«La disparition de cet expert en environnement est une perte immense pour la communauté scientifique algérienne et internationale. Je garderai de lui l'image d'un homme humble qui s'est beaucoup investi dans la recherche et la formation en initiant plusieurs actions qui ont permis aux jeunes scientifiques de consolider leur vocation» Abdelhak Trache, chercheur et ami du défunt Je commencerai cet hommage chaleureux et cordial pour célébrer la mémoire de mon frère Mohamed Senouci, avec cette sentence du poète et romancier américain Edgar Allan Poe, qui affirmait que «c'est dans le mépris de l'ambition que doit se trouver l'un des principes essentiels du bonheur sur la terre». En effet, et c'est absolument juste, me dis-je, conscient de la portée de ce judicieux procès. Mais pourquoi dois-je m'astreindre à ce jeu de mots fort, peut-être cavalier, pour situer cet Homme de science qui vient de nous quitter dans l'humilité des «Grands», ceux-là même qui font le bonheur d'un plus grand nombre d'autres? Dans la plénitude de son savoir Oui, je me dois de commencer ainsi, sans aucune velléité de ma part de vouloir m'étaler sur notre indifférence récurrente, voire déconcertante, à l'égard de nos savants qui sont nombreux dans notre pays. Car, qui savait parmi les jeunes, et même les moins jeunes, que notre frère Mohamed Senouci a été colauréat, en 2007, du prix Nobel de la paix attribué, cette année-là, à M.Al Gore, ancien vice-président des USA, ainsi qu'à l'ensemble des membres du Giec, ce «Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du Climat», dont il était l'un des membres actifs. Il est certain que beaucoup de gens ne le savaient pas, à part, peut-être, quelques responsables dans ce secteur hautement stratégique, qui ont apprécié cette consécration de l'«enfant du pays» qui a démontré, de par le monde, par ses travaux et communications, que les problèmes de l'environnement doivent créer ce consensus nécessaire et largement étayé sur le lien entre l'activité humaine et le réchauffement climatique. Ainsi, ce Prix, d'une valeur inestimable pour celui qui vouait à la science respect et considération, lui a été décerné pour «ses efforts de collecte et de diffusion des connaissances sur les changements climatiques provoqués par l'homme et pour avoir posé les fondements pour les mesures nécessaires à la lutte contre ces changements». Alors là, un constat s'impose. Chez nous, ce n'est que maintenant que les langues se délient pour présenter à ce vulgum pecus que nous sommes, les mérites de nos Hommes d'érudition qui rayonnent hors de nos frontières. «Mieux vaut tard que jamais», allez-vous me dire! En tout cas, merci à la presse nationale d'avoir fait découvrir, à ses compatriotes, le Pr Mohamed Senouci dans la plénitude de son savoir. Merci à tous ces militants de la plume qui ont fouillé, et re-fouillé dans les notes venues d'«ailleurs», pour nous présenter ce savant - le nôtre - dans ses contours les plus vertueux et les plus valeureux. Toute ma gratitude enfin pour leur travail appréciable qui nous éclaire à son sujet dont la conviction du rôle essentiel qu'il a joué par son expérience à travers la méthodologie scientifique n'a d'égale que sa lutte pour la protection de l'environnement. Un grand militant de la cause écologiste Avant de voir certaines valeurs intrinsèques de l'Homme - que j'aime écrire en majuscule - voyons d'abord sa lutte pour la protection et la préservation de ce capital qui nous a été confié par Dieu Tout-Puissant. Ainsi, de tout temps, le climatologue de profession, en l'occurrence, le Pr Mohamed Senouci, a été un grand militant de la cause écologiste. Et là où il se trouvait, dans d'importantes missions, à l'intérieur du pays, comme à l'extérieur au niveau d'organisations internationales, il ne lésinait sur aucune expression pour expliquer, sensibiliser et mettre le doigt sur les dangers qu'encourt notre planète, parce que l'homme, disait-il souvent, «n'est pas conscient qu'il est entrain d'altérer l'équilibre de la terre et son harmonie, sans réfléchir aux conséquences». Il développait, avec la conviction qui était sienne, que les ressources naturelles, la biodiversité et notre propre santé sont en danger si l'on continue à en jouir démesurément sans fournir les efforts nécessaires et leur assurer les moyens indispensables pour les entretenir. «Toute la terre est dans le même bain. Un Tchadien et un Américain n'ont peut-être pas la même responsabilité quant aux atteintes à l'environnement, mais les deux sont concernés. Même si, vu d'Algérie, cela nous paraît loin, nous sommes tout de même impliqués», expliquait-il lors une conférence tenue à Oran, il y a quelques années. C'est dire sa préoccupation constante et persistante à l'égard de ce domaine pour lequel il a consacré une bonne partie de sa vie, après de brillantes études qui lui ont permis de connaître tant de responsabilités et de mener tant de missions délicates et non moins passionnantes. Ingénieur en chef et professeur à l'Ihfr d'Oran, (l'Institut hydrométéorologique de formation et de recherches), il était chargé d'assurer la formation en météorologie et en climatologie, et de promouvoir la recherche et le développement dans ce domaine. Il a encadré plus d'une trentaine de mémoires de fin d'études pour l'obtention du diplôme d'ingénieur à l'Ihfr. De même qu'il a atteint, de par ses recherches et ses travaux d'application, le stade de la spécialité en météorologie tropicale et subsaharienne, ce qui lui a forgé une notoriété pour devenir célèbre en Afrique. En plus, il a contribué pendant plusieurs années, en tant qu'expert au Centre africain des Applications de la météorologie au développement (Acmad) situé à Niamey (Niger), un centre affilié à l'Organisation météorologique mondiale (ONU), au développement de ses plans stratégiques et ses programmes de formation. De réussite en réussite, sur le plan de l'efficacité, il se fait accompagner de Salah Sahabi, son pur produit - qu'il appelait toujours «Khouya Sghir» - et deviennent ensemble les premiers spécialistes de la prévision saisonnière en Algérie et ce, depuis 1994 dans le cadre du projet Maghrébin «El Massifa». Le Pr Mohamed Senouci était parmi les rares scientifiques algériens qui maîtrisent la question du changement climatique, ses enjeux politiques et économiques pour les pays sous-développés, notamment l'Afrique. A ce titre, il a été le fondateur de l'Arce (Association de recherche sur le climat et l'environnement), qu'il a présidée depuis sa création en 1993 jusqu'en 2002 et qui avait pour objectifs: l'appui au plan scientifique des actions de recherche et de développement dans le domaine du climat et de l'environnement, l'identification et la mobilisation des moyens de la recherche, la valorisation de leurs résultats, la création et la dynamisation du Réseau Climat-Environnement. A son actif et sous sa présidence, nombre de colloques nationaux et de journées d'études ont été organisés, rassemblant les décideurs de tous bords, la société civile, les éducateurs, les universitaires et les inspecteurs d'éducation, afin de débattre de la problématique qui s'avère d'un intérêt capital sur les plans économique et social. Le Forum scientifique international sur la «Prévision climatique et la gestion stratégique des ressources en eau au Maghreb», qui s'est tenu en 2001, en est l'exemple. Il se trouvait en bonne place dans le Giec Sur le plan international, le Pr Mohamed Senouci était bien adopté et révéré en tant que défenseur farouche de la préservation de l'environnement. Il était impliqué et faisait autorité dans des projets euro-méditerranéens où l'Arce était partenaire. Parmi les plus importants projets, nous citerons: le Projet Nostrum-DSS (concernant la gestion stratégique des ressources en eau en Méditerranée) de 2004 à 2007 et le Projet Impacts des changements climatiques en Méditerranée (Circe) de 2008 à 2010. De même qu'il était membre du Projet de recherche (Ricamare) sur les Impacts des changements climatiques sur les ressources en eau en Algérie et coauteur de l'ouvrage collectif, intitulé: Changement climatique, enjeux et perspectives au Maghreb, Unesco, 2009. Parallèlement à son engagement au sein du Giec dans lequel il a oeuvré en qualité de reviewer dans l'élaboration du 4ème rapport (4th Assessment Report) de 2005 à 2007 (d'où sa distinction en tant que colauréat du prix Nobel de la Paix), il est devenu Point focal national pour ce groupe d'experts, depuis 2012 à ce jour fatidique du I6 mai 2014 où son destin s'est accompli. Les condoléances attristées du Pr Pachauri, président du Giec au nom de tout le groupe témoignent de la place importante qu'y tenait Mohamed Senouci. Avant que la maladie n'ait raison de lui, il a contribué de façon décisive à l'initiation d'un projet euro-méditerranéen «Tempus-Climadapt» visant à promouvoir la coopération entre les pays de l'UE et les pays du sud de la Méditerranée à travers la mise en place dans les trois pays du Maghreb et dès la rentrée universitaire 2013-2014, d'un master universitaire sur l'adaptation au changement climatique. Les universités d'Oran et de Mostaganem y ont été impliquées pour l'Algérie. Le Pr Mohamed Senouci s'est investi de façon brillante dans tant de missions nationales et internationales qu'il m'est difficile, dans cet espace qui lui est destiné, de restituer l'ensemble de sa carrière. Militant infatigable, avec courage et détermination, il a porté haut le message de l'Algérie et de l'Afrique sur la préservation de l'environnement, les questions du changement climatique, le mécanisme de développement propre, le marché du carbone..., dans nombre de forums internationaux ou d'organisations planétaires, notamment le Fonds pour l'environnement mondial (FEM) le Plan bleu, la WWF (World Wildlife Fund) ou «Fonds mondial pour la nature»), les Conférences mondiales sur le Climat... «Le bonheur est quelque chose qui se multiplie quand il se divise» Ainsi, disait Paulo Coelho, le romancier brésilien. C'est ce qu'appliquait le Professeur Mohamed Senouci dans ses relations avec les siens, avec la science et son dada l'environnement, pour que toutes les idées dans ce domaine, bien sûr productives et généreuses, soient exaltées et célébrées et, par conséquent, sollicitées. De là, il incitait ses élèves à apprendre et «chercher la connaissance et le savoir» partout, leur disait-il, «pourvu que vous soyez utiles à notre pays, utiles à notre planète qui souffre et qui attend de nous ces gestes essentiels qui contribuent à réduire les effets néfastes de la pollution». En effet, il a oeuvré à la conscientisation des responsables et de tous les autres opérateurs concernés, en passant l'essentiel de son temps dans la formation et la sensibilisation, en plus des travaux magistraux qu'il a présentés. N'était-il pas le fils de son père, cet enseignant, pour qui il voulait rendre hommage en poursuivant son oeuvre dans l'éducation? Le Pr Mohamed Senouci croyait en l'homme et rêvait d'un monde autrement plus sain, en militant pour une formation de qualité et en insistant longuement pour l'ouverture des labos de recherches sur le monde afin d'acquérir l'expérience et le savoir-faire. Il encourageait surtout les jeunes chercheurs parce qu'il les considérait comme les élites de la nation et les futurs dirigeants de demain. Ah..., ce demain auquel il croyait fermement! Ne m'a-t-il pas dit, lors d'une rencontre chez lui, avec son tempérament radieux, alors qu'il luttait stoïquement contre la maladie qui le rongeait, en paraphrasant l'artiste autrichien Friedrich Hundertwasser: «Lorsqu'un seul homme rêve, ce n'est qu'un rêve. Mais si beaucoup d'hommes rêvent ensemble, c'est le début d'une réalité.» Alors, rendons hommage au fervent pédagogue, l'humble militant écologiste, celui qui a été ravi à l'affection des siens et de la nôtre, en continuant tous ensemble le chemin défriché par lui. Faisons en sorte que son combat pour la préservation de notre planète, sera déterminant dans les années à venir. Ainsi, le message du savant sera entendu et, de là où il se trouve, au rang le plus élevé de tous, car il est l'héritier des prophètes qu'Allah les bénisse et les salue, il comprendra que son rêve sera devenu réalité. Enfin, ensemble, nous lui disons: «Repose en paix! Tu as accompli ta mission, bravement, sincèrement. Tu as donné l'exemple de ce que l'être humain peut accomplir de plus noble, de plus utile, lorsqu'il est généreux et sage.»