«Ce n'est pas le plus fort des espèces qui survit, ni le plus intelligent, mais le plus réceptif au changement» Invité à présenter son exposé dans une conférence internationale de haut niveau, à savoir le Forum civique, qui est un espace de réflexion et d'action pour la démocratie, qui se tiendra les 17,18 et 19 novembre prochain à Bamako (Mali), Tewfik Hamel, Algérien, consultant expert international et un des spécialistes de la question du Sahel, a bien voulu répondre à nos questions qui interviennent dans un contexte politique, économique et sécuritaire assez complexe. «Ce n'est pas le plus fort des espèces qui survit, ni le plus intelligent, mais le plus réceptif au changement» conseille-t-il. L'Expression: Deux mois après le premier sommet Etats-Unis - Afrique à Washington, voilà un colloque international qui porte sur les «Regards africains alternatifs sur les questions de sécurité, les conflits et leur gestion en Afrique: le cas du Mali». Qu'en est-il des tenants et aboutissants de ces rencontres? Tewfik Hamel: Que chacun sache que le credo des Etats-Unis serait de promouvoir le commerce et la libéralisation économique, au niveau bilatéral, régional et mondial comme un outil pour améliorer leur contrôle et influence politique. Les marchés en dehors des frontières des Etats-Unis représentent 73% du pouvoir d'achat dans le monde, 87% de sa croissance économique et 95% de ses consommateurs. Avec la plupart de la population et la croissance économique mondiale carrément centrée dans le monde en développement, les entreprises américaines sont de plus en plus dépendantes des économies émergentes. D'où l'intérêt des milieux d'affaires américains. Alors que les marchés traditionnels sont saturés ou que l'opinion publique se retourne contre un produit particulier. Les entreprises se tournent vers les pays en développement avec un effet dévastateur. La sensibilisation du public ces dernières années dans les pays industrialisés sur les conséquences sanitaires désastreuses du tabac a conduit les géants de cette industrie à réorienter leurs activités vers les pays du Sud. En 1984, un rapport du Congrès a conclu que les pays en développement reçoivent actuellement 40% de toutes les exportations des Etats-Unis et sont le marché le plus dynamique, en valeur, pour les biens et services américains. 20% de la superficie agricole américaine cultive des cultures destinées aux pays en développement. L'Afrique ne fait pas exception. Le comble, c'est cette rencontre qui réunit 47 pays avec un seul Etat, à savoir les USA... Les puissances industrialisées du noyau transfèrent de manière abusive des richesses à partir de la périphérie, le seul moyen de maintenir un niveau de vie élevé pour la majorité de leur population sans revoir la structure du système capitaliste. En termes réels, l'Afrique paie plus de 10 milliards de dollars par an pour le service de la dette, tandis que les pays en développement dans leur ensemble devaient environ 1300 milliards de dollars en 1990. Ils ont transféré 43 milliards de dollars de leurs recettes d'exportation vers l'Ouest en 1988 seulement comme des remboursements de la dette, et entre 1984 et 1988, un total de 140 milliards de dollars a été utilisé pour le même but. Durant la décennie 1980, l'Amérique latine a opéré vers des créanciers un transfert de ressources net de 195 milliards de dollars, près de 554 milliards aujourd'hui. Selon l'Ocde, les ressources totales vers les pays en développement entre 1982-1990 étaient de 927 milliards de dollars. Dans la même période, les pays en développement ont remis 1 345 milliards de dollars pour le service de la dette à lui seul - une différence de 418 milliards de dollars en faveur de l'Occident. Pour comprendre l'importance de cela, il est intéressant de noter que le plan Marshall a transféré à l'Europe l'équivalent de 70 milliards de dollars en prix d'aujourd'hui. En d'autres termes, les pays en développement fournissent à travers le service de la dette à lui seul l'équivalent de plus de deux plans Maréchal tous les trois ans. Et cela à supposer que toutes les aides envoyées aux pays en développement ont été dépensées. Car, selon les estimations de l'Action Aid, seulement un tiers de l'aide publique du G7 en 2003 était des aides «réelles». Le reste était une aide «fantôme» qui pourrait, qui a d'autres objectifs, mais ne permet pas de lutter contre la pauvreté. Justement, la crise économique qu'ont connue les USA ces dernières années, peut-elle se situer à l'origine du rapprochement des Américains avec les pays d'Afrique, tout en prenant en considération la situation politico- économique et sécuritaire du continent? Au cours des dix dernières années, les pays en développement ont réalisé une croissance d'environ quatre fois plus rapide que les pays développés. La trajectoire devrait se poursuivre même dans le cas de l'Afrique. Les perspectives économiques du continent pour 2013 et 2014 sont prometteuses, tout en confirmant sa bonne résistance aux chocs internes et externes. Son rôle en tant que pôle de croissance dans une économie mondiale en difficulté est important. L'économie de l'Afrique devrait croître de 4,8% en 2013 et accélérer à 5,3% en 2014. La Chine, l'Inde et le Brésil consomment de plus en plus de pétrole, de matières premières et de produits manufacturés provenant de l'Afrique. L'Afrique cherche également à renforcer son intégration régionale et reconnaît la nécessité d'accélérer le processus de mise en oeuvre. Cela devrait permettre de relever les défis spécifiques liés à la petite taille de nombreuses économies africaines. Il s'agit notamment de la vive concurrence sur les marchés internationaux et le pouvoir de négociation avec des facultés affaiblies dans les négociations commerciales internationales. C'est dans ce cadre, c'est-à-dire se «repositionner» sur le marché africain, qu'il convient d'appréhender l'Africain Growth and Opportunity Act (Agoa). En effet, le commerce bilatéral entre les Etats-Unis et l'Afrique a plus que doublé depuis que la loi est entrée en vigueur en 2000. Le dernier sommet Etats-Unis/Afrique... Dans une de vos conférences à Alger, vous avez évoqué l'arrivée du tour des pays du Maghreb, qui vont subir le même sort que ceux du Moyen-Orient. Tout le monde s'interroge sur la question. Au niveau stratégique, une grande puissance a trois façons de sécuriser ses intérêts à l'étranger, forces positionnées à l'étranger, déploiement stratégique depuis la maison, ou s'appuyer sur des alliés fiables. La préférence des Etats-Unis consiste à trouver un équilibre entre les trois en fonction de l'environnement opérationnel et la valeur stratégique des régions en question. Vu le coût insoutenable de la stratégie de «défense vers l'avant», un rééquilibrage a eu lieu en particulier depuis le 11 septembre 2001 pour se focaliser sur la construction d'alliances nouvelles, fortes et alignées. Cette stratégie implique politiquement la cooptation des élites et la subversion politique et militaire, l'accès et le positionnement des moyens de combat. De cette façon, l'Amérique est venue pour maintenir et étendre un réseau d'alliances avec des petits et moyens Etats situés près des carrefours stratégiques et goulots d'étranglement le long des marges de l'Europe, l'Asie et le Moyen-Orient. L'approche des Etats-Unis de la région sahélo-maghrébine est subordonnée à leur stratégie mondiale. Ici, les intérêts américains s'appellent: approvisionnement énergétique, sécurité maritime, lutte contre le terrorisme, accès aux marchés, immigration clandestine et containment de la Chine. Une conclusion précise concernant le pays? Pour réussir sur le long terme dans un monde complexe, le pays a besoin d'une vision unificatrice si convaincante qu'elle agit comme un catalyseur ou une balise autour de laquelle évoluent les qualités essentielles qui permettent à une entité collective ou un ensemble organique d'améliorer sa stature dans l'ordre des choses. Propres aux sociétés démocratiques, de telles visions ne peuvent émerger que de manière consensuelle suite un long débat national souvent virulent. Face aux forces centrifuges de la mondialisation, «ce n'est pas le plus fort des espèces qui survit, ni le plus intelligent, mais le plus réceptif au changement». Cette remarque de Charles Darwin prend toute sa pertinence dans le contexte algérien. La cohésion d'une société est strictement liée à sa capacité à faire face à une multitude de risques découlant de son environnement et de sa propre organisation. Sous cet angle, l'Algérie a l'air d'une puissance régionale. Elle est plutôt un Etat fort et non pas puissant. C'est-à-dire un Etat soutenu par un empire bureaucratique et un appareil sécuritaire hautement coercitif. Dit simplement, construire et maintenir la sécurité et la paix sociale dépend fondamentalement des caractéristiques des systèmes politiques car le caractère des institutions politiques d'un pays exercent un puissant effet sur le risque de défaillance de l'Etat.