Les Adieux de Noël, publié aux éditions françaises Société des Ecrivains, est le premier roman de Chabane Chouitem. Licencié en langue française à l'Université de Blida, l'auteur, prépare, actuellement , un magistère à Nice. Dans cet entretien, l'écrivain, revient sur la genèse de son roman. Il nous livre des séquences-clés de cette intrigue amoureuse. Les Adieux de Noël est un roman qui rattache les deux rives de la Méditerranée, à savoir l'Algérie et la France, tout en dénonçant subtilement les barbaries que l'homme n'arrête pas de léguer de génération en génération... Les Adieux de Noël est, en effet, l'histoire d'un amour et l'amour d'une histoire à la fois. C'est un espace très vaste, complexe et conflictuel, où les personnages sont en crise. Ils essayent de comprendre leurs identités respectives, leurs différences ainsi que tous les phénomènes qui affaiblissent leur amour. Ils s'aiment vraiment, certes, mais leur amour bute à de plus en plus d'obstacles les plus virulents, et pour cause, leurs religions sont différentes. Ce sont des personnages qui représentent réellement chacun une religion, une culture, une identité. Mais si j'ai choisi l'intrigue amoureuse, le but était pour moi, à la base, celui de baigner le texte dans une douceur et des sentiments qui sont à peu près communs à tout le monde. Tout lecteur, quelle que soit son origine, est concerné par l'amour, et ceci lui permet donc de se familiariser avec mon texte ; mais une fois la lecture commencée, mon lecteur plonge dans un univers pathétique, sans repères et très hostile, mais aussi envahi de douceur. Vers quoi ce paradoxe renvoie-t-il ? A l'hypocrisie bien sûr ! Je me suis donc servi de ce procédé, en étant moi-même hypocrite, pour présenter l'histoire et la situation de mes personnages sous le couvercle de l'intrigue amoureuse, mais le fond de l'histoire est malheureusement triste. En effet, rien qu'en sachant qu'il tient entre les mains le parcours et toute l'histoire complexe de deux personnages affligés, qui sont finalement les porte-voix de deux différentes sociétés , le lecteur a un seul but : explorer le riche univers de la bêtise humaine. C'est en ce sens que Les Adieux de Noël, un roman qui en cache un autre dirais-je, s'éloigne carrément du texte plat, et c'est ainsi qu'ils rattachent les deux pays ennemis d'hier. Le roman revisite, somme toute, la triste histoire coloniale et reprend quelques-unes des pages de cet héritage commun aux Français comme aux Algériens pour les étaler au grand jour. Il rappelle surtout, que l'histoire coloniale a fabriqué beaucoup d'images, plusieurs sobriquets et a causé de monstrueux crimes indignes de l'homme moderne. Aujourd'hui, même si la guerre est finie sur le terrain, elle est toujours présente dans les esprits. Il n'est pas directement question d'histoire dans votre roman, mais plutôt de cette histoire d'amour. Il y a tout un sens ? Parfaitement. Il est clair que le roman n'est pas du tout historique, il en est bien loin (Rires). Cependant, et je dois être franc là-dessus, l'intrigue amoureuse est pour moi le meilleur support pour accaparer les destins tragiques de mes personnages. Je ne sais pas comment ce choix m'était venu à l'esprit, mais je ne voulais pas reprendre l'intégralité des événements historiques, ni revisiter l'histoire pour trouver des solutions au malaise de la guerre. Mon travail est tout à fait différent de celui de l'historien, il repose beaucoup plus sur la société et ses petites gens, sur les préjudices psychologiques et moraux qui subsistent encore aujourd'hui. Et ce qui m'intéresse le plus, car je ne peux que me réjouir comme tout le monde du fait que la guerre ne soit qu'une histoire passée, ce sont les répercussions de cette très grande tragédie d'hier sur nos sociétés d'aujourd'hui. Vous ne pouvez que le constater, nous demeurons les colonisés et beaucoup de gens croient encore aujourd'hui, que les Français étaient réellement venus nous civiliser, mais pas dans le but de nous tuer. Et comme il est de coutume de transmettre chaque héritage de génération en génération, dans le cas de mon roman, on transmet la haine et la tragédie. C'est pour toutes ces raisons, la guerre étant la chose la plus affreuse que l'homme ait inventée, que j'ai contourné les horreurs indicibles pour envelopper mon texte de qualités humaines beaucoup plus intéressantes et tolérantes. Mais j'ai respecté les exigences de l'histoire en n'y changeant strictement rien. Pourquoi avoir choisi de mettre en exergue la dualité des religions à travers cet amour impossible ? Je ne fais qu'adopter le schéma social, je restitue, et j'essaie de le faire le plus fidèlement possible, la vérité telle quelle. On a l'habitude d'attribuer une religion à chaque origine et une origine à chaque religion, ce qui est à mon avis très dangereux. Et le cliché veut que tous les arabes soient musulmans, que tous les musulmans soient arabes. Et comme, bien entendu, on a également l'habitude d'opposer les religions, de les comparer et de n'y voir tout le temps que des dichotomies et des divisions. Ainsi chacun s'approprie une religion pour en rejeter une autre, et quand on réfléchit de cette manière — en attribuant une religion à chaque peuple et un peuple à chaque religion — on rejette toute personne qui n'adhère pas à ses idéaux. Ceci pose un sérieux problème et m'intéresse à plus d'un titre. Voilà pourquoi je suis passé par les religions, c'est tout simplement pour me servir de ce grand réservoir de richesses et le mettre au service de mon roman. La religion est ce qu'il y a de plus délicat, c'est aussi un sujet inépuisable ; je m'en suis inspiré pour cette histoire d'amour impossible. Car je pense que la littérature nous offre bien une kyrielle de thèmes, mille et une intrigues d'impossibles amours, mais le paroxysme de tout cela, la plus complexe de ces situations particulièrement embarrassantes, c'est quand la religion, que les hommes ont fini par produire à leur façon, s'intéresse à l'amour. Elle le domine, l'étrangle et le met dans un cul-de-basse-fosse pour l'étriper sauvagement, et le cœur en suffoque ; il s'indigne sans pouvoir rien changer à son dépit. Il perd, somme toute, ses droits et sa joie de vivre. Votre roman est une sorte d'arène où s'affrontent les personnages… C'est effectivement une arène très périlleuse où les personnages s'affrontent sans merci. Le sujet que j'aborde est très exigeant, et même si j'essaie de le tempérer de bout en bout, je ne pouvais pas, en essayant d'être sincère, le dénaturer, ce qui n'est pas du tout mon but par ailleurs. En revanche, tout le long du texte, le mot est ce qui pèse le plus sur le sens du roman. J'ai essayé de faire un grand travail sur la langue, de choisir les mots les plus proches des thématiques abordées et ceci a créé un univers plein d'hostilités. Ce sont les mots qui guident le lecteur, ce sont les lettres échangées par les personnages qui interpellent tout un chacun. Car chaque fois que l'on s'attend à lire une « lettre d'amour », on finit par s'apercevoir qu'à l'amour, se sont greffés plusieurs autres sentiments et nombreuses problématiques. Les épistoliers parlent d'amour, toujours et dans toutes leurs lettres, mais ils ne peuvent jamais se séparer de la politique, de la religion et de leurs sociétés. Le repère social et religieux est donc omniprésent, et celui qui le représente est le mot. Ils s'affrontent et s'entrechoquent, ils défendent chacun son personnage, mais les mots ne savent pas tout le temps être tendres. D'autant que le roman est une boucle sans issue, c'est l'univers de toutes les hostilités vicié par l'orgueil et la bêtise humaine. Pourquoi avoir préféré éditer votre livre en France, plutôt qu'en Algérie ? Ce n'était pas buttoir, je n'avais rien prévu. J'ai, en effet, commencé mon roman en Algérie et je l'ai fini en France. Mais au début, tout en ne sachant pas que j'allais m'installer en France, je l'écrivais dans le dessein de le publier chez moi. Finalement, mon destin a voulu que je le publie en France puisque j'y vis en ce moment. Par ailleurs, je suis en contact avec des éditeurs algériens qui veulent le républier, la seule suite que j'attends en ce moment. J'ose espérer que le livre sera très bientôt entre les mains du lecteur algérien, c'est celui qui m'importe le plus. Des projets en perspective... Beaucoup. Je suis en ce moment en train de finir mon deuxième roman, une autre histoire pathétique qui me tient vraiment à cœur. Je vais m'offrir le dépaysement, car l'histoire aura lieu au Mexique, et le thème abordé concerne l'avenir des hommes : l'écologie. Je mets en scène la Terre et l'oppose à l'homme, celui qui n'arrête pas de la trucider.