est pas loin de revivre les émeutes de janvier 2011, il n'y a qu'un pas. Paradoxalement, le rapport n'hésite pas à souligner que les augmentations salariales ont contribué à l'inflation. De nombreux éléments ont conduit à cette situation désastreuse. On identifie la faiblesse de la production nationale, la volatilité de la production agricole ainsi que la spéculation et l'informel et la faible maîtrise de la chaîne du commerce extérieur. Autant de raisons qui conduisent à des manipulations faisant valoir des phénomènes de rareté et de pénuries organisées. La gestion des finances de l'Etat, le contrôle public et la régulation commerciale sont aussi montrés du doigt par le mémorandum. Ce dernier va même jusqu'à concéder que les pouvoirs publics ont livré le marché aux forces de la spéculation, sans aller jusqu'à identifier les acteurs de ce laisser-aller. Et pourtant. En moins de quatre ans, 300 000 magasins ont été créés sans que les prix ne connaissent une courbe décroissante. C'est suffisant pour inciter les deux organisations à décréter «l'urgence pour les pouvoirs publics d'agir dans un pays qui...n'a pas la maîtrise suffisante de ses structures de marché et de distribution». Pour autant, rien n'est définitivement joué. On s'évertue à croire que le dialogue social et la relance de la production nationale sont susceptibles d'inverser la tendance et de sonner le glas de l'inflation. Les aides aux familles, le soutien à l'emploi de jeunes et à l'habitat, et d'autres initiatives encore, ont coûté à l'Etat 278 milliards de dinars et aurait pu contenir l'inflation mais, hélas, cela n'a été possible que grâce aux revenus des exportations pétrolières. Mais jusqu'à quand? s'interrogent les rédacteurs du mémorandum qui parlent d'un déficit du budget de l'Etat. L'Ugta et le Cnes expliquent que leur démarche intervient pour alerter les pouvoirs publics et mettre l'accent sur le fait que l'inflation et le chômage sont des problèmes lancinants. Et puisqu'on est au chapitre des révélations, le rapport n'hésite pas à stigmatiser les écarts entre les revenus du travail et ceux du capital. En clair, les riches ne paient pas assez d'impôts, ce qui vient «renforcer le creuset des disparités sociales». Le mémorandum est donc loin de s'attarder sur les causes économiques de la pauvreté mais étend sa réflexion à des causes sociales et politiques. Les élections peuvent-elles y changer quelque chose?