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Reconnaissance
Publié dans L'Expression le 13 - 04 - 2013

«La reconnaissance est le paiement du pauvre.» Proverbe indien
Dans les pays policés, c'est-à-dire les pays où l'on a une certaine considération pour les gens qui exercent une activité artistique, il y a plusieurs façons de rendre hommage aux femmes et aux hommes qui ont rendu, par leurs oeuvres, d'éminents services à leur nation en valorisant leur langue et leur culture, améliorant ainsi l'image de leur pays à l'extérieur.
En France, sous l'Ancien Régime, sous la monarchie absolue, cette reconnaissance aux gens de lettres était récompensée, non seulement par une confortable rente qui mettait le bénéficiaire à l'abri du besoin (évidemment tant que son protecteur était vivant et que les coups de brosse du poète courtisan étaient donnés dans le sens du poil), mais encore il était toujours le bienvenu à la cour où il pouvait distribuer aux nobles désoeuvrés les lumières de son intelligence. Mais gare aux dérapages, la disgrâce, la pauvreté et la gêne attendaient ceux qui étaient tentés par le langage de la vérité et de la dignité...
Dans la période moderne, les gens de lettres sont distingués par des attributions de médailles décernées par les ministres concernés ou, honneur suprême, des mains du chef de l'Etat lui-même.
Ainsi, le détenteur de la Légion d'honneur ou le chevalier des Arts et des Lettres peut ainsi bénéficier de moult avantages récompensés par des espèces sonnantes et trébuchantes, comme par exemple, faire partie d'une commission bidon qui aura à plancher sur un épineux dossier que l'Assemblée nationale n'aura peut-être pas à ouvrir...
Mais ceux qui ont fait la promotion de la langue française et qui l'ont défendue bec, griffes et plumes, sont portés à la plus haute distinction: l'Académie française!
Ainsi, ce refuge des gens du troisième âge servira de cadre aux gens de lettres pour continuer avec plus d'éloquence, de brio et d'efficacité, leurs activités antérieures.
Certains pourront, comme Clemenceau, continuer leur sieste digestive pendant que leurs collègues s'étriperont, à fleurets mouchetés, bien sûr, sur le sens à donner à ce nouveau vocable qui vient d'une lointaine et étrange planète qui s'appelle la banlieue. D'autres suivront avec intérêt le va-et-vient des mots entre la douce France et la perfide Albion, d'autres plus circonspects exigeront une carte de résidence ou un visa d'entrée à ces mots qui apportent avec eux le soleil, la soif et la rage de vivre...
Les plus avisés des académiciens continueront à faire la promotion de leurs ouvrages antérieurs avec de nouvelles pochettes portant le label prestigieux de la vieille maison qui donne un millésime au plus imbuvable des crus. Ainsi, grâce à son uniforme vert, son sabre et ses palmes, l'immortel n'aura plus à faire la cour aux lecteurs (trices) des grandes maisons d'édition. C'est lui, désormais, qui va distribuer les points (bons ou mauvais) aux jeunots qui viendront le couvrir de louanges: la roue tourne! Il ne paiera plus de dîners aux journalistes ou aux critiques littéraires pour préparer les sorties de ses ouvrages, ce sera désormais lui l'invité.
En outre, sa compagnie sera prisée: il bénéficiera de chaires à l'étranger et connaîtra les voyages qui n'ont pas formé sa jeunesse: de quoi oublier son douar d'origine et sa verte campagne.
Tant pis pour les envieux, les jaloux qui épancheront leur fiel par tous les canaux: la bave des crapauds n'atteint pas les nuages où il trône.
Mais, dans les pays où l'académie n'existe pas, il restera toujours aux autorités bienveillantes de se rappeler, la veille d'un anniversaire historique ou à l'occasion de Youm El Ilm, l'existence d'un vieillard chancelant pour l'inviter à une soirée commémorative où il recevra, en plus d'une fraternelle accolade, des fleurs et un diplôme de reconnaissance d'une patrie pleine de gratitude.
S'il a de la chance, une morne et anonyme école d'un endroit oublié de tous, portera son nom. S'il n'a pas de chance, il fera partie d'une commission de lecture qui aura à lire de laborieux scénarii qui resteront dans les tiroirs, ou bien il aura droit à son portrait-robot exécuté à la va-vite par une télévision pressée de célébrer son quarantième jour! Ce n'est qu'à sa mort qu'il sera enfin reconnu. Trop tard pour lui!


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