La place Nahda au Caire devenue fief des islamistes qui y organisent depuis le 3 juillet des sit-in permanents Plus d'un mois après la destitution de Mohamed Morsi, les nouvelles autorités restent indécises sur la manière de mettre un terme à l'occupation des places publiques par les islamistes Disperser les manifestants pro-Morsi par la force au risque d'un bain de sang? Le pouvoir égyptien installé par l'armée, qui multiplie les menaces mais n'agit toujours pas, est en proie à d'âpres débats entre faucons et partisans du dialogue avec les islamistes, selon les experts. Depuis des semaines maintenant, le gouvernement intérimaire nommé après la destitution par l'armée du président Mohamed Morsi le 3 juillet menace de disperser de façon imminente des sit-in de partisans de l'ex-chef de l'Etat qui paralysent des quartiers du Caire mais aussi la préparation d'élections promises pour début 2014. «Il y a deux tendances qui s'opposent au sein du gouvernement», explique Rabab al-Mahdi, professeur de Sciences politiques à l'Université américaine du Caire. Le ministère de l'Intérieur et l'armée incarnent la première, favorable à une intervention. «L'autre camp, représenté par le vice-président Mohamed El Baradei et le vice-Premier ministre Ziad Bahaa Eldin, a une approche plus démocratique», estime-t-elle. M.El Baradei a à plusieurs reprises plaidé pour que les Frères musulmans, dont est issu M.Morsi, soient associés à la transition politique. Les autorités sont désormais prises entre deux feux: d'une part, la pression populaire les exhorte à la répression, d'autre part, la communauté internationale multiplie les appels à la retenue. Les partisans de M.Morsi, de leur côté, répètent à l'envi qu'ils ne lèveront pas le camp avant le retour au pouvoir du premier président élu démocratiquement en Egypte. Dans un pays où la contestation a toujours été réprimée d'une main de fer, les précautions du gouvernement sont une nouveauté qui met en évidence la gravité de la crise qui secoue l'Egypte. En multipliant les avertissements et les fausses annonces d'intervention imminente par voie de presse, «le gouvernement essaye de tout faire pour réduire les risques», espérant que la plupart des manifestants barricadés avec femmes et enfants sur deux places du Caire partiront d'eux-mêmes, analyse H.A. Hellyer, chercheur au Brookings Institute. La police n'aurait alors plus qu'à affronter les irréductibles. Des défenseurs des droits de l'homme ont ainsi indiqué avoir participé il y a quelques jours à une réunion inhabituelle avec le ministère de l'Intérieur sur les conséquences d'une dispersion par la force, le gouvernement leur promettant de les laisser, ainsi que les médias, assister à l'opération. «Ce ne sont pas des sit-in comme les autres auxquels la police fait face. Il s'agit de la force politique la mieux organisée du pays et la police sait que le prix à payer sera plus élevé que lors des précédentes manifestations», souligne Mme Mahdi. Pour cette raison et à cause des divisions internes du gouvernement et de la pression internationale pour éviter une effusion de sang, «le gouvernement n'a plus carte blanche pour gérer les manifestations», ajoute-t-elle. Selon Mme Mahdi toutefois, la recrudescence des attaques de combattants islamistes dans le pays comme à l'étranger pourrait faire pencher la balance en faveur d'une solution sécuritaire. «Si la menace dans le Sinaï s'accentue, de même que les événements au Yémen ou au Pakistan, alors le gouvernement pourra dire que ce qui se passe est la preuve que les islamistes basculent dans le terrorisme, et cela relâchera un peu la pression sur lui», estime la politologue. Pour Karim Ennarah, de l'influente ONG Initiative égyptienne pour les droits de la personne, le gouvernement fait face à un dilemme. «Le ministère de l'Intérieur ne sait pas gérer des manifestations sans qu'il y ait des morts: même s'il n'a pas l'intention de tuer, il déclenche une escalade» car «la police n'a pas l'entraînement ou l'expérience pour affronter de telles manifestations avec un usage proportionné de la force», assure-t-il. Mais quelles que soient les précautions prises par les forces de l'ordre, l'attitude des manifestants sera déterminante dans la suite des événements, selon les experts.