La littérature épistolaire est pratiquement "terra incognita" en Algérie. Seuls trois recueils de correspondances d´auteurs algériens ont été édités ailleurs : Mouloud Feraoun à ses amis (1969), Jean Amrouche-Jules Roy (1985) et Leila Sebbar - Nancy Huston (1986). D´autres rares lettres de Jamel-Eddine Bencheikh, Mohamed Dib, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, sont disséminées dans des ouvrages, revues et journaux. Aussi, il convient de saluer légitimement la parution en Algérie d´un autre volume d´épîtres échangées entre les deux Jean : Jean Sénac et Jean Pélegri, deux écrivains dont la "nationalité littéraire" algérienne - selon l´heureuse expression jamais obsolète de Malek Haddad - a été la matrice de toute une vie de partage. Entre "Algerrance" et "Nostalgérie", ces néologismes sont révélateurs de deux auteurs en forte situation psycho-géographique : le premier exprime l´Algérie errante mais fidèlement adulée de Sénac, le second la sincérité troublante de Pélegri pour une Algérie de toujours, particulièrement celle d´hier en résonance volontairement opiniâtre avec celle d´aujourd´hui. De 1962 à 1973, de l´Algérie indépendante déifiée à l´Algérie dévoyée une décennie plus tard, Jean Sénac a chanté la rapide décomposition d´une révolution en parallèle avec sa propre mort. Son lyrisme brutal, d´une franchise dévastatrice, se retrouve dans ses lettres adressées à Pélegri. Si celles-ci excellent à dépeindre les multiples états de son égo écorché vif, jumeau tyrannique de sa poétique, elles offrent aussi des éléments d´informations sur son être en position. Ce dernier se distingue par ses projets littéraires en perpétuel désordre, ses jugements sans appel sur l´oeuvre de son interlocuteur ou des jeunes poètes, ses rages politiques et enfin, son immense action dans le cadre de la première Union des écrivains algériens (1963-1967), dont on n´a pas encore évalué le rang qui lui sied dans l´histoire littéraire ainsi que l´a souligné ici même, un de ses autres membres fondateurs, Kaddour M´Hamsadji. S´agissant des correspondances de Pélegri, moins nombreuses que celles de Sénac, elles sont rédigées de la même encre que ses autres textes ou poèmes, partiellement inédits. D´un style pondéré n´excluant pas la fluidité, ces écrits ne sont pas moins ornés de charges émotives sur l´Algérie et son ami, poète lucide qui l´a aidé à se former à la grande mue de la décolonisation du pays et de l´esprit. Ce dialogue entre les deux Jean se trouve greffé de deux lettres d´autres Jean amis, à savoir, Jean de Maisonseul et Jean Déjeux. L´ensemble constitue un petit ballet architecturé de mots, illustré parfois par des textes originaux autographes, puis par une couverture qui donne vraiment à voir, dans tous les sens du mot. Les deux Jean : Jean Sénac et Jean Pélegri, Correspondances 1962-1973, Alger, Editions Barzakh et Montpellier, Chèvrefeuille étoilée, éditions Septembre 2002, 96 p. (*) Deux écrivains épistoliers Edité dans le cadre de l´Année de l´Algérie en France