Vue du siège de l'Opep «Il y a trois sortes d'hommes politiques, ceux qui troublent l'eau, ceux qui pêchent en eau trouble, et ceux, plus doués, qui troublent l'eau pour pêcher en eau trouble» Arthur Ichnitzer Encore une fois, on nous informe que la panique arrive. Les Algériens passent leur temps à être inquiets et penser plus au futur qu'à réaliser l'instant présent. De quoi s'agit- il? Tout est parti d'une dépêche de l'AIE qui nous annonce que les Etats-Unis passent de l'autosuffisance en pétrole et en gaz à l'exportation dans les prochaines années. Elle conforte son plaidoyer par une étude de la CIA qui prévoit le monde de 2030, les grands acteurs et naturellement les actions que doivent réaliser les Etats-Unis pour demeurer la puissance de référence. Ces informations sont reprises en boucle par la plupart des journaux algériens en français et en arabe, sans qu'il y ait une analyse de l'information. J'ai cherché le motif de ce branle-bas: l'étude de la CIA qui a été publiée il y a près d'une année. Il y a donc rien de nouveau. Faut-il alors différer notre peur de l'avenir devant l'anomie actuelle? Non, nous devons avoir peur du fait que nous sommes spectateurs de notre destin. Pour rappel d'abord en juin 2012, on tirait déjà la sonnette d'alarme sur la fragilité des finances publiques, alors que les cours pétroliers pointaient pendant un temps sous la barre des 100 dollars. La Banque centrale a fixé tout un seuil de danger pour le budget de l'Etat, soit une rupture certaine de son équilibre sans un cours pétrolier moyen de 110 dollars le baril car nous ne produisons rien, nous importons tout. La prophétie auto-réalisatrice de l'AIE On sait cependant que l'AIE qui défend les pays occidentaux de l'Ocde se trompe régulièrement. Souvenons-nous, à titre d'exemple, que jusqu'en 2008, elle prévoyait que les prix du pétrole seraient de 30 $ à l'horizon 2030. Six mois, nous avons eu 147 dollars en juillet 2008 et six mois plus tard, nous avons eu 37 dollars en décembre 2008. L'Agence dit que «La pénurie de pétrole n'est pas à prévoir», du moins à moyen terme. En effet, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a estimé dans un rapport, publié le mardi 14 mai, qu'une ́ ́ onde de choc ́ ́ va se créer pour le marché pétrolier mondial, aussi importante dans les cinq ans à venir que l'a été pendant 15 ans la hausse de la demande chinoise. Il y aura une progression de l'offre mondiale d'hydrocarbures liquides de 8,8% d'ici 2018, pour atteindre 103 millions de barils par jour. Maria van der Hoeven, Directeur exécutif de l'AIE considère que la production américaine de pétrole non conventionnel représente «une bonne nouvelle», contribuant à soulager un marché qui était «relativement tendu depuis plusieurs années». Conséquence directe de la crise économique qui frappe, notamment la vieille Europe, mais aussi les Etats-Unis, les cours du pétrole ont fortement baissé ces derniers mois, pour atteindre un plus bas historique depuis l'été 2012. Nous sommes encore une fois avertis. La réalité de l'inéluctabilité des changements climatiques Il est vrai aussi que les Etats-Unis mettant en oeuvre l'exploitation des gaz et des huiles de schiste tordent le cou définitivement à l'illusion des conférences sur les changements climatiques. On annonce d'ailleurs que nous avons dépassé le 10 mai le seuil symbolique des 400 ppm de CO2, seuil au-delà duquel nous poursuivons l'asphyxie de la Terre à raison de 2 ppm /an pour arriver aux 450 ppm niveau qui déclenche une élévation irréversible de 2°C. Dans son rapport annuel, sorti en novembre 2012, la Banque mondiale a tiré la sonnette d'alarme et appelé à une action internationale concertée et rapide. Des estimations montrent qu'une hausse de quatre degrés entraînerait plus d'un milliard de réfugiés climatiques. Cela va même plus loin: «Le changement climatique dit-on, fait bouger le pôle Nord (...) Alors que le pôle Nord dérivait doucement d'environ 6 centimètres par an en direction du nord du Labrador, il a, à cette date, bifurqué vers l'est, pointant désormais vers le Groenland. Surtout, son déplacement s'est sensiblement accéléré, puisque la vitesse est passée à 27 centimètres annuels. Et c'est vers le réchauffement climatique, déjà accusé de bien d'autres maux, qu'il faut se tourner pour trouver la cause de ce changement de cap et de cette étonnante accélération. Ce transfert correspond-il au brusque changement de cap du pôle Nord depuis 2005? D'après les auteurs de l'étude, cela ne fait guère de doute. Pour eux, 90% du phénomène est imputable aux fontes des glaces et à la nouvelle répartition des masses d'eau qui s'ensuit, c'est-à-dire à la montée des océans. Rappelons que la décennie 2001-2010 a été la plus chaude jamais enregistrée depuis le début des relevés météorologiques. Or, le Groenland est le recordman mondial du régime puisqu'on estime qu'entre 1992 et 2011, il a perdu en moyenne 142 milliards de tonnes de glace chaque année.» (1) Manque de cap énergétique Qu'on se le dise! Les pays -comme l'Algérie- membres d'un club de rentiers non créateurs de richesse et vivant en satrapes sur une rente imméritée ont du mouron à se faire. L'AIE et plus largement les pays occidentaux vont tout faire, soit par la manipulation du marché, soit par la science- même si les hydrocarbures non conventionnels dévastent leurs environnements- soit par la force pour réduire définitivement l'influence néfaste de l'Opep. En une décennie (1999-2009), les Etats-Unis ont augmenté leur production de gaz naturel de 100 milliards de mètres cubes et sont devenus ainsi le premier producteur mondial de gaz naturel. L'AIE prévoit d'ailleurs qu'en 2017, les Etats-Unis deviendront le premier producteur de pétrole dans le monde en détrônant l'Arabie Saoudite. Ce qui est vrai. L'influence de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole sera de moins en moins importante d'ici 2018. Comme d'habitude, elle se réunit, elle prévoit une conférence le 31 mai à Vienne, la question du pétrole de schiste sera à l'ordre du jour. Cependant, mis à part l'Algérie et le Venezuela, tous les autres pays sont dans l'orbite américaine. L'Opep appliquera le rôle assigné par l'AIE et l'Algérie sera obligée de suivre. Ce qui pose encore une fois la pertinence de l'Algérie dans l'Opep. Thomas Porcher, économiste à l'ESG Management School interviewé par Audrey Avesque explique cependant qu'il faut raison garder, le marché ne sera pas trop perturbé par l'arrivée américaine: «L'extraction pétrolière tourne à plein régime aux Etats-Unis. Les Américains puisent de plus en plus profond ou investissent dans de nouvelles technologies à la recherche d'or noir non conventionnel(pétrole de schiste, sables bitumineux et pétrole lourd) pour devenir énergétiquement indépendants. Et la hausse continue de la production pétrolière aux Etats-Unis pourrait avoir un effet positif sur le prix du brut pour les consommateurs. Thomas Porcher pense que l'Opep va contrecarrer les desseins de l'AIE: «L'Agence Internationale de l'Energie (AIE) se trompe quand elle annonce que le pétrole non-conventionnel américain va créer un choc sur le marché mondial. En effet, elle part du principe selon lequel le marché pétrolier est un marché concurrentiel, or il ne l'est pas. Il existe un cartel, appelé l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), qui fixe son niveau de production en fonction de la demande mondiale et de la production de pétrole des pays qui n'émanent pas de l'organisation, à l'image des Etats-Unis..(...) D'ailleurs, depuis 2009, la production de pétrole de schiste a fortement augmenté aux Etats-Unis, le prix du brut n'a pas baissé, et si on note une légère baisse actuellement, ce n'est pas lié au pétrole non-conventionnel, mais aux mauvais indicateurs de la demande». L'AIE oublie également un point important. Les coûts d'extraction augmentent, et les groupes pétroliers vont chercher du brut dans des zones de plus en plus profondes ou difficile d'accès, il faut que son prix reste élevé sinon l'investissement n'est plus rentable. Ainsi, si demain le prix du brut diminue grâce au pétrole de schiste, cela va freiner les investissements, l'offre diminuera à terme et le prix remontera. (...) La production de pétrole non-conventionnel ne risque pas de créer de bulle sur le prix du pétrole, ni à la hausse ni à la baisse, comme cela a été le cas pour le gaz aux Etats-Unis à cause du gaz de schiste. (...) Contrairement au marché du gaz, le marché du pétrole est un marché mondial et l'offre va s'auto-ajuster par le jeu des quotas de l'Opep et par les coûts d'extraction qui jouent un rôle de stabilisateurs à la hausse. S'il y a une bulle, ce sera le fait des opérateurs financiers qui spéculent de manière accrue sur les matières premières, mais pas celui des fondamentaux eux-mêmes.(2) La position européenne Dans tout ce tintamarre des prophètes de malheur, on peut y ajouter l'errance de l'Union européenne dont la politique énergétique vertueuse- par rapport à l'américaine, puisqu'elle prévoyait le fameux 3x20%- on nous dit qu'un débat fait rage justement sur l'exploitation des gaz de schiste. Il semble que sa position a totalement changé, le feu vert a été donné pour l'exploitation des gaz de schiste. De plus, la guerre commerciale et technologique entre l'Europe est plus que jamais d'actualité avec la Chine. En prévision du sommet européen du 22 mai où la discussion sur des sujets aussi controversés que la réduction du changement climatique et de l'exploration du gaz de schiste. L'exécutif européen a demandé aux Etats membres de fournir une analyse des prix et des coûts de l'énergie d'ici la fin 2014, ce qui mettra en évidence la compétitivité de l'UE par rapport aux autres pays dans le monde. Par ailleurs, la conseillère scientifique principale de l'UE a déclaré que des preuves permettaient d'autoriser l'extraction de gaz de schiste, la source d'énergie au coeur d'une lutte politique acharnée. L'exécutif européen a lancé le 27 mars un livre vert qui définit les objectifs de l'UE pour 2030 en matière d'énergie et de climat. Le commissaire en charge de l'Energie, Günther Oettinger, a pris une position favorable sur le gaz de schiste. «Je suis favorable à la production de gaz de schiste, surtout pour des raisons de sécurité et de réduction des prix du gaz», a-t-il déclaré. Le gaz de schiste a déclenché une renaissance industrielle aux Etats-Unis. L'Agence internationale de l'énergie prévoit que le pays devienne quasi-autonome en pétrole et en gaz d'ici 2035. L'expansion du secteur en Europe est cependant hésitante en raison de coûts rédhibitoires, de la suspension de l'exploration et des craintes des gouvernements liées à l'environnement. António Fernando Correia de Campos, président du panel du Parlement européen Science and Technology Options Assessment (STOA), a également soutenu le schiste au cours du débat. Selon lui, il est évident que d'ici cinq ans, l'Europe importerait du gaz de schiste des Etats-Unis, car il coûte entre 20 et 25% moins cher que les importations actuelles de gaz européen. Seule Connie Hedegaard, la commissaire en charge de l'Action pour le climat, a adopté un ton moins favorable sur le gaz de schiste. Elle estime que son extraction en Europe est peu comparable à celle aux Etats-Unis. (3) Que fait l'Algérie? L'Algérie et l'Union européenne (UE) dit-on, s'apprêtent à signer un accord stratégique sur l'énergie, en négociation depuis 2005.De quoi s'agit-il? Quel est la consistance de cet accord avec une Union européenne qui peine à tracer une stratégie d'ensemble et surtout qui va foncer sur le gaz de schiste,vraisemblablement menaçant du même coup les exportations de l'Algérie vers l'Europe? C'est vraisemblablement encore une fois un marché de dupes à l'instar de l'Accord d'Association avec l'Union européenne qui a vu un désarmement tarifaire de l'Algérie sans équivalent... Dans tout ce tintamarre, on nous annonce malgré un déclin de la production pétrolière (le peak oil aurait été dépassé en 2006), la construction de cinq raffineries de cinq millions de tonnes par an chacune et une sixième de 10 millions de tonnes. Cela porterait la capacité de raffinage à plus de 50 millions de tonnes/an. Est-on sûr que ces raffineries, dont la durée de vie est d'au-moins 40 ans auraient du pétrole à raffiner en.. 2050? Doit-on importer du pétrole pour le raffiner? Avec quel argent, nous qui sommes mono exportateurs? Il en est de même des 20.000 MW en centrales thermiques à construire, est-on sûr de les alimenter en gaz pendant 40 ans? Cette cacophonie ne présage rien de bon. Nous croyons que plus que jamais, il nous faut planifier. Tous les pays développés ont un organisme de planification. Il nous faut remettre en place sans tarder le Conseil national de l'énergie qui ne s'est pas réuni. C'est tous ensemble que nous donnerons une visibilité à l'avenir de ce pays qui, faut-il le rappeler, doit avoir une vision d'avenir qui doit se discuter avec tous les citoyens, les universitaires, qui ont leur mot à dire. Comment peut-on parler de plan énergie renouvelable... L'Algérie, dont le gros des recettes extérieures, soit quelque 98%, tout comme l'essentiel de son édifice budgétaire, sont sous-tendus par la grâce d'un baril de pétrole cher, a désormais fort à craindre pour l'équilibre de sa balance des paiements. Il suffit en effet de très peu pour que l'équilibre du budget de l'Etat se rompe.. l'Algérie, hors secteur des hydrocarbures, reste pratiquement dépourvue de toute compétitivité économique. N'est-il pas scandaleux que le destin de l'Algérie soit indexé sur les prix erratiques d'un baril de pétrole et jusqu'à quand nous allons continuer ainsi? Sur le plan économique, à cette cinétique de distribution de la rente, le pays va droit dans le mur. Les risques évoqués par le rapport de la CIA, repris près d'une année après par l'AIE, sont à méditer. L'avenir des générations futures est d'ores et déjà, hypothéqué. L'heure de la fin du pétrole a sonné, d'où la nécessité, voire l'urgence pour l'Algérie de mettre en oeuvre une stratégie pour assurer un développement durable multidimensionnel à l'horizon 2030 en insistant sur la nécessité de tourner le dos aux énergies fossiles, de mettre en place une réelle politique d'économie d'énergie, évaluée à plus de 20%, d'aller sans tarder vers un plan Marshall d'énergie renouvelable.. C'est pour cela qu'il faut garder nos ressources intactes et arrêter de piller notre sous-sol qui demeure notre vraie banque. Le pays s'enfonce inexorablement dans une espèce de farniente trompeur tant que le baril couvre notre gabegie. Après, ce sera le chaos, 2014 est une étape, ce ne doit pas être un horizon indépassable.... Une calorie laissée dans le sous-sol est une calorie disponible pour les générations futures. Il faut être prêt à relever les défis et répondre aux agressions par l'intelligence. Nous devons faire mieux en dépensant mieux en commençant par le train de vie de l'Etat. N'importer que ce qui est essentiel. Après tout, notre loi de finances était de moins de 20 milliards de dollars, il y a à peine cinq ans.. Il faut décroître en termes de gaspillage tout en revoyant fondamentalement l'allocation des crédits. La distribution de la rente, par Ansej ou Anem interposé est éphémère. Mao Tsé-Toug disait: «Au lieu de donner un poisson à quelqu'un, apprend lui à pêcher». Tout est dit et cela renvoie à la formation des hommes. Notre système éducatif est en miettes. Là encore tout est à faire.! 1. Pierre Barthélémy http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2013/05/15/le-changement-climatique-fait-bouger-le-pole-nord/ 2. http://lexpansion.lexpress.fr/economie/le-boom-du-petrole-non-conventionnel-americain-va-t-il-faire-baisser-les-prix-du-brut_384779.html#9JrhkzFV2BwTytAE.99 3. Feu vert de la conseillère scientifique principale de l'UE pour le gaz de schiste Euractiv 18 avril 2013