Dans le contexte de la guerre imposée à l'Irak et dans la perspective de normaliser le Moyen-Orient, l'administration néo-conservatrice de Bush veut maintenant étendre cette stratégie de «normalisation» à l'ensemble du monde arabe, en proposant un plan de réforme ou le plan Bush, dit du «Grand Moyen-Orient» (GME). Les Etats-Unis sous le couvert de la «démocratisation» du monde arabe - qui en réalité en a bien besoin - veulent en fait marquer leur territoire, singulièrement après la césure, avec une partie de l'Europe, induite par le différend sur l'Irak. Réformer le Moyen-Orient, pourquoi faire et pourquoi maintenant d'autant plus, que Washington, qui a soutenu et protégé toutes les dictatures et les absolutismes monarchiques du monde arabe tout au long de ces dernières décennies, est à l'évidence le plus mal placé pour donner aujourd'hui des leçons à une région dont les peuples plient sous le joug de rois et de «raïs» dont nombre d'entre eux sont redevables de leur survie politique aux Etats-Unis. Cela juste en forme de rappel, car la question mérite d'autres développements. Il est patent que les initiatives de l'administration Bush, en direction du monde arabe, heurtent la sensibilité de certains tyrans arabes, habitués depuis toujours à considérer leurs peuples comme quantité négligeable sans aucun droit de regard sur les affaires du pays. Aussi, ce n'est guère surprenant que ce soit les deux pays arabes, dont les peuples souffrent le plus de l'autoritarisme de leurs dirigeants, et ayant le plus bénéficié de l'aide multiforme américaine (militaire, financière notamment), l'Egypte de Mohamed Hosni Moubarak et l'Arabie saoudite du roi Fahd Ben Abdelaziz, qui prennent l'étendard de la révolte contre le plan Bush. Tout cela n'aurait été qu'une péripétie de plus à mettre à l'actif (ou aux dépend, c'est selon) d'un monde arabe totalement absent de la Révolution du troisième millénaire qui s'opère sous nos yeux. Au moment où dans les cinq continents s'entreprend des réformes avec en objectif la modernisation de la gouvernance pour une participation plus active des citoyens à la gestion du pays et de l'Etat, le monde arabe, superbe dans son isolement, ne semble pas concerné par les transformations qui s'effectuent autour de lui, au point où ce sont des gens extérieurs au monde arabe qui proposent maintenant ces réformes et cette modernisation. Cependant, en voulant défendre sa quasi-autocratie sur le peuple égyptien, le président égyptien, Hosni Moubarak, qui conteste le plan Bush, se trompe de cible en mettant en avant l'exemple algérien. Ainsi, selon lui «la liberté et la démocratie instantanée peuvent avoir l'effet d'un séisme dans un pays», indiquant: «Que se passerait-il si une majorité d'extrémistes l'emportait au Parlement? La tragédie algérienne dure depuis 12 ans (...). Nous ne nous laisserons pas imposer de l'extérieur des formules qui nous poussent vers le naufrage et l'anarchie», ajoutant: «Nous connaissons nos pays mieux que quiconque.» Passant sur le mépris ainsi affiché envers son peuple qu'il dit connaître mieux que quiconque et arrêtons-nous sur l'expérience algérienne qui fait tant peur à M. Hosni Moubarak, dont il ne semble en avoir retenu que l'aspect de violence. La vérité est que l'Algérie n'a pas attendu les Américains, ni le président Bush, pour prendre en main sa destinée et entamer ses propres réformes, tout comme elle n'a pas attendu, hier, pour déclencher la Guerre de libération contre l'occupation française. La Révolution algérienne a été une expérience unique, jusqu'à aujourd'hui, dans le monde arabe, tout comme est unique, dans cette même région, les luttes du peuple algérien pour imposer la démocratie et l'Etat de droit en Algérie. La liberté et la démocratie pour le peuple algérien n' ont été ni instantanées ni improvisées, mais sont le résultat d'une longue lutte dont l'aboutissement a été le multipartisme de 1989. Sans doute qu'il faut regretter le fait que la classe politique n'ait pas été à la hauteur de l'engagement du peuple pour une Algérie citoyenne, il convient cependant de noter que la presse en Algérie est la plus libre qui existe dans le monde arabe, et singulièrement en Egypte, malgré les difficultés qu'elle affronte quotidiennement. Dictateur au long cours, M.Moubarak n'a pas compris que le monde a changé, que les peuples n'acceptent plus de s'accommoder de directeurs de pensée comme c'est le cas dans un pays où l'expression libre est encadrée, sinon interdite. De fait, l'avance prise par l'Algérie sur le monde arabe, dans les luttes pour la démocratie, la bonne gouvernance, l'Etat de droit et la liberté d'expression est énorme. Depuis les années 70, les Algériens ont appris à se battre pour leurs droits, appris aussi que ce combat avait un prix à payer et qu'ils ont accepté de s'en acquitter. Une soixantaines de journalistes algériens ont payé de leur vie pour le droit de dire et pour l'Algérie citoyenne, même s'il faut encore déplorer les récurrences des forces les plus rétrogrades du pouvoir à maintenir les choses dans leur état de stagnation. Stagnation qui est la marque d'un monde arabe incapable de se remettre en question ou d'envisager de son propre chef les réformes nécessaires aujourd'hui vitales pour le devenir d'une région, la seule au monde, dépossédée de la liberté et de la démocratie. Hosni Moubarak qui a verrouillé dans son pays, l'Egypte, toute forme d'expression ou d'opposition, qui se voit comme président à vie, ne comprend pas que l'on veuille réformer un pays qu'il «connaît mieux que quiconque». De fait, Moubarak ne veut surtout pas courir les risques d'une libéralisation dont il ne contrôlerait pas les fondements et donnant au peuple égyptien, de choisir ses dirigeants dans la liberté et la transparence. C'est cette perspective, qu'il puisse un jour partager le pouvoir avec son peuple, qui a fait sortir le «Raïs» égyptien de son flegme et l'inciter à entreprendre une vaste campagne européenne pour tenter de rallier l'UE à ses vues. Les dirigeants arabes qui ont été incapables de prendre le train de la modernité en marche courent, en fait, le risque de s'en faire débarquer sans ménagements. Dans les propos fielleux de Hosni Moubarak, c'est surtout l'expérience citoyenne de l'Algérie qui fait peur, et le dérange lui et ses congénères arabes.