Sa caméra scrutatrice vous entraîne dans les méandres abyssaux de nos pulsions chimériques Un film sombre et glauque, une sorte de croisement improbable entre Only God forgive et the Rocky Horror Picture Show. Nous l'avons connu en 2011 en tant que comédien, notamment dans le film Drive de Nicolas Winding Refin, voilà qu'il revient cette année sur le tapis rouge en tant que réalisateur de l'étrange film Lost River, un film sombre et glauque, une sorte de croisement improbable entre Only God Forgive et the Rocky horror picture show. L'histoire se déroule dans un coin perdu des Etats-Unis. Dans une ville qui se meurt, marquée du sceau de la malédiction, Billy, mère célibataire de deux enfants, est entraînée peu à peu dans les bas-fonds d'un monde sombre et macabre, pendant que Bones, son fils aîné, découvre une route secrète menant à une cité engloutie. Billy et son fils devront aller jusqu'au bout pour que leur famille s'en sorte. L'un doit gagner vite de l'argent pour sauver sa maison et payer ses dettes, l'autre sauver son existence oisive en faisant lever cette malédiction en tuant le monstre croit-on qui gît dans les méandres de cette ville engloutie dont on dit jadis que c'était un parc d'attractions, seul qui résistera après que d'autres villages soient engloutis dans les eaux, croit-on comprendre. Pour accompagner cette rousse de mère, un taxi vient la conduire chaque soir. Il est campé par Reda Kateb, immigré qui lui parle de sa déception du rêve américain. On dirait un jeune Algérien qui aspirait le meilleur pour lui en France. Le driveur, en tout cas dans ce film c'est lui. Il est celui qui observe de loin, avec son oeil bienveillant, contrastant avec le mal qui règne dehors. Grand admirateur de Gaspar Noé (son film préféré de 2010 est Enter The Void), Ryan Gosling a choisi de confier la photographie de son premier long métrage à Benoît Debie, le directeur de la photo attitré de Noé. Les lumières nocturnes sont restituées avec une aura artistique fabuleuse. Si le film s'inspire beaucoup des films d'horreur macabre dans certaines de ses scènes (le cabaret à spectacles meurtriers avec notamment la belle Eva Mendes), celles-ci véritables tableaux plastiques reflètent l'intérêt qu'accorde le réalisateur à l'aspect esthétique, indéniable dans ce film, qu'on aime le scénario, un peu tiré par les cheveux ou pas. Film irritant, il n'est sauvé que par son processus de création que l'on devine assez important aux yeux du réalisateur qui vient de pondre un film du genre des plus déroutants. Lors de la projection pour la presse, certains ont applaudi, d'autres l'ont carrément hué. Un film en tout cas qui crée un certain malaise. Peut-être qu'il fallait seulement se faire emporter dans cette histoire fantastique sans trop se prendre au sérieux. L'univers de la nuit est peuplé de fantômes, de quelques personnes maléfiques qui tentent surtout de sauver leur peau en protégeant leur territorialité. L'espace est essentiel dans le film de Gosling où les paysages magnifiques sont sublimés sous l'oeil de sa caméra scrutatrice qui vous entraîne parfois dans les méandres abyssaux de nos pulsions chimériques. Le feu, cet élément purificateur, est là pour rappeler le cercle infernal de la vie et son chemin tortueux. A la manière d'un David Cronenberg, mais différemment, Ryan Gosling dresse le portrait d'individus qui se trouvent coincés dans un étau étouffant. On conseille souvent Bones de partir pour sauver sa peau au lieu de rester dans ce coin où votre âme se consume à ne rien savoir quoi faire pour s'en sortir. Le départ vers un meilleur ailleurs ici s'avère une des solutions que préconise en partie le réalisateur si l'on n' arrive pas à prendre les choses en main en tuant le monstre qui est en nous. «Le diable hurle, je l'entends hurler» chantait un rappeur français. Ryan Gosling invoque un univers apocalyptique qui se régénère pour partir à zéro après avoir atteint un degré profond de mal-être. La musique qui accompagne le film a des relents hypnotiques qui vous font oublier le temps. A ce titre, nous-mêmes, on s'est retrouvé complétement absorbés par cette fantastique déperdition visuelle. Tourné en fait à Détroit au milieu des quartiers délabrés, berceau de la mototown et de la classe moyenne américaine, cette ville n'est aujourd'hui que l'ombre d'elle-même, jetant ses habitants dans le cauchemar. Lost River est une ville fictive dont le réalisateur s'en inspire grandement en ce qu'elle comporte comme délabrement extérieur et intérieur, mais aussi de signes forts d'espoir malgré tout.