L'Egypte est divisée et pas seulement entre ceux qui ont voté samedi dernier et ceux qui le feront samedi prochain. En juin, Mohamed Morsi avait remporté l'élection présidentielle en réunissant 51,7% des suffrages contre 48,3% pour son rival Ahmad Chafiq. Six mois plus tard, à en croire les résultats officieux du vote de samedi, nous sommes toujours face à deux Egypte. La première détient légalement le pouvoir institutionnel pendant que la seconde, minoritaire de peu, essaie de la priver de légitimité, parce qu'elle ne fait pas confiance aux nouveaux maîtres du plus vieil Etat arabe. Cette dernière carte, l'opposition, pourtant hétéroclite, la joue remarquablement bien. Il était donc prévisible que la première phase du référendum sur le projet de Constitution ne contribue pas à apaiser les tensions entre les deux camps. Surtout dans le cas où les islamistes en sortiraient vainqueurs. Et c'est ce qui s'est produit. Après avoir obtenu l'abrogation du décret présidentiel du 22 novembre qui devait considérablement renforcer les prérogatives de Mohamed Morsi, les principaux partis de l'opposition ne désespéraient toujours pas en effet de parvenir à faire annuler ce référendum. Appelés aux urnes le 15 décembre dernier pour se prononcer sur un texte adopté par l'Assemblée constituante dominée par les islamistes, les Egyptiens ont donc décidé «logiquement» de continuer le bras de fer entamé avec le pouvoir depuis plusieurs semaines. Officiellement, la poursuite de la protesta est justifiée par la «fraude» qui aurait caractérisé le référendum. Et comme annoncé la veille, l'opposition a ainsi organisé, hier après-midi, une manifestation pour dénoncer les termes de la Constitution et les conditions dans lesquelles le vote a eu lieu. Des centaines de manifestants se sont rassemblés à la place Tahrir et devant le palais présidentiel à l'appel notamment du Front du salut national (FSN) qui réunit les principaux mouvements de l'opposition de gauche et libérale. La mise en garde de l'armée Le FSN avait appelé à manifester à travers le pays «pour défendre les libertés, empêcher la fraude et rejeter le projet de Constitution». Outre l'opposition, plusieurs ONG ont affirmé que la première partie du vote, qui a concerné la moitié environ des 51 millions d'électeurs et donné près de 57% au «oui» selon des chiffres officieux, avait été entachée d'irrégularités. Le ministère de la Justice a annoncé avoir délégué des juges pour enquêter sur ces violations présumées. Tout en rejetant le projet de Constitution rédigé par la Constituante, laïcs et libéraux avaient décidé, rappelle-t-on, de relever le défi en menant campagne pour le «non», cela plutôt que de boycotter le scrutin. L'opposition a expliqué sa position en mettant en avant sa crainte de voir l'Egypte postrévolutionnaire passer de la dictature d'une minorité à la dictature de la majorité. Craignant une aggravation de la crise, le commandement de l'armée est, quant à lui, sorti de sa réserve pour mettre en garde l'ensemble des acteurs de la classe politique égyptienne. «Les divisions affectent l'économie et menacent la paix sociale, ce qui demande de serrer les rangs, renoncer aux différends et faire prévaloir l'intérêt général», a déclaré le ministre de la Défense et commandant des forces armées, le général Abdel Fattah Al Sissi, cité par la presse. La seconde partie du vote doit avoir lieu dans 17 gouvernorats. Les résultats officiels des deux tours seront publiés après cette phase. Les chiffres officieux laissent présager que le texte sera adopté, malgré son rejet par une opposition qui lui reproche de favoriser une islamisation accrue du pays et d'offrir peu de garanties pour les libertés. De son côté, le camp présidentiel fait valoir que ce projet de Constitution doit enfin apporter une stabilité institutionnelle à l'Egypte et clore la transition mouvementée qui a suivi la chute du régime de Hosni Moubarak, en février 2011. Avec une courte avance du «oui», ce référendum est néanmoins à ce stade loin de constituer le plébiscite envers le président Morsi espéré par les islamistes.