Aujourd'hui, il est âgé de 34 ans. Quand il était monté au maquis, il en avait tout juste 24. Environ quatre ans après la promulgation de la loi portant concorde civile, bien des langues ont fini par se délier et révéler quelques aspects du monde obscur du terrorisme. Après avoir vécu un véritable enfer au maquis, de nombreux repentis originaires de l'Est, ayant bénéficié de la loi sur la rahma, puis celle de la concorde civile, se retranchent aujourd'hui dans un relatif isolement par rapport à la société. Ils ne communiquent pas facilement avec les «étrangers», encore moins avec la presse. A l'évidence, ils ne font confiance à personne. Mais quand il arrive à certains d'entre eux d'évoquer la période où ils ont pris les armes, ils ne disent jamais tout. Leur discours est plein de non-dits et de zones d'ombre. B. F. est de ceux-là. Aujourd'hui, il est âgé de 34 ans. Quand il était monté au maquis, il avait tout juste 24 ans. Il venait de terminer ses études supérieures à Alger, en sciences économiques. C'était durant l'année 1994. La guerre entre le GIA et l'AIS faisait rage dans les régions de Jijel, Skikda et Blida. Des circonstances qui l'ont vu rejoindre les rangs des groupes armés affiliés à El Hidjra oua etakfir. Il dit : «Je ne garde qu'un vague souvenir.» Il parle de hogra, de conditions sociales, des tawaghit et de dépassements de la part des forces de sécurité. A la question de savoir pourquoi des universitaires acceptent de se soumettre aux ordres d'émirs sanguinaires et incultes, il demeure vague. Mis à part le fait qu'il a activé près de Larbaâ, dans la wilaya de Blida, on ne saura peut-être jamais s'il a côtoyé Kertali par exemple. Il affirme : «J'ai effectué plusieurs voyages et séjours au Proche-Orient entre 1992 et 1994, quand j'étais encore étudiant.» Est-il vrai que des terroristes algériens ont effectivement rencontré Abou Kotada El Falestini, Abou Hamza El Misri ou Tourabi? Selon lui, «cela aurait pu se passer». Impossible de lui tirer d'autres informations comme, bien entendu, il maintient qu'il n'a ni tué ni violé. Difficile à confirmer ou infirmer. Il raconte par contre et avec plein de détails, qu'il a été «horrifié» par les méthodes, les qualifiant de «sataniques» de recrutement employées par les groupes armés. Selon lui, cela commence au début par la mise de petites sommes d'argent à la disposition de jeunes chômeurs âgés de 17 à 20 ans. Ces sommes sont multipliées par 2, 3 ou 10, selon l'aptitude du «sujet». Au moindre blocage, on passe au stade de «compromission» en leur faisant accomplir des actes en apparence «anodins» et sans danger pour les faire chanter par la suite. La situation dans laquelle se retrouve le «sujet» est simple : aller en prison ou rejoindre le maquis. «Une fois au maquis, déclare notre interlocuteur, c'est place à l'endoctrinement sur la base d'une appréciation erronée des textes du «djihad» d'Ibn Taymia ou Sayyed Qotb, en plus des fetwas djihadistes (que certains repentis n'hésitent pas aujourd'hui à qualifier de «novices» sortis tout droit des laboratoires de services étrangers). L'endoctrinement se poursuit jusqu'au passage au premier acte terroriste.» Il affirme qu'au maquis, «on faisait ingurgiter aux jeunes recrues des hallucinogènes et un mélange de barbituriques et de mescaline qui annihile toute volonté et toute réflexion». Ce mélange explosif faisait perdre aux jeunes recrues toute notion de réflexion. Les drogues, de «l'héroïne» importée d'Afghanistan, sont disponibles et distribuées à ceux qui ignoraient de quoi il s'agissait. Dès 1996, on convainquit les terroristes que le «musc» empêchait l'hémorragie. Conditionnées et disposées à tout après avoir mélangé le musc de la sève et des graines de pavot, les jeunes recrues et futurs sanguinaires sont jugés par leurs chefs, aptes pour le premier acte terroriste. Selon notre interlocuteur, «une fois, le premier assassinat (égorgement) accompli, la série noire commence», un zombie est né. Il sème la mort et la désolation. Les nouvelles recrues devenaient «accro» aux drogues et au sang. Cette discipline diabolique les poussait à se disputer le «privilège» d'égorger tout être qui tombait entre leurs mains. Les fatawis d'Abou Qotada El Falestini et Abou Hamza El Misri, assimilées, deux agents de MIS et, leur font croire que plus la victime souffrait plus cela les rapprochait de Dieu. Ils étaient également convaincus que les enfants, quel que soit leur âge, doivent être envoyés à Dieu pour leur éviter de tomber dans l'apostasie ou l'athéisme. Le meurtre des femmes et leur viol ont été légitimés par ces êtres abjects. Le repenti qui, contrairement à certains émirs, n'a pas ramassé de grosses fortunes, condamne aujourd'hui les atrocités commises par le GIA et le Gspc. Il était entré en conflit avec un certain Gousmi Chérif. Sur ce conflit, il ne dit pas tout. Car au fond, il a toujours peur. De quoi? Lui seul le sait.