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«J'ai puisé dans les archives de la Maison-Blanche»
HOCINE MEZALI, ECRIVAIN, À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 06 - 11 - 2012


Hocine Mezali
L'Expression: Qu'avez-vous appris en premier en décidant de vous immerger dans la littérature après plus de 40 ans de journalisme?
Hocine Mezali: D'abord, à dominer ma hantise de la feuille blanche alors, qu'en principe, le trac ne devait avoir nulle emprise sur moi, surtout après plus de quatre décennies de journalisme durant lesquelles j'ai dû rédiger des milliers d'articles, interviews, des commentaires et des reportages en parcourant des milliers de kilomètres aussi bien à travers l'immense territoire de notre pays qu'à l'étranger. Malgré une longue expérience; dont j'assume l'entière responsabilité jusqu'à la petite virgule, il reste qu'il n'était écrit nulle part que mon passage du journalisme à la littérature, se fasse comme une lettre à la poste.
Pourquoi? Parce que rien ne garantit à quelqu'un, dut-il être ou avoir été brillant journaliste, la possibilité d'embrasser une carrière d'écrivain sans posséder intrinsèquement les qualités nécessaires pour accéder aux exigences d'une si noble mission. Dans la mesure où, a contrario, la littérature qu'il produirait ne volerait pas bien haut et son contenu serait celui d'un grimaud qui continuera probablement à publier en continuant de s'enfoncer dans la médiocrité. Ce n'est fort heureusement pas mon cas. Vous avez dû certainement remarquer aussi que j'ai fait mes premiers pas en littérature alors que je jouissais encore du statut de «flâneur salarié», c'est-à-dire de Grand reporter, un grade que les experts de l'information, ont toujours placé au sommet de la hiérarchie éditoriale.
Dites-nous Hocine Mezali, quel type de littérature vous fait-il littéralement dresser les cheveux sur la tête lorsque vous apprenez qu'un ouvrage du genre vient de paraître?
Les autobiographies.
Pour quelle raison particulière?
A cause du manque flagrant d'objectivité qu'elles expriment et forcément aussi l'absence au moins partielle de vérité qui les caractérise. Outre ce constat, vous savez aussi bien que moi, cher monsieur, que les hontes et les petites lâchetés qui façonnent et nourrissent nos vies, les autobiographes préfèrent ne pas les évoquer pour éviter de ternir le prestige qu'ils ont si laborieusement peaufiné au cours de leur existence pour donner le change. Vous n'ignorez certainement pas que l'homme a toujours cherché à représenter la perfection aux yeux de ses semblables. Aussi, quel meilleur moyen que l'autobiographie pour s'en bâtir une en croyant qu'elle restera inattaquable jusqu'au jour où une source cachée sorte de son mutisme et produise à son tour des preuves pour remettre les pendules à l'heure. On n'est jamais à l'abri d'une rectification opportune, fut-ce à titre posthume.
Pour construire votre dernier ouvrage, on imagine que vous en avez consulté des sources et recoupé des informations liées directement ou indirectement à Ferhat Abbas? Pouvez-vous nous en parler?
Comme dans ma mémoire, Ferhat Abbas a occupé en permanence une place privilégiée, j'ai dû, durant de longues années, rechercher pour les lire et, partant, y réfléchir tout document, biographies, allusion faite à son parcours, polémiques et attaques dirigées contre lui, diatribes émanant des autres partis pour lui nuire, sans oublier ses propres écrits et les erreurs qu'il a pu commettre ici et là, après tout, nul n'est parfait. Mais vous verrez, ma besace ne contient pas que cela. Pour rester et profiter des évènements essentiels qui ont façonné le contexte de l'époque, j'ai dû recourir aux archives de la Maison-Blanche traitant de toute la période de la Seconde Guerre mondiale. Quant à la naissance du Manifeste du peuple algérien que Ferhat Abbas composera dès son installation comme pharmacien rue Syllègue à Sétif, j'ai dû, avec un plaisir renouvelé, puiser dans ce que j'ai appelé les archives de 1973. J'ai eu alors la chance de me retrouver puisant à satiété dans des témoignages non seulement inédits jusque-là mais confrontés à une rarissime probité des protagonistes de l'époque. Vous avez sûrement remarqué en lisant le livre, le foisonnement des sources qui m'ont prêté main-forte pour élaborer mon texte ainsi que la qualité des intervenants nationaux et étrangers qui ont gravité autour du Congrès des AML durant son déroulement. Je ne vous parlerai pas du service d'espionnage qui s'y est non seulement intéressé de très près mais qui, grâce à un certain Ziad, avait résolu d'informer Ferhat Abbas des dangers qui guettaient le Congrès pendant son déroulement.
Qu'y a-t-il de plus dans votre livre que d'autres écrivains n'ont pas utilisé pour enrichir les leurs?
Pour tout vous dire, à cette question je ne saurais répondre dans la mesure où, lorsque leurs livres sont sortis et, par la suite, étaient bien accueillis par les médias, me trouvant en pleine concentration sur mon ouvrage, je n'ai vraiment pas eu la latitude de les lire. Ce n'est, certes, que partie remise et s'il arrivait que je n'en lise aucun cette fois, j'espère pouvoir être en mesure d'en lire d'autres, des dizaines d'autres encore sur Ferhat Abbas qui demeure jusqu'à plus ample informé, un sujet de méditation inépuisable. Abbas, c'est du moins ainsi que je l'imagine, restera un sujet de réflexion inaltérable tant que le mal qu'il a subi de la part de ses compatriotes, existera encore. Son traitement par les historiens ne cessera de prendre de la consistance et l'intérêt qui lui sera porté ressemblera, j'espère, à celui de Napoléon 1er, l'absence d'humanisme de celui-ci en moins, dont l'historien soviétique Evgueni Tarlé, avait rappelé, à la fin des années 1950, qu'il avait été écrit dans le monde à cette époque de référence, plus de 200 mille ouvrages relatant ses victoires, ses intempestives sautes d'humeur, son impérialisme revanchard, sans parler des frasques qui, avec la retraite de Russie, lui ont valu un historique et confortable exil à St-Hélène en même temps qu'une disqualification définitive.
La volonté que vous avez mis à dépeindre aussi passionnément l'homme d'Etat le plus controversé d'Algérie, ne constitue-t-elle pas un signe visant à sa réhabilitation définitive aux yeux du peuple algérien? Ferhat Abbas mérite-t-il plus que d'autres d'entrer au Panthéon des héros?
Quand un homme de cette envergure, un homme qui a consacré toute sa vie à lutter contre les injustices coloniales sous toutes les formes que l'Histoire nous a plus ou moins révélées, un homme qui a non seulement lutté pour l'indépendance mais aussi pour la démocratie, se voit interdire impudemment l'accès à la considération populaire, on se demande si dans l'histoire de notre pays, comme surenchérissent encore certains, il n'y aurait pas matière à enquêter davantage pour savoir s'il n'y a pas eu d'occultations volontaires. Quant à savoir si Ferhat Abbas mérite largement d'entrer dans le Panthéon des pionniers qui forgèrent la conscience nationale, aucun doute là-dessus, j'y souscris sans la moindre hésitation. Je rappellerai simplement que, selon les priorités de Abbas, sa mobilisation avait d'abord touché ses condisciples de la Fac d'Alger pour en faire le fer de lance de la protestation anticoloniale, après quoi, il entreprit de soulever les masses à travers une mobilisation qui a abouti aux bombardements de la région de Sétif, Kherrata et Guelma par l'aviation française agissant sur ordre express du titulaire à l'époque du portefeuille de la guerre, à savoir Charles Tillon, ministre communiste de son état, soit dit en passant.
D'autres projets en perspective?
Il y en a déjà un en cours et il y en aura sûrement encore tant que le souffle de vie qui nous anime ne nous fera pas faux bond.


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