«Il y a des pays où les médailles ont deux revers!» Kurzas Il y a plusieurs façons d'honorer un homme de lettres. Dans les pays développés, c'est-à-dire où l'on a une certaine considération pour les écrivains, il y a plusieurs façons de rendre hommage aux femmes et aux hommes de lettres qui ont rendu, par leurs écrits, d'éminents services à leur nation en valorisant leur langue et leur culture, améliorant ainsi l'image extérieure de leur pays. Prenons un exemple, en France, sous l'Ancien Régime, de la monarchie absolue, cette reconnaissance aux gens de lettres était récompensée, non seulement par une confortable rente qui mettait le bénéficiaire à l'abri du besoin (évidemment tant que son protecteur était vivant et que les coups de brosse du poète courtisan étaient donnés dans le sens du poil), mais encore il était toujours le bienvenu à la cour où il pouvait distribuer aux nobles désoeuvrés les lumières de son intelligence. Mais gare aux dérapages, la disgrâce, la pauvreté et la gêne attendent ceux qui sont tentés par le langage de la vérité et de la dignité... Dans la période moderne, les gens de lettres sont distingués par des attributions de médailles décernées par les ministres concernés ou, honneur suprême, des mains du chef de l'Etat lui-même. Ainsi, le détenteur de la Légion d'honneur ou le chevalier des Arts et des Lettres peut ainsi bénéficier de moult avantages récompensés par des espèces sonnantes et trébuchantes comme par exemple, faire partie d'une commission bidon qui aura à plancher sur un épineux dossier que l'Assemblée nationale n'aura peut-être pas à ouvrir... Mais ceux qui ont fait la promotion de la langue française et qui l'ont défendue bec, ongles et plumes, sont portés à la plus haute distinction: l'Académie française! Ainsi, ce refuge des gens du troisième âge servira de cadre aux gens de lettres pour continuer avec plus d'éloquence, de brio et d'efficacité, leurs activités antérieures. Certains pourront, comme Clemenceau, continuer leur sieste digestive pendant que leurs collègues s'étriperont, à fleurets mouchetés bien sûr, sur le sens à donner à ce nouveau vocable qui vient d'une lointaine et étrange planète qui s'appelle la banlieue. D'autres suivront avec intérêt le va-et-vient des mots entre la douce France et la perfide Albion, d'autres plus circonspects exigeront une carte de résidence ou un visa d'entrée à ces mots qui apportent avec eux le soleil, la soif et la rage de vivre... Les plus avisés des académiciens continueront à faire la promotion de leurs ouvrages antérieurs avec de nouvelles pochettes portant le label prestigieux de la vieille maison qui donne le millésime au plus imbuvable des crus. Ainsi, grâce à son uniforme vert, son sabre et ses palmes, l'immortel n'aura plus à faire la cour aux lecteurs (trices) des grandes maisons d'édition. C'est lui désormais, qui va distribuer les points (bons ou mauvais) aux jeunots qui viendront le couvrir de louanges, et la roue tourne. Il ne paiera plus de dîners aux journalistes ou aux critiques littéraires pour préparer les sorties de ses ouvrages, c'est désormais lui l'invité. En outre, sa compagnie sera prisée: il bénéficiera de chaires à l'étranger et connaîtra les voyages qui n'ont pas formé sa jeunesse, de quoi oublier son douar d'origine et sa verte campagne. Tant pis pour les envieux, les jaloux qui épancheront leur fiel par tous les canaux: la bave des crapauds n'atteint pas les nuages où il trône. Mais, dans les pays sous-développés, là où l'Académie n'existe pas et n'existera peut-être jamais, l'homme de lettres s'inscrit toujours dans une relative clandestinité sous la surveillance de vigiles patentés. On se rappelera de lui la veille d'un anniversaire historique ou à l'occasion de Youm El Ilm et on l'invitera à une soirée commémorative où il recevra, en plus d'une fraternelle accolade, des fleurs et un diplôme de reconnaissance d'une patrie pleine de gratitude. Comme gage de bonne volonté, on le nommera à la tête d'une commission de lecture qui aura à lire de laborieux scénarii qui resteront dans les tiroirs, ou bien il aura droit à son portrait-robot exécuté à la va-vite par une télévision pressée de célébrer son quarantième jour! S'il a de la chance, après avoir été humilié, censuré, marginalisé ou poussé à l'exil, une fetwa sur mesure le tirera de l'anonymat où il végète. PS: les responsables politiques préfèrent s'afficher avec des joueurs de football qu'avec des hommes de lettres.