Le débat s'amorce. Le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (Cncppdh), Farouk Ksentini, est revenu, jeudi dernier, sur la détention provisoire dans notre pays. Il donnait suite à la réponse que lui avait faite, la veille, le directeur général de l'administration pénitentiaire, M.Mokhtar Felioune, sur ce même sujet. Selon le responsable de nos prisons, «la détention provisoire ne dépasse pas 10% de la population carcérale» rectifiant le pourcentage de 30% donné par Ksentini. Toujours selon Mokhtar Felioune, les 130 établissements pénitentiaires du pays «hébergent» 55.000 détenus. Ce qui veut dire qu'il y aurait près de 17.000 citoyens en détention provisoire selon Ksentini et «seulement» 5500 selon Felioune. Une lamentable bataille de chiffres. Qu'il y ait un seul Algérien en détention provisoire que cela ne changerait rien au problème. L'essentiel est de savoir pourquoi et comment ce citoyen est privé de sa liberté. Chacun sait que ce mode d'internement précède toujours le jugement. Et donc, conformément à notre Constitution il bénéficie de la présomption d'innocence. Ce qui n'empêche pas le magistrat de le mettre en prison avec ceux qui purgent leurs peines après avoir été jugés et reconnus coupables. En cela, Ksentini a raison de dénoncer «l'effet pervers, toxique et indésirable qui transforme la présomption d'innocence en une présomption de culpabilité». Un seul jour de prison, un seul jour de privation de liberté pour quelqu'un qui s'avérera innocent est d'un impact gravissime sur l'individu, sa famille et par son étendue sur toute la société. Ses séquelles sont insondables. Ce débat n'est pas seulement celui des experts, il interpelle tous les citoyens. Prenons le cas d'une personne soupçonnée avoir commis un délit et qui est arrêtée la veille d'un week-end. Chacun sait que la présentation au parquet ne se fera qu'au premier jour de la semaine. La personne passera déjà deux jours en cellule en attente de présentation. Deux jours de privation de liberté. Une première peine à laquelle il n'est pas rare que vienne s'ajouter un mandat de dépôt en attendant la comparution du prévenu qui n'est pas encore accusé. C'est-à-dire qu'il rejoindra le pénitencier jusqu'au jour de l'audience du tribunal. Un temps qui dépend de la charge de travail de ce même tribunal. D'autres jours de privation de liberté s'écoulent encore. Et si au bout, celui qui a été trimbalé de commissariat en prison obtient la relaxe, il ne se trouvera personne pour s'en plaindre évidemment. Mais qui peut évaluer le mal et l'étendue de ses séquelles causés à celui qui s'est avéré, en définitive, innocent? Qui peut évaluer les effets psychologiques causés à cet innocent et ses retombées sur la société par cette tranche de vie en milieu délinquants et criminels? Les experts peuvent épiloguer dans leur langage savant sur cette question nous n'avons ni les capacités ni le savoir pour les suivre sur ce terrain. Néanmoins et avec seulement du bon sens, disons que la proposition du président de la Cncppdh qui consiste à réformer la détention provisoire pour ne la rendre possible que par une décision collégiale est sage. On peut y ajouter une substitution de la libération sous caution qui existe sous d'autres cieux mais pas chez nous, par une sorte de «mise sous tutelle provisoire» du prévenu. Par la garantie de la présence du prévenu à l'audience que donneraient deux de ses parents. Les formules existent comme la création de «quartiers» séparés. Il faut les chercher. L'effort vaut la peine. Pour ne pas ajouter aux maux dont souffre la société, d'autres maux qui surgiraient de ce qu'on croyait être la «guérison». Oui, le débat s'amorce. Il faudrait qu'il s'élargisse à d'autres spécialités des sciences humaines. Pour ne pas rester dans des pourcentages alors qu'il s'agit d'un sujet autrement plus sérieux!