«Le métier d'enseignant requiert cinq années d'études universitaires, dont une bonne partie (minimum un an) est consacrée à la pédagogie» «Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.» Guillaume d'Orange Pour avoir des résultats probants, il faut y mettre le prix! L'école ne fait plus rêver. Beaucoup de parents d'élèves cherchent des stratégies d'évitement, certains se saignent aux quatre veines pour payer des heures d'enseignement, d'autres se détournent carrément de l'école et investissent les clubs de foot pour y inscrire leurs enfants. Il est vrai que l'inversion des valeurs en Algérie fait que des bacs -5 peuvent se retrouver avec des salaires mensuels équivalents à ceux d'un enseignant pendant plusieurs années. C'est d'ailleurs, une règle générale, tout est bon à prendre. et pour cause. Naturellement, à l'aune de ces exemples qui malheureusement servent de repères à la jeunesse, les doléances des enseignants sont des broutilles et travailler dans l'informel des heures supplémentaires en monnayant les notes peut paraître anodin. Il n'empêche que ce sont les formateurs des générations futures et, du point de vue de l'éthique, ils sont condamnables. En Algérie, les écoles privées de la capitale croulent, dit-on, sous la demande de nantis nationaux qui peuvent payer de 850.000 DA à 270.000 DA par an pour assurer un avenir meilleur à leur progéniture. A qui donc la faute? La lente descente aux enfers du système éducatif Le système éducatif algérien ne s'est pas écroulé d'un coup, c'est un long délitement qui a commencé avec l'école fondamentale, mais qui s'est accéléré pendant la décennie noire pour arriver à l'état lamentable où nous sommes: à peine 30% d'une classe d'âge arrivent à décrocher le baccalauréat qui lui-même a été démonétisé. De plus, cette descente aux enfers a été accélérée par la disparition progressive des baccalauréats mathématiques et mathématiques techniques, qui fait que nous avons un «ventre mou» qui ne correspond à pas grand-chose en termes de compétence et une hypertrophie des baccalauréats de lettres et sciences «douces» qui ne mènent pas loin. Ajouter à cela le recul de l'Etat pendant près de vingt ans devant des revendications abscons telles que la atba, c'est-à-dire que l'épreuve du baccalauréat est indexée non pas sur le programme mais sur la performance la plus faible des lycées. Résultat des courses: nous recevons à l'université des étudiants «non structurés» qui ne maîtrisent rien et qui ont été formatés à ânonner plutôt qu'à réfléchir. Pour couronner l'état de déliquescence actuel, il fut une époque où c'était l'enseignement supérieur qui désignait les présidents de jurys parmi les enseignants du supérieur qui avaient de l'expérience ou on parlait d'agrégation; où en sommes-nous maintenant? L'éducation se porte mal et les grèves n'arrangent rien. Il est d'ailleurs incompréhensible que les syndicats ne s'intéressent pas de façon assidue à l'acte pédagogique, le dernier rapport sévère de l'Unesco est un avertissement et devrait nous interpeller. De ce fait, être contre une charte des droits et devoirs des acteurs de la communauté de l'éducation est incompréhensible. La compétence est individuelle et l'avancement devrait avoir lieu principalement au mérite. Les syndicats qui segmentent les trois paliers - chacun ayant ses ouailles - sont d'accord sur une chose entre eux. Ils demandent des promotions de douf'a, c'est-à-dire à l'ancienneté, avec le bon et le mauvais. C'est très porteur comme électorat. De mon point de vue c'est un scandale! Au lieu d'aller vers l'agrégation, on lamine les compétences. A tort les enseignants syndicalistes pensent que c'est la loi du nombre qui amènera des acquis. Supposons que la tutelle lâche, la grève s'arrête; des milliers d'enseignants passeront à travers les mailles du filet sans qu'ils n'aient été évalués sur leur savoir. Le résultat nous le verrons dans quelques années avec un niveau de plus en plus bas et une fois de plus, l'Unesco nous admonestera... Il est nécessaire que les syndicats sachent qu'il ne faut pas brader le niveau. On s'étonne ensuite qu'elle soit désertée pour des horizons meilleurs. L'école, cela devrait être ce que nous avons de plus précieux. Quelles que soient les chapelles politiques. Les dérives Certains enseignants demandent une retraite anticipée. Mieux. A 45 ans, au moment où l'enseignant est dans la force de l'âge il s'en va. Tout simplement parce qu'il a un autre centre d'intérêt qui est de monnayer son savoir. Les cours supplémentaires sont plus lucratifs. Il semble que les grévistes sont en majorité des professeurs de mathématiques, physique, philosophie, français; il est plus que jamais nécessaire que l'éthique s'installe. L'école informelle et le chantage au baccalauréat La plaie constituée par l'informel des cours nous interpelle tous. Certains enseignants du secondaire font dans l'informel, ils activent sans scrupules (parce que dispenser des cours chez soi, dans des conditions pédagogiques souvent déplorables, et ne pas payer l'impôt y afférent, relève de l'informel et leur confère une image exécrable). Les chasseurs de prime immoraux qui ne savent pas ce que c'est que l'éthique d'une vie au service de la société sont à l'image de ce couple cité par monsieur Tessa qui n'est pas le seul. En effet ils sont nombreux dans le secondaire qui profitent de la détresse des parents et en plus qui trichent en se donnant un vernis d'excellence en n'acceptant dans leurs cours que ceux qui ont des moyennes 14+ qui, naturellement, réussiront au bac dans tous les cas. D'une façon pertinente Ahmed Farrah décortique la mécanique du chantage à la grève et le corollaire du soi-disant rattrapage reprenant les dires d'un inspecteur général de l'éducation il écrit: «Le mobile de toutes ces grèves paraît opaque (...) L'école publique est, aujourd'hui malmenée, en dépit du règlement des revendications salariales des enseignants; le retour de la contestation est un prétexte pour la déstabiliser davantage. Entre-temps, des dizaines de milliers d'heures de cours sont perdues et impossibles à rattraper. En démocratie, les jours de grève ne sont pas payés, en Algérie on les rattrape mais virtuellement, et tout le monde est content, sauf les dindons de la farce que sont les élèves qui préparent le baccalauréat. Cette situation a créé une attitude dangereuse dans le comportement des élèves candidats au baccalauréat qui désertent les classes et vident les lycées, pour se consacrer à leur examen hors des établissements scolaires. Ces conditions favorisent la sélection des élèves par l'argent, les parents qui le peuvent, faisant de plus en plus appel à des cours privés fort onéreux. Cet état de fait s'est manifesté il y a une dizaine d'années déjà, par la généralisation des cours privés dans des locaux bondés, souvent des garages pour voitures, insalubres, pas chauffés, situés dans des quartiers populeux, dangereux la nuit, quant aux cours particuliers à domicile, ils ne sont accessibles qu'aux plus aisés.» (1) Pour Rachid Brahimi faisant le même constat de dérive de l'éthique: «Non, nous ne pouvons pas éradiquer ces cours, car ils obéissent à la loi de l'offre et de la demande, celle-ci émanant de l'élève ou (et) de ses parents. Et si des enseignants sont mercantiles, il ne faut pas oublier que les avides d'un gain plus important, plus rapide et moins fatigant, sont légion au niveau d'autres secteurs d'activité. Cependant, il est tout à fait scandaleux que des élèves soient soumis au chantage de leurs enseignants qui les obligent insidieusement à prendre des cours payants et gratifiés par un gonflement de notes. Dans ce cas de figure, puisque l'élève et l'enseignant fréquentent le même établissement, une forte implication des associations parentales pourrait remédier à ce racolage.» (2) On sait que l'école n'optimise pas ses moyens pour plusieurs raisons, notamment en ce qui concerne l'environnement. Ainsi, l'école travaille au minimum; il est possible de faire deux vacations et augmenter la capacité d'accueil des écoles. Cela ne devrait pas être un problème de salles de classe mais de management de la ressource humaine et matérielle. De plus, le projet de cours par Internet permet de sauver, en cas de grève, en partie l'enseignement et diminuer le recours à l'informel des cours supplémentaires. Il me semble que la préoccupation majeure devrait être aussi l'amélioration constante de l'acte pédagogique. Cela pourrait se faire à travers les Conseils pédagogiques par matière à travers les 2000 lycées. Chaque C.P. aura à suivre en permanence l'état d'avancement d'une matière, notamment celles du baccalauréat, il n'y aura plus la gabegie de la «atba» puisque les C.P. attireront l'attention de la tutelle plus tôt et la remise au niveau pourra se faire dans les délais. On dit par ailleurs qu'un accord signé entre le MEN et le ministère de la Communication, prévoyait l'émission par la télévision publique de cours de soutien à partir du mois de décembre 2014. Il serait indiqué d'ouvrir ce chantier grâce à l'accord des Conseils pédagogiques par matière. Pourquoi une charte? Une charte est l'aboutissement d'une codification d'un vivre-ensemble au sein de la famille de l'éducation. Les différents acteurs ont en commun l'amour de l'école et concourent chacun à son niveau à l'élévation du niveau de l'éducation dans une atmosphère d'harmonie. Chacun des acteurs, enseignants, élèves, parents d'élèves, administration des moyens, doit s'y retrouver sans qu'il y ait une interférence dans les prérogatives. A titre d'exemple, l'administration des établissements devrait avoir un strict rôle de stratège en termes de recherche d'harmonie et d'intendance - aussi respectueux soit-il - et de mise à disposition des moyens. Elle doit s'interdire toute interférence dans le pédagogique. On l'aura compris, il ne devrait pas y avoir de place pour les «petits arrangements» pour plaire à la tutelle, aux parents, aux autorités du coin... Seul le savoir doit émerger. En fait, tout tourne autour de la compétence et l'abnégation de l'éducateur; on ne devient pas enseignant par accident mais surtout par vocation. Dans ces conditions il existe un fil rouge en chacun de nous qui est celui de l'éthique qui fait que nous ne devons pas tricher ni dans nos enseignements en réchauffant au fil des ans le même enseignement sans réel apport nouveau, ni dans nos façons de noter, de nous présenter devant les élèves qui -il faut bien le dire- d'une façon ou d'une autre sont formatés par l'image que nous leur donnons. Les syndicalistes qui ne veulent pas entendre parler de la charte devraient s'interroger sur leur rôle premier. Est-ce seulement de revendiquer des logements, et de l'avancement sans effort? Certes je suis de ceux qui se battront pour la dignité de l'enseignant qui devrait être à l'abri du besoin, mais le rôle du syndicat - en principe ce sont des enseignants, même s'ils ont largué les amarres, ils ne devraient pas avoir un comportement de grévistes classiques en ce sens qu'ils ont entre les mains une denrée malléable fragile et difficile à remobiliser une fois démobilisée, l'enfant. Il est vrai qu'il faille faire preuve de pédagogie trouver les dénominateurs communs autour de l'épanouissement de l'élève, à prendre à témoin les parents d'élèves et en définitive mettre en accusation, le mot n'est pas assez fort, ces enseignants qui sont rentrés dans l'éducation sans sacerdoce et, pourrait-on dire pour certains d'entre eux- heureusement le petit nombre- par effraction. La charte permet de clarifier les droits de chacun - ce sont plus que des devoirs -ce sont des responsabilités tant il est vrai que d'eux - les gardiens du temple- dépendra l'avenir du pays. L'Ecole finlandaise et l'Ecole algérienne: deux visions du monde Samir Fraga nous décrit. La grande loi sur l'école est votée en 1968. Elle prévoit l'unification de la scolarité obligatoire dans le service public et une formation beaucoup plus approfondie pour les enseignants. Le financement des écoles est du ressort des municipalités, ainsi tout est pris en charge, le soutien scolaire, le transport, la cantine, les dépenses de santé et toutes les fournitures scolaires durant l'école fondamentale qui dure de 7 ans jusqu'à l'âge de 16 ans. Les classes sont équipées de TV, lecteur DVD, ordinateur, rétroprojecteur (utilisé aussi par les élèves pour valoriser leur travail). Il existe aussi des salles conçues spécialement pour accueillir les élèves et leurs parents. Le modèle est basé sur une grande valorisation des professeurs, sélectionnés pour leurs qualités pédagogiques, lors d'un concours très strict, et laissés libres, une fois devant leur classe, de développer leurs propres méthodes éducatives. Les Finlandais, fiers de leur système scolaire, remarquent d'ailleurs qu'il est aussi difficile pour un candidat d'être admis en maîtrise de pédagogie que de devenir médecin. Seul un candidat à l'enseignement sur dix parvient à son but.» (3) «Le métier d'enseignant requiert cinq années d'études universitaires, dont une bonne partie (minimum un an) est consacrée à la pédagogie. Les salaires sont dans la moyenne occidentale, nettement plus élevés que les salaires français. Avec 20 élèves par enseignant, l'école finlandaise a l'un des meilleurs encadrements en Europe. On attend beaucoup de l'enseignant, «chaque élève compte», l'enseignant finlandais n'est pas le maître autoritaire qui donne un savoir magistral mais un éducateur professionnel qui est en communication profonde avec chaque élève.» (3) Qu'en est-il de l'Algérie?Sur les 144 pays étudiés par le Forum économique mondial, le système éducatif algérien est classé à la 131e place (Mali 118e), on conserve la même place, dans la qualité du management des écoles (France 8e, Maroc 47e), dans l'enseignement primaire, l'Algérie est classée 129e (Maroc 108e) et dans l'accès à Internet en 132e place (Ethiopie 119e) dans le taux de scolarisation au cycle primaire, l'Algérie est à la 49ème place, quant à la formation du personnel on est à la 142e place (Mauritanie 141ème). Si par essence je suis solidaire avec les enseignants, notamment sur l'injustice des classes surchargées par rapport aux classes qui ne le sont pas, en leur âme et conscience combien préparent leurs cours au-delà des deux ou trois premières années? Combien se documentent d'une façon régulière? Combien passent six heures par semaine dans les corrections en dehors des compositions? Justement, une charte de l'éthique pour laquelle il faut sincèrement remercier la ministre de l'Education en l'encourageant à ouvrir ce chantier est là pour moraliser la pratique de l'enseignement et séparer le bon grain de l'ivraie. Pour l'histoire, une charte de l'éthique a été confectionnée dans le supérieur et pour y avoir avec d'autres collègues investi une expérience de plus de trente ans, nous ne comprenons pas que l'enseignement supérieur ne la mette pas en oeuvre! On s'étonne ensuite du malaise structurel actuel et des graves dérives éthiques. Mais ceci est une autre histoire. Les syndicalistes ne devraient pas oublier qu'ils sont avant tout des enseignants qui doivent donner l'exemple dans leur enseignement mais aussi pour militer pour une école de la réussite qui ne laisse personne sur le bord de la route. Il est éminemment important pour des syndicats de s'inquiéter de la déliquescence de l'acte pédagogique, du tsunami dans les têtes de nos enfants confrontés aux perturbations des grèves. Au Japon, le gréviste met un brassard mais continue son travail. Si le droit de grève est permis encore faut-il raison garder et ne pas le brandir comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des enfants et des parents! Rien ne peut se faire sans un consensus social sur l'école. L'insuffisance de débats de fond fait que personne ne se sent concerné par l'école. Il est de mon point de vue un deal qui transcende les divergences des uns et des autres. C'est ce que nous voulons faire de mieux pour ce pays dans un contexte mondial de plus en plus chaotique. Nous récoltons dès à présent les fruits de trente ans d'errance qui nous ont conduits de l'école fondamentale aux réformettes des vingt dernières années que pourtant nous avions tenté de corriger lors du débat sur l'Ecole au début de l'an 2000. Nous devons cesser d'être dans la dictature de l'urgence. Pour des problèmes de fond et de consensus, c'est l'avenir des jeunes que nous devons avoir en tête. L'avenir se construit ici et maintenant prenons le dur chemin de la science, du savoir, de la sueur. Ce serait dramatique de ne pas tirer toutes les conséquences car ce semblant de victoire à la Pyrrhus consacre de fait la défaite de la pensée. 1. Ahmed Farrah http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5210581 2. Rachid Brahmi http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5210583 3. Samir Fraga http://www.lequotidien-oran.com/?archive_date=2014-12-01&news=5206572