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« Ma patrie est caravane »
LEON L'AFRICAIN (AUTOBIOGRAPHIE) D'AMIN MAÂLOUF
Publié dans L'Expression le 03 - 11 - 2001

Voici, au sens plein du terme, un livre immense qui évoque la vie immense d'un personnage immense !...
Voici, au sens plein du terme, un livre immense qui évoque la vie immense d'un personnage immense !... Léon l'Africain, un surnom énigmatique que le célèbre écrivain Amin Maâlouf raconte, explique, fait vivre et revivre intensément avec son exceptionnel talent de conteur dans un ouvrage qu'il lui consacre et portant le titre Léon l'Africain*.
Tout le monde sait la qualité de l'écriture et la justesse de la pensée de cet écrivain, dont les livres sont devenus des classiques d'un genre littéraire nouveau, mêlant histoire vraie, fiction, chronique, récit d'aventure, et tout particulièrement enquête et quête : tout ce qui touche ou évoque la vie et les vies d'une Vie d'homme à travers les âges. Beaucoup connaissent la splendeur historique, sociale, civilisationnelle qui traverse les ouvrages de cet auteur: «Samarcande», «Les Jardins de lumière», «Les Croisades vues par les Arabes» ou «Léon l'Africain». Chacun de ces livres est sans aucun doute un enchantement pour l'esprit. Cependant, celui que je vous propose de lire, si vous ne l'avez lu, va, à beaucoup, révéler et, à certains, remettre en mémoire «un personnage historique africain, géographe, historien, juriste, rhétoricien d'une grande érudition» que le regretté Abdelhamid Benachenhou avait présenté dans une communication faite au Symposium d'Alger (21 juillet - 1er août 1969), et déjà avant lui, l'auteur marocain Mohamed El Mahdi El Hadjoui, le 20 août 1933 au 8e Congrès des Orientalistes qui s'est tenu à Fès.
Déjà donc à ce Congrès, les Africains ont désiré récupérer leur bien, car, il faut le souligner, Léon l'Africain, écrit Benachenhou, «est peut-être le premier auteur qui a fait connaître dans ses moindres détails, au début du XVIe siècle, le continent africain du point de vue géographique, ethnologique, historique et sociologique, à une époque où l'Europe venait de sortir du Moyen Age pour entrer dans l'âge d'or de la Renaissance grâce aux sciences arabes.»
Parmi les ouvrages de Léon l'Africain, écrit par lui-même en italien, et le plus connu et le plus traduit est «Description de l'Afrique». De nombreux érudits des Français, des Anglais, des Hollandais, des Italiens, des Espagnols y ont puisé tout leur savoir au sujet de l'Afrique noire et blanche. En effet, grand voyageur, Léon l'Africain avait parcouru et visité toute l'Afrique de long en large, vivant avec ses habitants et commerçant avec eux. Il avait été reçu par leurs rois, leurs chefs et leurs notables. Le vrai nom de cet homme à la fois singulier et légendaire, mais prestigieux et énigmatique car il fut mi-musulman, mi-chrétien avait pour vrai nom complet: Hassan Ibn Mohamed El Ouazzane El Gharnati, El Fassi, Ziati. Il était le premier fils, né à Grenade, «aux derniers jours de chaâbane, juste avant le début du mois saint» en 1485. Autrement dit, sept ans environ avant la chute de Grenade qui allait pousser un grand nombre de familles andalouses à quitter le pays, et pour la plupart, à aller s'installer sur les côtes du nord et de l'ouest de l'Afrique.
Mais, lecteurs patients et avides d'aventures intellectuelles que nous sommes, laissons Amin Maâlouf nous raconter méticuleusement, savamment, sur plus de 350 pages, ce que nul autre auteur ne saurait jamais mieux faire.
D'emblée, nous sommes au coeur de l'extraordinaire aventure de ce narrateur lucide et talentueux: «Moi, Hassan fils de Mohamed le peseur, moi, Jean-Léon de Médicis, circoncis de la main d'un barbier et baptisé de la main d'un pape, on me nomme aujourd'hui l'Africain, mais d'Afrique ne suis, ni d'Europe, ni d'Arabie. On m'appelle aussi le Grenadin, le Fassi, le Zayyati, mais je ne viens d'aucun pays, d'aucune cité, d'aucune tribu. Je suis le fils de la route, ma patrie est caravane, et ma vie la plus inattendue des traversées.»
Amin Maâlouf, à travers une autobiographie de Léon l'Africain, tout à fait imaginaire, rend réelle une vie d'homme, année après année, dans quatre livres (de Grenade, de Fès, du Caire et de Rome). L'errance est commencée, depuis Grenade avec la traversée qui mène à l'hégire «Une patrie perdue, c'est comme la dépouille d'un proche ; enterrez-la avec respect et croyez-en la vie éternelle.», en passant par Fès et Tombouctou, où l'on pouvait- chantonner «L'amour est soif au bord d'un puits, L'amour est fleur et non pas fruit.», en séjournant au Caire où, finalement, «un pèlerinage s'imposait à (sa) vie». Mais bientôt, c'est le rapt: «En un instant, nous nous trouvâmes entourés d'une dizaine d'hommes armés d'épées et de poignards.» Puis d'autres années se succédèrent. Puis vint l'année du renoncement: «Au bout de quelques mois, j'avais fini par me faire au plaisir de ma condition de scribe sédentaire, de voyageur repenti, et par goûter aux joies quotidiennes de ma petite famille.»
C'est alors que surgit «une statue de chair et de fer, de rires puissants et d'immenses éclats de colère. Je suis le bras armé de l'Eglise!» Hassan Ibn Mohamed va connaître «L'année des bandes noires». Revenant de Mekka, il est capturé par des pirates siciliens au service du pape Léon X: «Le pape posa ses deux paumes sur mon dos courbé, signe d'affection ou de prise de possession, je ne sais... (...) Quand je revis le pape, une semaine plus tard, il avait préparé à mon intention un sérieux programme : désormais, je partagerais mon temps entre l'étude et l'enseignement. Un évêque allait m'apprendre le latin, un autre le catéchisme, un troisième l'évangile ainsi que la langue hébraïque ; un prêtre arménien me donnerait chaque matin un cours de turc. De mon côté, je devais enseigner l'arabe à sept élèves... (...) Désormais, il (le pape) allait me convoquer chaque mois, seul ou avec mes professeurs, pour vérifier l'état de mes connaissances surtout en catéchisme... Dans son esprit, en effet, la date de mon baptême était déjà fixée, ainsi que le nom que je porterais.»
C'est alors que le narrateur brillant, considérant comme devant clore son fabuleux périple qui a duré quarante ans, s'adresse à son fils dans un bref et poignant épilogue: «Un dernier mot tracé sur la dernière page, et déjà la côte africaine... (...) Une fois de plus, mon fils, je suis porté par cette mer, témoin de tous mes errements et qui à présent te convoie vers ton premier exil. A Rome, tu étais «le fils de l'Africain» ; en Afrique, tu seras «le fils du Roumi». Où que tu sois, certains voudraient fouiller ta peau et tes prières. Garde-toi de flatter leurs instincts, mon fils, garde-toi de ployer sous la multitude! Musulman, juif ou chrétien, ils devront te prendre comme tu es ou te perdre. Lorsque l'esprit des hommes te paraîtra étroit, dis-toi que la terre de Dieu est vaste, et vaste Ses mains et Son coeur.»


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