Que ce soit à Alger ou dans les plus grandes villes du pays, c'est le rush sur les bûches. De Noël, s'entend. En effet, et alors que le débat bat son plein en France sur les signes extérieurs de religion, les Algériens entendent «vivre» et laisser vivre et ne s'encombrent pas de considérations religieuses limitatives ou culpabilisantes. L'heure est aux fêtes de fin d'année où les réservations, pour les plus nantis, se font longtemps à l'avance dans les grands hôtels et autres endroits prisés de la capitale; les gérants de restaurant ne manquent pas, eux aussi, de mobiliser toute une campagne publicitaire où ils proposent dîners dansants et autres plats qui se prêtent à la circonstance. A travers les artères de la cité, vitrines et étals de cartes postales rivalisent en variété d'articles pour aguicher les clients auxquels l'on propose parfois des sapins de Noël et des poupées de père Noël aux couleurs Coca-Cola. Les Algériens fêtent donc non seulement le traditionnel passage au nouvel an mais également Noël. Un fait. Les rues de la capitale grouillent inhabituellement de monde. Une ambiance particulière qui donne de l'appétit aux traiteurs qui s'ingénient à donner les formes les plus inattendues aux bûches qui vont enfin leur permettre de finir en beauté toute une année d'exercice commercial ; une aubaine lucrative pour eux, font remarquer certains. Pour les plus discrets et qui tiennent à marquer la transition vers 2004, il s'agira d'organiser un dîner dans l'intimité du foyer avec une bonne «rechta», de la dinde, un bon gâteau qu'agrémentera une délicieuse eau gazeuse. Et pourquoi pas des pistaches ou des cacahuètes pour accompagner le thé de la soirée, comme le précise Leïla qui, en se séparant de ses collègues de travail, ne manque pas de leur souhaiter la bonne année. Or si une partie de nos compatriotes se place carrément dans l'universalité et ne s'embarrasse pas de paramètres religieux, c'est loin d'être le cas pour nombre d'Algériens qui estiment, à l'image de cet étudiant en médecine que «la société algérienne loin de marcher avec son temps est plutôt victime du temps qui la fait marcher», ajoutant que le peuple ou une partie du peuple montre et démontre qu'il suit aveuglément d'autres traditions que les siennes. Ce dernier relève avec étonnement que quelques restaurants ont garni leurs seuils d'un sapin de Noël : «C'est grave ça ! Un sapin dans une Algérie où l'on fait des bénéfices aux dépens des traditions et de la religion, sans aucune hechma!» Un avis que partage même des universitaires qui y voient un comportement d'aliénation puisqu'en contradiction avec les préceptes de l'islam : «Pensez aux enfants, il va bien falloir leur expliquer le pourquoi de la crèche sous le sapin, l'enfant Jésus et les rois mages!», soutiennent-ils comme pour faire valoir la nécessité de peser les conséquences d'un comportement par trop suiviste. D'autres font remarquer, par humour, que même le christ qui est né en Palestine aurait eu du mal à trouver un sapin sous lequel s'abriter ; puisque c'est un arbre du nord et non du sud de la planète. Finalement la tradition chez nos compatriotes est justement d'enfreindre la tradition et même nos augustes imams, qui ont donné leur langue au chat, semblent ne donner aucune fetwa à ce sujet controversé.