Les Saoudiens inondent le marché, une stratégie diabolique «Mon père chevauchait un chameau. je conduis une voiture. mon fils vole en jet. son fils chevauchera un chameau.» Proverbe saoudien Le roi Abdallah d'Arabie saoudite est mort. Le souverain s'est éteint à l'âge de 90 ans. Il a été enterré ce vendredi. Abdallah ben Abdelaziz al-Saoud avait accédé au trône en 2005, à la mort de son demi-frère Fahd. Son demi-frère Salmane, lui succède. Salmane est âgé de 79 ans. La succession est à ce point organisée qu'on connaît également le nom du nouveau prince héritier. Il s'agit de Moqren, âgé de 69 ans. L'Arabie saoudite est une des plus importantes puissances pétrolières au monde. Le pays abrite aussi les deux premiers Lieux-Saints de l'islam Dans les pays arabes les messages de condoléance affluent tous hypocrites les uns que les autres, même les pays occidentaux découvrent «les vertus pacifiques» du défunt roi Abdallah La dynastie des Saoud Comme l'écrit Christophe Rauzy, une nouvelle page de l'histoire de l'Arabie saoudite s'est tournée, Un changement de souverain qui s'opère dans le calme et la continuité. En 1932, après avoir fondé son royaume à coups de sabre, le roi Abdel Aziz Ben Abderrahmane Al-Saoud a mis en place un système de succession destiné à ses 53 fils: à la mort d'un roi, c'est son jeune frère le plus proche qui prend le relais. Salmane est le cinquième fils de la fratrie à monter sur le trône. Mais le nouveau roi est déjà âgé de 79 ans et souffrirait, selon The Atlantic (en anglais), de démence. L'arrivée au pouvoir de la génération suivante ne mettrait pas forcément fin à cette gérontocratie. Comme l'explique Jeune Afrique, Muteb Ben Abdallah et Mohamed Ben Nayef, les deux princes favoris pour remporter la guerre des petits-fils d'Abdel Aziz, sont déjà âgés de 63 et 56 ans. Celui qui succédera au dernier roi de la génération précédente pourrait lui aussi être devenu un vieil homme au moment de monter sur le trône. «... D'après Le Point,» c'est ce qui explique que Riyadh a pu se présenter d'un côté comme un allié des Etats-Unis pendant que, de l'autre, des fonds saoudiens finançaient les mouvements jihadistes syriens... combattus désormais par Washington». (1) La chute programmée du pétrole On croit à tort que l'Arabie saoudite a un libre arbitre en matière de pétrole. Ceci est faux. Car si les Occidentaux ferment les yeux sur le régime le plus rétrograde au monde -pétrole oblige- du point de vue justement du pétrole, rien ne peut se faire sans l'aval des Etats-Unis. On le sait l'Aramco, la compagnie américano-saoudienne de pétrole a une concession qui couvre pratiquement le territoire saoudien. De plus, l'entrevue sur le croiseur Quincy entre Roosevelt et Ibn Saoud a scellé le pacte «pétrole contre sécurité du royaume». Ce qui veut dire que la débâcle des prix du pétrole est non seulement voulue mais programmée. Il n'est donc pas question de porter atteinte aux producteurs américains de gaz de schiste! «Comme l'expliquent Les Echos, le baril saoudien bon marché condamne la rentabilité de cette nouvelle source d'énergie, et assure à Riyadh, à terme, de précieuses exportations vers les Etats-Unis. Mais cette chute des prix du pétrole a également l'avantage de handicaper deux autres pays concurrents sur le marché: l'Iran, ennemi intime de l'Arabie saoudite, et la Russie, premier soutien de l'autre ennemi intime, la Syrie, comme l'explique L'Expansion. Pour le pouvoir saoudien, cette conjoncture lui permet enfin de rappeler que ses réserves de pétrole, les plus importantes du globe, sont une arme géopolitique redoutable, qui avait déjà participé à la chute de l'Urss à la fin des années 1980.»(1) «Cette guerre froide entre les deux mastodontes du Moyen-Orient conditionne aujourd'hui les tensions dans la région. La lutte contre les djihadistes de l'Etat islamique est ainsi le théâtre d'une opposition entre Saoudiens et Iraniens, comme l'explique l'ancien ambassadeur de France en Jordanie Denis Bauchard: ́ ́Ce qui se joue là, c'est une continuité de l'affrontement Arabie saoudite-Iran, pour savoir qui sera le gendarme du Moyen-Orient. ́ ́ (1) Que fera de plus le nouveau roi? Pour Antoine Sfeir interviewé par Eleonore Abou El Ez: «Le roi Salman Ibn Abdel Aziz a longtemps été le gouverneur de Riyadh la capitale du Royaume. Il est désormais le chef du puissant clan des Soudeyri. Son point faible: les rumeurs persistantes sur son état de santé jugé précaire. (...) Les changements de la politique intérieure en Arabie se font au rythme du désert, lentement au compte- gouttes. On ne les verra que dans quelques semaines sinon dans quelques mois.» (2) «Le roi Salman doit se battre sur plusieurs fronts: la guerre menée contre le régime syrien de Bachar El Assad en Syrie n'a pas abouti au résultat escompté, la chute de Bachar. Force est de constater que ce dernier, quatre ans après le début de la guerre en Syrie, s'est renforcé grâce à ses alliances avec l'Iran, la Russie et la Chine. L'Iran se rapproche des Etats-Unis ce qui représente un véritable cauchemar pour les autorités séoudiennes. Faut-il négocier avec un Bachar en position de faiblesse avant d'être obligé de le faire avec un Iran en position de force? Ce débat n'est pas encore tranché. D'autant que depuis le 21 janvier, l'Arabie saoudite se sent encerclée par les forces chiites. Ces derniers s'étant emparés du complexe présidentiel de Sanaa au Yémen et s'apprêtent à prendre d'assaut la région qui leur échappe encore. La région pétrolière de Mer'eb.» (2) Le grand spécialiste de la scène moyen orientale René Naba ajoute que la politique extérieure de l'Arabie saoudite sera confrontée à la dure réalité: «Abdallah Ben Abdel Aziz, laisse un royaume en plein désarroi, l'annonce du décès du roi a eu lieu, alors que le Yémen plongeait dans le chaos à la suite de la démission collective du président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi de son gouvernement, sous les coups de butoir de la milice chiite Ansar Allah et que Riyadh se hâtait de dresser un mur de 900 kilomètres à sa frontière avec l'Irak pour se protéger d'une invasion par les djihadistes de l'état islamique autoproclamé. Au-delà des propos post-mortem de circonstance vantant les qualités du défunt roi, «défenseur de la paix» Stephen Harper-Canada), «grand homme d'Etat dont l'action a profondément marqué l'histoire de son pays (François Hollande-France), «dirigeant sincère et courageux» (Barack Obama- Etats-Unis), l'Arabie saoudite passera dans les annales de la décennie 2010 comme le grand vaincu de la guerre de Syrie. (...) Le chef de file de l'islam sunnite a porté le fer aux quatre coins de la planète pour le compte de son protecteur américain, mais le bailleur de fonds des équipées militaires américaines dans le tiers-monde -de l'Afghanistan au Nicaragua, à l'Irak et à la Syrie- n'est jamais parvenu à libérer l'unique Haut Lieu Saint de l'islam sous occupation étrangère, la Mosquée d'al Aqsa de Jérusalem. (...)» (3) «(...) 90 ans après la constitution du royaume, le bilan est sans ambiguïté et ne souffre aucune circonstance atténuante à en juger par la décomposition du Monde arabe, sa mise sous tutelle américaine avec le déploiement d'une demi-douzaine de bases militaires dans l'espace arabe (Arabie saoudite, Bahreïn, Jordanie, Koweït, Oman, Qatar), la subversion meurtrière qui secoue périodiquement le royaume, les dérives de ses anciens sujets dont le plus illustre disciple n'est autre que l'animateur de la plus importante organisation clandestine trans-nationale de l'intégrisme musulman, Oussama Ben Laden, (...)» (3) «(...) Le plus jeune royaume parmi les grands décideurs de la planète, l'Arabie saoudite, se voulait un phare d'un monde marqué par la renaissance de la sphère musulmane, après quatorze siècles de léthargie ottomane et de sujétion coloniale. Mais ce pays quasi centenaire, constamment gouverné par des gérontocrates depuis sa fondation en 1929, aura été l'incubateur absolu du djihadisme erratique dans toutes ses déclinaisons, Idiot utile de la stratégie atlantiste, destructeur des Bouddhas de Bamyan et des sanctuaires de Tombouctou, la meilleure justification à l'islamophobie occidentale. (..)»(3) La politique saoudienne vis-à-vis de l'Occident et d'Israël Sans vouloir revenir à la politique courageuse du roi Fayçal qui fut tué dans des conditions obscures, les monarques saoudiens ont été évanescents; il a fallu les attentats des twin towers, pour que le royaume qui avait 15 de ses ressortissants parmi les 19 terroristes, fasse des propositions de paix: «Il réagit aux attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par des kamikazes, dont une majorité était ses sujets, en formulant une offre de paix globale avec Israël. Il illustra par une visite historique au Vatican une volonté de dialogue interreligieux destinée à éloigner l'islam des sables mouvants d'un rigorisme et d'un retour à la religion des «pieux ancêtres» qu'il jugeait difficilement compatible avec son titre officiel de «Serviteur des Lieux Saints». Dès 1996, l'attentat contre la base américaine de Dahran sonne comme un avertissement. Cette menace se précise en 2001 avec les attentats du 11-Septembre, perpétrés par Al Qaîda, à New York et à Washington. Un coup double pour le chef de la nébuleuse terroriste déchu de sa citoyenneté saoudienne et qui frappe du même mouvement «l'ennemi proche» saoudien et «l'ennemi lointain» américain. Aux Etats-Unis, la réaction est virulente contre un royaume accusé d'avoir laissé se développer, voire d'avoir nourri, une haine absolue des Etats-Unis, allié pourtant historique de la dynastie des Saoud. Six mois plus tard, en février 2002, le prince Abdallah, recevant le journaliste américain Thomas Friedman, dévoile une initiative diplomatique destinée à dissiper le malaise. Abdallah, reprenant dans ses grandes lignes le plan Fahd présenté vingt ans plus tôt, propose une normalisation globale du Monde arabe avec Israël pour le prix d'un Etat palestinien sur la base des frontières de 1967 (la Cisjordanie et Ghaza). Ariel Sharon se garde bien de donner suite, mais pour Abdallah l'essentiel est d'avoir pu donner une autre image de son pays. (...) L'énergie déployée par le nouveau roi dans ses premières années de règne fait regretter à de nombreux intellectuels et hommes d'affaires cette longue transition de dix ans, synonyme d'immobilisme. Dialogue national étendu à la minorité chiite, débats sur la place des femmes dans la société, création d'un conseil d'allégeance pour encadrer les règles de la succession et préparer le passage à la nouvelle génération: Abdallah multiplie les chantiers.»(4). «Rapportées aux pesanteurs du royaume, les réformes d'Abdallah tranchent par leur hardiesse, mais elles montrent aussi leurs limites, d'autant qu'à partir de décembre 2010 le monde arabo-musulman est emporté par une vague de réformes sans précédent dans son histoire moderne. En dépit de ses efforts, Abdallah ne dispose que d'une marge de manoeuvre relative au sein de la famille royale. (...) Si la vague des «printemps» voit aussi l'Arabie saoudite d'Abdallah appuyer des révolutionnaires, en Syrie, c'est surtout parce que la crainte ancestrale de l'Iran chiite, qu'exprime sans fard le roi dans les télégrammes diplomatiques américains révélés par WikiLeaks quelques mois auparavant, l'emporte sur le souci de stabilité régionale et que cette contestation est un moyen pour affaiblir l'axe Téhéran-Damas-Hezbollah.»(4). Politique pétrolière du royaume L'une des premières annonces du roi concerne la politique pétrolière qui ne devait pas changer. Les Bourses n'ont pas bougé. Le prix du brut s'est orienté à la hausse en Asie, vendredi 23 janvier au matin, après l'annonce du décès du roi d'Arabie saoudite. Le baril de ́ ́Light Sweet Crude ́ ́ (WTI) pour livraison en mars s'appréciait de 0,83 dollar ou 1,79%, à 47,14 dollars, dans les échanges électroniques après être monté de 3,1% à New York. Le baril de Brent de la mer du Nord pour livraison à même échéance montait de 1,08 dollar ou 2,23%, à 49,60 dollars.(5) Salman devrait en effet poursuivre la stratégie actuelle approuvée par son frère en 2014, estime Fatih Birol, économiste en chef de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Le royaume devrait donc maintenir une production soutenue pour affaiblir les producteurs non-membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) -Quitte à laisser s'effondrer les prix, tombés sous la barre des 50 dollars le baril. Le 15 décembre, les pays du Golfe ont perdu en une seule journée 42 milliards de dollars, le ministre émirati déclare qu'ils ne bougeront pas même si le baril descend à 40 dollars. Il reste le premier exportateur de brut (7 millions de barils par jour) et le seul à pouvoir mettre 2,5 millions de barils supplémentaires sur le marché pour éviter la pénurie et la flambée des prix en cas de défaillance d'un membre de l'Opep. On estime les réserves de devises du royaume à 750 milliards de dollars. En 2011, alors que le Monde arabe était secoué par les révolutions de la Tunisie, au Yémen et de l'Egypte à la Libye et à Bahreïn, Abdallah n'avait pas hésité à puiser 130 milliards dans les caisses pour acheter la paix sociale et éviter la contagion révolutionnaire.(5) On le voit, c'est le changement dans la continuité. Le nouveau roi que l'on dit malade est un roi d'intérim,. Il n'y a pas grand-chose à attendre comme réforme profonde. Il est cependant possible que la politique vis-à-vis de la Syrie change sous la pression occidentale et que l'alimentation du terrorisme diminue. Le seul espoir est d'attendre la deuxième génération de rois qui seront peut-être moins marqués par le conservatisme. En ce qui concerne le pétrole, tout dépendra dit-on des forces du marché et l'on sait comment ces dernières sont manipulées par une main invisible. L'Algérie ne doit rien attendre de ce côté. Les prix du pétrole sont partis pour être bas pendant longtemps. A nous de chercher ailleurs la création de richesse. 1.Christophe Rauzyhttp://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/coups-de-fouet-barils-de-brut-et-gerontocratie-a-quoi-ressemble-l-arabie-saoudite-aujourd-hui_805143.html 2. Eléonore Abou Ez http://geopolis.francetvinfo.fr/antoine-sfeir-sur-salman-le-nouveau-roi-darabie-saoudite-51613 3.René Naba http://www.madaniya.info/ 2015/01/23/arabie-saoudite-un-royaume-en-plein-desarroi-en-pleine-convulsion/ 4.Gilles Paris http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2015/01/23/mort-d-abdallah-ben-abdel-aziz-al-saoud-roi-d-arabie-saoudite_4561910_3382.html#SI3AHyqlUZwG4VGU.99 5.L'Arabie saoudite devrait maintenir sa politique pétrolière Le Monde.fr | 23.01.2015