L'exécution barbare de Saddam Hussein permet aujourd'hui au monde entier de redécouvrir l'ampleur de l'enfer irakien. Cela fait des mois que des civils meurent par paquet dans ce pays sans que cela fasse bouger les consciences médiatiques et politiques des Occidentaux. Hier seulement, et d'après les agences de presse, 45 personnes ont été trouvées à Baghdad, assassinées dans des conditions troubles. Selon un décompte non officiel, le nombre de morts a dépassé les 600 000. Un véritable génocide ! Non, personne ou presque ne tire la sonnette d'alarme dans « le monde civilisé » (l'expression de George W. Bush est désormais consacrée). Il a fallu que l'exécution barbare de Saddam Hussein soit faite sous forme spectaculaire, comme pour assouvir un certain besoin moyen-âgeux de vengeance, pour que l'on reparle de la situation dramatique de l'Irak. Des mois durant, la guerre imposée à ce pays est traitée sous forme de faits divers, comme s'il s'agissait de simple brigandage. D'une guerre d'occupation, qui n'a plus aucun sens, cela est devenu une guerre civile et parfois « une guerre contre le terrorisme ». Le ridicule « jonglage » médiatique a fini par banaliser la guerre la plus meurtrière de ces cinquante dernières années. Aux deux questions : où est passé Oussama Ben Laden puisque officiellement toute cette instabilité est créée à cause de lui et de ce sac fourre-tout qu'on appelle Al Qaîda ? Et que va devenir l'Irak ? On préfère servir du matraquage, accompagné par un discours qui n'est pas loin de la théorie flasque « du choc des civilisations », sur le nucléaire iranien. Comme si le sort de l'humanité était tributaire – et d'une manière définitive – de ce qui se passe dans les centrales nucléaires de l'Iran. Les concepteurs du chaos, qui tournent autour du président américain, soufflent même l'idée d'une attaque contre l'Iran, même si le grossier mensonge sur les prétendues armes de destruction massive reste une tache noire dans la politique extérieure des Etats-Unis. L'escalade semble être option pour faire oublier l'échec. Que la plaie irakienne reste grande ouverte. Que l'Afghanistan sombre dans le Moyen-âge. Que le processus de paix soit neutralisé au Moyen-Orient. Cela ne paraît pas entrer dans les calculs des uns et des autres. George W. Bush, qui croit que la pendaison de Saddam est « une étape importante sur le chemin de la démocratie », ne peut éviter l'obligation de trouver une solution au casse-tête irakien. D'abord, deep America (l'Amérique profonde) exige des comptes. C'est, après tout, les enfants de familles modestes, devenus soldats par nécessité, qui combattent en Irak, comme ce fut le cas, par le passé, au Vietnam. Même si leur appel n'apparaît pas dans le conformisme médiatique d'outre Atlantique, les familles font de plus en plus de bruit pour exiger le retrait des troupes de l'Irak, sans condition. Donald Rumsfeld a bien compris l'effondrement de la stratégie militaire développée en Mésopotamie et a quitté, sans mot dire, son poste de secrétaire à la Défense. Pourtant, il était parmi ceux qui, à Washington, ont fait le plus de tapage pour attaquer l'Irak et amplifié le danger fantomatique de Baghdad. « En Irak, le gouvernement étasunien est en train d'assister à la faillite de toute sa politique sur le Moyen-Orient (...) Il est aussi en train de réaliser les limites de son effrayante force militaire. Bush et sa clique le dénient, mais les USA sont en train de prendre la même route que celle qui les a conduits à la défaite en Corée et au Vietnam, tandis que leur armée est de plus en plus crispée et démoralisée », estime Gabriel Kolko, historien canadien. Bush, qui n'a encore que deux ans à la Maison-Blanche, doit dire ce qu'il fera des 160 000 hommes engagés en Irak, y compris des mercenaires et des contractuels qui travaillent sous uniforme vert. Va-t-il écouter les recommandations de la commission Baker-Hamilton qui a préconisé un go home (retour) pour les 15 brigades de combat engagées en terre irakienne pour le début 2008 ? Une commission qui, tout de même, a proposé le maintien des forces spéciales pour, officiellement, combattre Al Qaîda, d'une part, et de l'autre, dégager « un consensus international » sur la stabilité de l'Irak et de la région. Ce consensus est-il possible ? « La sécurité du peuple américain requiert que nous ne fléchissions pas pour faire en sorte que la jeune démocratie irakienne continue de progresser », dit, sérieusement, George W. Bush. Un simple d'esprit aura détecté qu'il n'existe, en pratique, aucun lien entre « la sécurité » du peuple US et « la jeune démocratie irakienne ». Sauf à croire à la propagande guerrière. « Plus la responsabilité de la sécurité de l'Irak continuera à reposer principalement sur les forces américaines, plus difficiles seront les décisions que le gouvernement irakien devra prendre au sujet de la réconciliation nationale et des milices », a déclaré le commandant de la force multinationale en Irak, le général George Casey, dans une interview au New York Times. Cette manière d'aborder le problème témoigne d'une incapacité, devenue dangereuse, de l'Administration Bush, et les néo-conservateurs qui lui inspirent les plans de politique extérieure, dévoile une réalité terrible : on ne sait plus où donner de la tête ! A moins qu'on pense que nourrir les déchirements confessionnels en Irak suffira à maintenir l'écran de fumée pour longtemps. On appelle cela : la terre brûlée.