«Aucun éditeur ne vit de son métier au Burkina» Professeur de langue germanique à l'université de Ouagadougou, Jean-Claude Naba est également fondateur et directeur général de la maison d'édition Sankofa& Gurli. Depuis 2004 il est aussi président de l'association des éditeurs au Burkina. C'est dire que le sort du livre au Burkina Faso mais aussi ses différentes langues parlées sont vraiment son cheval de bataille. Nous l'avons rencontré au stand Esprit Panaf, Sila 2012. L'expression: Vous avez lancé une maison d'édition en littérature et depuis 2004 vous êtes président de l'association des éditeurs au Burkina. Tout d'abord, comment devient-on éditeur au Burkina Faso? Jean-Claude Naba: Dans mon cas précis je suis devenu éditeur sur la base d'un engagement à l'origine d'étudiant intéressé par la politique et le devenir de son pays, qui a accédé à l'indépendance en 1960 mais dont la langue officielle restait la langue coloniale donc le français. J'ai fait des études germaniques et la question s'est posée au cours du débat entre jeunes étudiants justement intéressés par les questions politiques de leur pays. La question était: à quoi sert d'être un Germaniste pour un pays africain? Un jeune Etat qui vient de s'émanciper semble-t-il de la colonisation française... Donc l'une des réponses que nous avions trouvée ou que nous donnions c'était qu'il fallait dans tous les cas, quelle que soit la langue ou les langues que l'on apprenait à côté, une nécessité absolu de revaloriser les langues africaines, les plus parlées dans les pays africains. Sans elles aucun développement ni indépendance réelle n'est possible. Donc, c'est avec cet arrière-plan que je me suis personnellement intéressé à l'édition. Je n'ai pas fait d'études dans ce sens. Je suis parti de mon pays en Côte d'Ivoire d'abord, en Allemagne ensuite, pour des études germaniques et donc l'apprentissage de l'édition s'est fait on peut dire parallèlement à mes études. Ceci dit, il est vrai qu'aujourd'hui à l'Université de Ouagadougou dans le cadre du programme du département d'art de communication il y a la possibilité d'accéder disons à certains aspects du métier d'éditeur mais il n y a pas de formation en tant que tel clairement formulée. Vous avez brossé un tableau assez noir de la situation de l'édition au Burkina Faso l'autre jour... Tout à fait. Comme je l'ai dit, à ma connaissance il n y a pas d'éditeur qui vive de son métier d'éditeur au Burkina. Nous sommes tous des gens passionnés du livre et de la lecture. Nous avons un certain engagement pour la culture. Nous lançons dans l'édition, y compris des auteurs qui s'établissent comme éditeurs et qui font de l'édition à compte d'auteur. A quoi sert votre association? L'association est un moyen pour nous de nous faire entendre, de nous faire voir, donc de peser autant que faire se peut face aux autorités, au ministère, de façon à impulser une certaine dynamique culturelle en faveur du livre et de l'écrit. Etablit-elle des relations avec l'étranger? Oui... on peut même dire que ce sont les relations avec l'étranger qui ont mené à la naissance de cette association. Vous avez peut être entendu parler de Apnet (african publishers network) qui est une association panafricaine d'associations d'éditeurs c'est-à-dire que les éditeurs ne s'associent pas à cette association panafricaine en tant qu'éditeurs individuellement mais en tant qu'associations nationale. La nécessité d'avoir des contacts, des appuis à l'extérieur a amené les éditeurs burkinabais de l'époque, depuis 2000 à se constituer en association afin de pouvoir adhérer à Apnet Cela a-t-il porté ses fruits en matière de coédition. Avant d'en arriver-là, comme je vous l'ai dit, il n y a pas de programme de formation au métier d'éditeur, car nous avons tout appris sur le tas. Il y a eu donc la nécessité d'améliorer ce métier. Etant membre d'Apnet, les associations nationales d'éditeurs bénéficient d'ateliers et séminaires de formation dans les différents secteurs du métier d'éditeur. C'est ainsi que nous avons pu améliorer nos compétences et nos connaissances dans l'édition. On a pu donc progresser d'une part et d'autre part il y avait bien sûr un grand intérêt à profiter de l'expérience d'autres éditeurs ou de maisons d'éditions venant de pays totalement différents, du Nord au Sud. De par votre présence ici au Sila, avez-vous établi des contacts ou relations avec d'autres éditeurs notamment? Votre présence a-t-elle été bénéfique pour votre association? Disons que je commence d'une façon très personnelle et j'évolue après vers l'institutionnel. D'un point de vue personnel, je suis toujours fasciné par la quantité d'ouvrages imprimés, le monde qui s'y intéresse et l'intérêt qu'on porte au livre. Je constate que le public algérien semble avide de livre et de lecture. Je suis fasciné et agréablement surpris et touché de voir le nombre de jeunes et d'enfants qui circulent entre les stands. Ce sont des images que j'emporterai toujours avec moi parce que cet intérêt pour le livre, il faut pouvoir l'ancrer partout, à commencer par mon pays d'origine. Au-delà de ça, j'ai eu l'occasion d'établir des contacts avec au moins une maison d'édition pour l'instant et je verrai dans quelle mesure initier un projet de coédition. Il s'agit des éditions Casbah. J'ai trouvé un livre qui m'a intéressé. Mon idée serait de traduire cet ouvrage - qui est en français - ces histoires populaires dans au moins une des langues qu'on parle au Burkina. Il s'agit des histoires de Djouha. Ce sont des histoires qui me parlent directement. Vous avez dit l'autre jour une chose importante concernant la francophonie et la promotion de langues africaines, la France étant le seul pays désigné par sa langue... Le français est la seule langue évoquée dans la charte francophone. On dit que le but ou les objectifs de la francophonie sont entre autres de promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique. Donc nous avons une langue face à une centaine de langues. Inclure, en effet, la diversité linguistique dans le volet culturel serait un leurre.. C'est un raccourci. Selon les définitions, la langue fait partie de la culture mais il y a des moments où il faut le dire pourtant de façon très claire puisque la culture est toujours portée par un support linguistique. Il est quand même étrange et quelque peu gênant pour moi de constater que cette diversité linguistique n'est pas prise en compte de façon explicite dans ce que j'appelle la charte francophone. Des projets en vue? Nous sommes pour l'instant - je parle de ma maison d'édition - dans une situation où je cherche des soutiens et des appuis. Je suis à un âge où je suis de moins en moins intéressant pour l'édition. Il faut penser à la relève. J'ai 56 ans. dans tout les cas il faut penser à la relève. Il y a des jeunes qui travaillent avec moi mais je n'ai pas les moyens de les former car je suis enseignant à temps plein à l'université. Etre enseignant c'est à temps plein et être éditeur ça l'est aussi. Je me rend compte, qu'à mon âge je ne suis pas aussi efficace q'il y a dix, voire 15 ou 20 ans. Il faut avoir plus de collaborateurs et les former. Ce à quoi, je vais m'atteler probablement, c'est de trouver des partenaires algériens qui seraient en mesure de m'accompagner dans ce besoin de formation. La coédition dans tous les cas, oui mais cela veut dire qu'on est suffisamment outillé soi-même, bien assis et que l'on propose un projet de coédition à l'autre. Mais objectivement, la maison d'édition a beaucoup de faiblesse. Elle n'est pas jeune mais elle a travaillé jusqu 'à présent avec les moyens du bord. Le paradoxe est qu'avec peu de moyens, la maison d'édition a réussi à conquérir la confiance d'un certain public et de certaines institutions au Burkina. Cette confiance risque de s'effriter car la maison d'éditions, pour des raisons de temps et de personnel, n'a jamais réussi à s'agrandir de façon à répondre à la demande croissante, car il faut le dire, ces dernières années, je reçois régulièrement des manuscrits et j'ai de la peine à répondre à toute la demande d'édition.