Qui mieux que Abderrahmane Lounès, artiste au long cours et poète jusqu'au bout du...coeur, pouvait aborder un sujet aussi important. Avec simplicité et rigueur. Ceux qui, au sein du Commissariat général de l'année de l'Algérie en France, ont fait appel à lui pour lui confier une tâche aussi délicate, ne se sont pas trompés, puisque le travail a été fait avec tout le sérieux et la compétence nécessaires, mais aussi avec passion. Cet autodidacte qui est né dans la Casbah, a fait un travail fouillé d'académicien, auquel aucun universitaire n'a osé s'attaquer jusqu'à ce jour, puisqu'il englobe dans un gros ouvrage de 760 pages tout le florilège amazigh, de la Kabylie jusqu'au Figuig, en passant par les Aurès, le Hoggar, le Chenoua. C'est un vrai plaisir de voir côtoyer dans un même espace Si Mohand et Aïssa Djermouni, Salah Tirichine et Ag Afisagh. L'auteur a réalisé une recension à travers laquelle, il a effectué un travail rigoureux dans la collecte, le classement et l'analyse de ce qu'il a recueilli de la littérature algérienne d'expression amazighe tant orale qu'écrite. Pour ce faire, Abderrahmane Lounès a étudié les régions berbérophones les plus importantes où la culture populaire berbère est la plus vivante, tels que la Kabylie, les Aurès, le M'zab et le pays targui. Il s'est évertué à exposer ce qu'il a collecté afin de le transmettre aux générations futures et qu'ainsi, il puisse traverser les siècles à venir. Devant l'intensité du sujet, de sa diversité et de la panoplie de contraintes auxquelles il a été confronté tout au long de ce travail, Abderrahmane Lounès a dû limiter son choix d'auteurs. Ces derniers appartiennent à plusieurs courants des littératures berbères d'hier et d'aujourd'hui. De par sa richesse en littérature orale, la Kabylie tient la première place dans cet ouvrage. On y trouve les grandes figures et les grandes oeuvres de l'oralité, telles que, Youcef Oukaci «Le bel enfant de la veuve», Si Muhand ou M'hand «Nous sommes au XIVe siècle» Mohand Ou L'hocine «Ô gens bienheureux» et des écrivains, des poètes et des nouvellistes kabyles, tels que Aït-Menguellet, Slimane Azem, Chérif Kheddam, Cheikh El-Hasnaoui, Matoub Lounès ainsi qu'un recueil de fables, d'adages, de légendes, de contes, de dictons, de proverbes et d'énigmes aussi passionnants les uns que les autres. La seconde partie de cet ouvrage est consacrée à la région des Aurès qui culmine de par ses poètes anciens et chanteurs, tels que Khoukha Rhioua Aït-Boudjenit «Jugurtah, pardon amies...» Aïssa El-Djermouni «Patience», premier Algérien et premier arabe à avoir fait vibrer la célèbre salle de l'Olympia en 1937, et Houria Aïchi «De ses yeux, je ne dirai rien». Nous y trouvons également des poètes d'aujourd'hui tels que Aïssa Bennagoune «Misère et famine», Mohamed Salah Ounissi «Je suis berbère». De cette région, l'auteur n'a pas omis de rapporter une mosaïque de légendes, de fables, d'histoires, de contes, de verbes et de devinettes dont regorge la littérature des Aurès. La vallée du M'zab se distingue par des productions intellectuelles et artistiques dont les poèmes, chansons et chants de sont à l'honneur de toutes les créations littéraires de cette région, tels que les chants de tisseuses et certaines oeuvres contemporaines comme les «Larmes de joie» de Abdelouahab Namou Fekhar et L'indifférence de Salah Trichine. Des extraits de légendes, de fables, d'histoires, de contes et de proverbes closent la visite de l'auteur chez les Mozabites. Dans la dernière partie de son ouvrage, Abderahmane Lounès a axé ses recherches sur la littérature targuie qui, contrairement aux trois régions visitées précédemment revêt un caractère d'expression purement orale et en se basant sur les rares ouvrages qui ont été consacrés à cette culture. A cet effet, Charles de Foucauld a permis, grâce à son étude, de nous donner une idée sur l'évolution du mode de vie et la mentalité de cette population du Sahara algérien et l'auteur s'est contenté de nous rapporter un nombre réduit de poèmes et de récits à cause du manque de coopération de la population targuie. Parmi ces créations, on distingue en premier lieu, «Les aliwen (chants du mariage), quelques oeuvres de poètes touaregs d'hier et d'aujourd'hui, tels Lahcen Madéa «Kheira» et Khafi Agahani «La femme des Imouhagh» et un recueil de contes, de proverbes et d'énigmes targuis. Afin que cette anthologie soit la plus complète possible et vu la contrainte temps à laquelle il a été confronté, l'auteur a eu recours à des recherches en bibliothèque et a pu ainsi rapporter des trésors rares et variés élaborés à partir d'autres régions berbérophones avant leur arabisation, tels que des histoires du Sud oranais et Figuig «Le roi et l'homme», de l'Ouarsenis «La gazelle et le renard», des Hraoua «Le lièvre et la tortue» du Chenoua «Le chacal et les ogres» de Djebel Bissa «Mohand et la misère» de Béni Smaïl de Kherrata «Le riche au coeur dur», sans omettre un florilège de poèmes, de chants, de devinettes et d'énigmes de Ouargla et des contes de Sétif. A travers son oeuvre, Abderrahmane Lounès a tenu dans un premier temps, à nous transmettre une infime, mais très représentative partie de cet océan qu'est la littérature berbère, des origines à nos jours, afin de la préserver du danger de disparition et de servir d'outil de base pour l'élaboration des travaux qui restent à faire dans ce domaine.