«Le pharmacien de Sétif» a eu un itinéraire politique exceptionnel. Tout le monde s'accorde pour le dire. Sans doute avec des nuances, car la politique sévère ignore souvent l'opinion du coeur, et parfois elle s'en vante pour se justifier. De plus, comme le dit l'historien Jacques Le Goff: «L'histoire déclenche tout naturellement des passions.» Sans doute aussi, et heureusement, l'action de Ferhat Abbas a été celle d'un homme, mais d'un homme algérien en devenir, évoluant avec son temps, passionné pour son pays et pour son peuple, à une époque qui compte parmi les plus douloureuses et les plus décisives de l'histoire moderne de la résistance algérienne à la colonisation. Aussi, l'ouvrage, intitulé Ferhat Abbas, une autre Algérie (*), de Benjamin Stora et Zakya Daoud, est-il fort intéressant. Il est instructif par le volume, la diversité et la qualité de sa documentation. A bien des égards, il est utile à un esprit curieux et analytique, mais il doit se lire d'un oeil exercé à la vigilance - justement en raison des passions et des enjeux que le temps des malentendus et des déceptions transforme souvent en crises cycliques qui ne manquent pas d'empoisonner les relations franco-algériennes. De fait, les coauteurs s'adressent aux Français et aux Algériens. Ils essaient dans leur ouvrage de montrer davantage aux jeunes d'aujourd'hui et de rappeler aux anciens de la colonie, et davantage aux nationalistes, compagnons de lutte, adversaires respectueux et respectables, ce que fut la vie politique de Ferhat Abbas qui, encore «jeune révolté», s'était forgé le «provocant» pseudonyme de «Kamel Abencerage» et spécialement comment s'est formée cette brillante figure du nationalisme algérien.