Le tribunal criminel au Ruisseau L'intervention de Maître William Bourdon, l'avocat principal de Chani, était faite de... menaces d'intervention... européenne! Le procès de l'autoroute Est-Ouest, tant attendu, ira-t-il jusqu'au bout? En ce matin de dimanche et à voir les têtes de ceux qui ont la charge de défendre les accusés et les inculpés, nous devinons déjà que Tayeb Hellali, le président du tribunal criminel, n'a pas été gâté par la distribution des dossiers pour cette session de printemps. Avant même que la chambre d'accusation ne tranche, des remous ont soulevé des vagues et les avocats avançaient à l'époque le respect des droits de la défense et leur piétinement. Ce piétinement avait débuté par l'absence de respect des procédures judiciaires au commencement de l'affaire et au déclenchement de l'enquête. Une enquête critiquée par les concernés qui ont alors crié à la violation, voire aux violations des lois en vigueur, signalant au passage les nombreuses atteintes aux droits et libertés des mis en cause qui ont dénoncé les mauvais traitements et même les humiliations subies, «car, criera un avocat, il fallait faire vite, l'opinion s'impatientait!». Comme nous pouvons le constater, les ennuis du tribunal criminel ont montré le bout du nez avant même d'aller au fond. Medjdoub Chani, l'accusé principal, n'avait-il pas refusé d'être entendu par les juges sans la présence d'un de ses cinq avocats, Maître William Bourdon du barreau de Paris qui a obtenu son visa le lendemain du renvoi de l'affaire? Maître Amine Sidhoum promet une énorme surprise. Attendons donc ce dimanche, alors que la parfaite organisation attire l'attention à la cour d'Alger où les responsables ne veulent pas d'impairs et autres bévues qui déplairaient en haut lieu, car en haut lieu, on cherche à ce que le procès se tienne sans accrocs! La fouille est là En effet, dès 8h30, le siège de la cour, sise au Ruisseau, place Emiliano-Zapata, est envahi, non pas par une foule nombreuse, mais par de petits groupes formés pêle-mêle, d'inculpés en liberté provisoire, d'avocats venus en covoiturage ou en métro, de témoins, et ils sont nombreux. Il y a même, une fois n'est pas coutume, des greffiers pas pressés d'arriver au guichet unique, car situé au rez-de-chaussée, alors que d'autres collègues se farcissent neuf à six étages, heureusement en ascenseurs disponibles... Sur la placette du parking, Meriem Djebari discute avec des conseillers, eux aussi matinaux. Tayeb Hellali et ses assesseurs sont déjà au bureau, au 8e étage. Boualem Bekri, le président de la 4e chambre pénale, est là aussi en compagnie de l'excellent Abdenour Amrani de la «douzième». A l'entrée, les agents sont vigilants. La fouille est là, mécanique à la limite de la sévérité. Ceux de la Dgsn ont les yeux enflés. D'autres semblent au mieux de leur forme, condition physique oblige. Allah bénisse: de véritables armoires à glace! Belkacem de la sécurité de la bâtisse à l'oreille de l'autre Belkacem Zeghmati, le procureur général. Maître M'hamed Yahia-Messaoud arrive en trombe pour le guichet unique et accessoirement faire la bise aux anciens confrères, Maître Mohand Tayeb Belarif, un des fougueux conseils de Chani. Maître Akila Drif Teldja pointe le bout du nez. Elle vient pour retirer un arrêt signé par les sages Lemnouar, Bengharifa, Ahmed Oussaïd. Elle déclare vouloir assister à une partie du procès si le sien est renvoyé pour plus tard. Elle se dit même ravie que Soumia Abdelssadok, la présidente du Conseil d'Etat, ait autant de fans prêts à la féliciter à la première occase allant vers l'amélioration du Conseil d'Etat, un outil tranchant de la magistrature, décidément. Maître Zahia Aït Ameur arrive avec un cartable rempli de dossiers dont celui du jour, de la session présente. Elle est partie prenante aux côtés de quatre autres confrères pour Chani. Pour ne pas changer, Maître Saïd Mellal attend son ami confrère et frère Maître Brahimi, l'avocat de Bouchama trempé dans de l'...acide de l'inculpation. Un Bouchama qui en a vu de toutes les couleurs, allant de l'incarcération à la liberté provisoire obtenu grâce à la lutte tenace et quotidienne de sa «généreuse» moitié, elle qui croit en la justice... Hadj Mokrane, le secrétaire général de la cour d'Alger, commence le carrousel de va-et-vient salle des «pas perdus» où des chaises en métal ont été placées en prévision d'un manque de places à l'intérieur de la salle d'audience, services mobilisés ce dimanche pour que l'horloge fonctionne au tic-tac, pas au «tac au tac». Et Mokrane veut gagner le pari, surtout que le personnel sélectionné répond aux normes de la tenue d'un procès d'une telle ampleur. Arrivent, épaule contre épaule, trois avocats des jeunes qui, après le salut matinal, nous ont prié de dénoncer le silence de certaines parties devant les atteintes à la robe noire «nationale», i-e les avocats locaux par des déclarations inutiles et blessantes... Ce petit rappel à l'ordre des jeunes conseils est né du mini incident balancé depuis le box des accusés par Chani qui avait souligné qu'il n'avait «confiance qu'en Maître William Bourdon!» Cela, c'est du passé, sauf que l'accusé principal n'a pas que le Français pour le défendre. Il a de véritables lions et lionceaux pour tenter de le tirer du bourbier dans lequel il se débat, surtout que l'un d'eux nous a confié sa méfiance devant «l'indigence juridique et morale engagée juste pour justifier l'intolérable oppression de leur mandat dont le seul crime est de ne pas avoir cédé et plié au chantage d'un ponte supposé puissant, voulant absolument l'abattre». «Nous faisons appel à la justice car nous ne tolérerons jamais que celle-ci se fasse au nom de la loi du plus fort!» Tayeb Hellali, le président, a dû s'y préparer, et il n'aura que son courage, outre sa compétence, pour repousser l'écueil. A 8h40, les gendarmes, sous la houlette du commandant Abdenour, rendent les honneurs au tribunal criminel d'Alger pour l'ouverture de la présente session avril-juin 2015. L'appel des parties durera trente minutes. Beaucoup de témoins sont absents. Bonjour les pertes de temps en cherchant comment les avoir dans la salle. Maître Tayeb Belarif ouvrira les hostilités en introduisant une question primaire relative à la demande écrite adressée par le collectif d'avocats de Chani relative à la présence à la barre des enquêteurs du procureur de la République et du juge d'instruction qui ont mené le dossier autoroute Est-Ouest. Après une courte mise en examen, c'est niet! Tayeb Hellali, le juge qui avait le souci où placer les six interprètes, va en avoir un autre. L'indiscipline de l'assistance et les sonneries des portables vont entrer dans un autre souci plus grand: écouter et répondre aux nombreux avocats qui ont d'autres questions préjudicielles. Le procureur général est installé, les doigts de la main droite sur les lèvres, et la gauche remettant de l'ordre dans ses cheveux noirs d'encre de chine en bataille. Aïssa, le greffier, a les lèvres qui bougent. N'est-il pas en train de lire un verset souhaitant un renvoi? Ahmed Hamadouche, le second conseiller de Hellali, suit de près tout ce qui se dit, alors que Sidi Moussa transcrit tout ce qui se dit... Maître Amine Sidhoum entre et engage tout de go un vif échange complice avec son aîné, Maître Tayeb Belarif, alors que le jeune avocat de la partie civile en est à sa troisième question préjudicielle relative à la personne morale en matière de présence «physique» dans un dossier. Un portable sonne. Hellali fait semblant d'être offusqué mais passe outre... avec un pas du tout convaincant: «Alors qu'est-ce que nous venons de dire?» Le silence revient. L'avocat en est aux décrets relatifs à la coopération internationale et les crimes commis à l'étranger par des nationaux. Les histoires des fuites de capitaux et les poursuites qui s'ensuivent sont aussi soulevées au prétoire. Maître William Bourdon n'est pas en salle. Il est au Palais de justice d'Alger en visite de courtoisie au bâtonnier, us et coutumes obligent! A 11h10, l'avocat de Paris arrive et prend place à 30 cm du box des accusés où est assis Medjdoub Chani, dont le regard s'illumine de joie! Le procureur général se lève une énième fois pour balayer du revers de la main les demandes de l'avocat. Maître Tayeb Belarif revient à la barre et va encore sortir une autre demande au tribunal criminel, pas encore constitué - les jurés n'ayant pas encore été tirés au sort. Maître Amine Sidhoum prend la parole pour rappeler l'entorse commise par le parquet qui n'a pas informé l'accusé du contenu de la liste des témoins et ce, avant la tenue des débats. Maître Belarif est toujours à la barre pour lancer des «pierres» du côté du parquet et du côté du non-respect des procédures prévues par la loi: «Le rapport de la police judiciaire contient une ineptie sur l'abus de la détention préventive et des dépassements commis - du 28 septembre 2009 au 2 octobre 2009 - ainsi que l'exagération d'opérations de fouilles ordonnées par diverses parties...» «Est-ce que le parquet était au courant de la détention abusive entre les mains des enquêteurs? Mystère. On ne trouve nulle part trace de la présentation de Chani après 48 heures d'interrogatoire! Nous sommes loin du respect des droits de l'homme! Nous sommes très très loin de l'esprit de justice. Le 16 septembre 2009, Chani arrive à l'aéroport, venant de Paris. Et à sa descente d'avion, il a été cueilli et évaporé des lieux! Le 24 septembre, Mme Chani a dit aux policiers luxembourgeois que son époux a disparu depuis le 16 septembre 2009. comment le 28 septembre 2009, Chani s'était trouvé chez le procureur? Mystère. «Le Code de procédure pénale est l'unique bouclier contre l'injustice», s'est écrié l'avocat de Hussein Dey qui s'est aussi interrogé sur les pratiques policières à l'encontre de nationaux. «C'est dans ce sens que nous réclamons, ici, la présence de la police judiciaire dont les éléments doivent nous expliquer où était Chani du 16 au 28 septembre 2009», a encore ajouté Belarif. L'avocat a regretté que Chani ait été humilié, et même le juge d'instruction du Pôle judiciaire n'a pas levé le petit doigt pour faire cesser les mauvais traitements, la torture et le silence du parquet qui savait quoi qu'on en dise. «L'Etat de droit commence par la protection de ses citoyens quel que soit le crime commis!» Maître Sidhoum se met en colère et regrette qu'en 2015, l'abus n'est pas encore «dissous», et notre pays est la risée du monde pour ce qui est des droits de l'homme. Et l'avocat d'énumérer point par point les travers et accrocs relevés dans ce dossier. Et c'était là la surprise de l'avocat de Abane Ramdane. Il promet d'être aussi bref que possible: «Où est le respect des lois dans ce tas de papiers entassés devant vous?» Le conseil s'emballe et s'oublie en s'exprimant en langue française. Hellali lui demande de respecter la loi en utilisant la langue nationale, et lui aussi s'oublie: «On m'a demandé l'usage de la langue nationale!» Sidhoum: «On vous a dit?» Hellali s'accroche au respect des institutions en s'exprimant. L'avocat ne s'écrie plus, il crie à propos de la détention d'un suspect dans un lieu secret prévue par la loi. «Oui, un lieu secret!» «Nous avions réclamé un certificat médical, on nous a présenté une 'fiche'' médicale!» Et une fiche médicale à en-tête des renseignements généraux. Sidhoum va encore loin, très loin, plus loin que ce qu'un être normalement constitué puisse entendre ou voir. En cinq mots: «Libération immédiate de M.Chani, l'accusé malmené durant 20 jours!» Et l'avocat de prononcer le mot «violences» en arabe. «En langue arabe, le mot est plus doux!» ironise-t-il, alors que Hellali semble attendre la fin de cette question préjudicielle en finissant ainsi: «Je m'adresse à vos consciences, seulement.» Maître William Bourdon demande à être entendu en langue française. Hellali: «Est-ce qu'en France, un avocat peut s'exprimer en arabe?» L'avocat répond non, mais.... «la prochaine fois, j'interviendrai en arabe. C'est promis». L'interprète arrive. Inadmissible! Et Maître Bourdon entre droit sur ce qu'il est venu dire en français et traduit en arabe. «Je suis fier de l'accueil qui m'a été réservé et je salue l'hospitalité des confrères et des Algériens. Mais je suis là pour défendre Chani qui est innocent et à qui les aveux ont été arrachés sous la torture, et c'est inadmissible!», s'écrie-t-il avant de passer carrément aux «menaces» d'éventuelles poursuites par les instances (trois autorités qui avaient la possibilité de rejeter les poursuites lancées contre M. Chani). «Si les conditions d'un jugement équitable ne sont pas réunies, surtout que mon client Chani est Luxembourgeois!» Hellali répond hors micro et désolé de ne pas le reprendre. Maître Bourdon persiste: «Chani a la protection de son pays le Luxembourg, pays fondateur des droits de l'homme et continue de déverser les non-dits autour des violations répétées des procédures à l'encontre de Chani.» Maître Bergueul met son grain de sel et s'en prend à un jeune confrère, Maître Sidhoum: «L'avocat défend mais ne traduit pas.» L'avocat français, en plaidant la cause de son client, a mis dans la gêne l'assistance car en martelant que la «visite à Alger d'un juge mandaté par trois organisations internationales dont le comité contre la torture, sera une première», il a appuyé carrément sa menace par un appel à la raison et à l'objectivité des magistrats algériens, seuls susceptibles d'empêcher l'irréparable... judiciairement parlant! Tayeb Hellali, le juge, visiblement lassé vers les 12h25, décide de lever l'audience pour deux heures! En fin de journée, le procès a été finalement renvoyé à dimanche prochain à la suite du retrait des avocats du principal accusé Chani Medjdoub.