Sorti gagnant en décembre d'un bras de fer avec l'opposition autour de la Constitution, Morsi fait face à une nouvelle crise qu'il lui sera, cette fois-ci, difficile de désamorcer sans concessions. Silencieuse depuis le début des troubles qui ont fait 52 morts en quelques jours, l'armée égyptienne est monté au créneau hier mettant en garde contre «l'effondrement de l'Etat» si la situation actuelle dans le pays perdurait. Le ministre de la Défense et commandant des forces armées, le général Abdel Fattah al-Sissi, a sommé «toutes les forces politiques» de mettre en veilleuse leur conflit pour trouver une solution aux «problèmes politiques, économiques, sociaux et sécuritaires» du pays. Il a souligné que les militaires faisaient face actuellement à «un dilemme grave, à savoir comment éviter des confrontations avec les citoyens et respecter leur droit à manifester et en même temps protéger les sites vitaux du pays». Le Sénat égyptien, qui détient actuellement le pouvoir législatif, a adopté lundi une loi autorisant la participation de l'armée aux opérations de maintien de l'ordre «à chaque fois que le lui demande le Conseil de défense national» présidé par M. Morsi. Une épreuve de force avait déjà opposé en novembre M.Morsi au Front du salut national (FSN, principale coalition de l'opposition) autour d'un projet de Constitution rédigé par une commission dominée par islamistes. Mais le chef de l'Etat avait réussi son pari en faisant adopter par référendum en décembre ce projet malgré plusieurs manifestations de masse organisées par ses adversaires. Aujourd'hui, la situation semble plus compliquée. «Cette crise ne passera pas facilement», estime Mostafa Kamel el-Sayyed, professeur des sciences politiques à l'université du Caire. Le bras de fer sur la Constitution «opposait les libéraux et la gauche d'une part aux islamistes de l'autre, le peuple n'y était pas vraiment impliqué. Mais, en ce moment, des catégories de la population sans affiliation politique prennent part aux manifestations pour protester contre la détérioration de leurs conditions de vie». Selon lui, un nouvel acteur est apparu également sur la scène: «des groupes de jeunes anarchistes (surnommés les «Black Bloc») qui affichent leur détermination à se lancer dans une confrontation violente avec la police». «Faute de concessions de la part du président et des Frères musulmans dont il est issu, il n'y aura pas de solution», estime pour sa part un éditorialiste du quotidien indépendant al-Chourouq, Abdallah Essennawi. «Car, ajoute-t-il, il ne peut y avoir de solution sécuritaire à la crise d'autant que les forces de sécurité sont épuisées et que l'armée ne veut pas être entraînée dans des accrochages avec des civils». Et d'ailleurs, poursuit-il, les déclarations du général Sissi «sont un avertissement clair à M. Morsi et, dans un moindre degré, à l'opposition». M.Morsi «serait amené à faire des concessions et à accepter peut-être une des principales revendications de l'opposition, c'est-à-dire la formation d'un gouvernement d'union sous la présidence d'une personnalité de poids comme Mohamed El Baradei», un des chefs de file du FSN, ajoute-t-il. M.El-Sayyed exclut, quant à lui, que «Morsi fasse des concessions» de lui même. Il estime plutôt que «l'armée pourrait être contrainte d'intervenir indirectement et discrètement pour lui dicter des mesures politiques, notamment la formation d'un gouvernement d'union nationale» de nature à stabiliser le pays. Un éditorialiste proche des islamistes, Fahmi Howeidi, va même encore plus loin. «Il serait courageux de la part de M.Morsi de lancer une initiative pour la tenue d'élections présidentielles (anticipées) en même temps que les législatives», prévues au printemps, écrit-il dans al-Chourouq.