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Un monde décomposé mais onirique
HANIA JUNG EXPOSE À EZZOU ‘ART GALERIE
Publié dans L'Expression le 24 - 02 - 2015

«Shadi madi quali rassi c'est un peu la cantine, ce qu'on raconte aux enfants ou ce qu'ils chantent quand ils ont du mal à faire des choix. Je me suis exactement mise dans cette posture-là pour réaliser ma collection...»
La designer la plus cool de la stratosphère culturelle algérienne, Hania Jung alias Princesse Zazou, nous revient avec une nouvelle exposition des plus gourmandes et colorées plus que jamais. Intitulée de façon originale Shadi madi quali rassi,à l'image de cette cantine pour enfants ou cette phrase qu'on dit lorsqu'on ne sait plus quoi choisir ou de donner de la tête. Jouer avec le sens, les cartes, les mots, les signes et les images telle est la gageure de Hania Zazou qui s'est plue à déconstruire les icônes ou les signaux qui nous parviennent du dehors pour recomposer un monde fantastique, farfelu qui est plutôt, si l'on regarde de près, se rapproche plus de notre quotidien fait d'images hachurées et infos diverses et éparses qui proviennent d'ici et de là de la planète.
«Shadi madi quali rassi c'est un peu la cantine, ce qu'on raconte aux enfants ou ce qu'ils chantent quand ils ont du mal à faire des choix. Je me suis exactement mise dans cette posture-là, c'est-à-dire face aux médias, au flux et reflux d'informations avec lesquelles on nous bassine, d'une part et d'autre part, avec ces injonctions de se positionner, notamment dans l'identité, l'axe du bien féminin, pas féminin, pas homme...» nous a confié l'artiste qui se rappelle avoir réalisé en 2003 une vidéo en noir et blanc avec une femme qui se maquille dans son quotidien et avec comme arrière-plan sonore un son bien singulier celui-là.
Hania avait sciemment décomposé tous les discours politiques des présidents, les a hachurés et leur a fait dire n'importe quoi. «Parce que c'est comme ça que moi je vois les choses, pendant qu'eux font leur popote politique, des choses qui ont de grandes influences sur nos vies, alors que nous, on entend ça comme du brouhaha. Ce qui revient ce sont les grandes lignes, quand il y a du ballon, des choses reliées aux choses sexuelles et les vrais problèmes on n'en sait rien. On ne peut rien y faire au quotidien...» C'est parti de ce concept qu'est née cette collection de tableaux visibles à la galerie Ezzou'Art du centre commercial de Bab Ezzouar et ce durant 20 jours. Par contraste à la vidéo, ce travail, Hania l'a voulu figé en images, d'une part et d'autre part, ultra coloré, de façon que même si un enfant ne comprend pas grand chose, il s'émerveillera allègrement dès qu'il franchira la porte de la galerie. Car il regardera cela avec plaisir et amusement. Mais, si on tendait un peu plus notre oeil et on regardait entre les lignes on découvrira énormément de messages politiques basés sur la décomposition.
Ici et là, on découvre un avion qui percute mais représenté comme un papier, des lapins ont des costumes bleus comme des grades sauf qu'ils sont fleuris. Nous pensons au lapin de la pin-up mais aussi à celui d'Alice au pays des Merveilles, celui qui n'a pas trop le temps et court derrière le temps, ce que nous sommes.
«Je ne donne pas de réponses figées...» explique encore l'artiste. Ses tableaux réalisés comme un assemblage de patchworks numérisé met en scène des télés, des ballons etc. A l'intérieur de la mire on lit «Signal orienté». Et ailleurs «Signal désorienté». Sont-ce là les quelques titres que l'on peut retrouver ici?
Le visages des femmes sont voilés, le regard est caché par un poisson. «Tout le monde s'en fout de qui tu es. On a la femme en karakou, la Berbère, celle en bas résille etc. On ne rentre pas dans ton identité propre, on est plus dans des images iconiques. C'est pour cela que je ne donne pas à voir les yeux. Après je m'amuse beaucoup. Le tableau avec des cerfs je l'ai appelé Mashi Chadi...» Univers onirique à volonté l'on peut distinguer outre ces oeuvres grand format, des «tnibers» sur lesquels sont brodés des portraits et des images, clin d'oeil aux grands-mères, mais aussi des fauteuils hypercolorés et savamment décorés qui font la marque de fabrique de Brokk'Art, en nomade ici.
Des appellations comme «Sans queue ni tête», renvoyant à la même dame qu'on revoit souvent dans ces tableaux et qui, à un moment donné, perdant la tête, est suggestive à plus d'un titre... Ces oeuvres sont ainsi truffées de symboles politiques, culturels, y compris religieux, où l'esthétiquement incorrect accompagne des postures, des images de nostalgie du passé, de façon à se positionner comme des jeux de cartes dupliqués. «Comme les dames de pic. De coeur. L'idée c'est que tu peux la lire d'en haut et d'en bas, c'est la même chose. On s'y perd toujours...»
Astucieuse idée laquelle est magnifiquement bien rehaussée de formes éclatées qui peuvent vous donner à votre tour le tournis mais non sans vous pousser à vous interroger sur le désordre du monde qui vous entoure...


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