Les diplomates français ont découvert avec étonnement que le problème algérien les a poursuivis jusqu'en Irak. Les efforts exceptionnels déployés par la diplomatie française afin de libérer ses deux ressortissants, les journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot, ont permis au moins à la France de mesurer la complexité du djihad, ses interconnexions, et de se rendre compte que le problème est complexe au point de faire reculer dangereusement la libération des deux otages. En tout cas, en fin de semaine, la libération des deux Français semblait très compromise, si l'on se réfère au communiqué des preneurs d'otages. Dans un long communiqué, l'Armée islamique en Irak dresse une liste de griefs retenus contre la France et qui sont qualifiés de «crimes» commis par la France dans les pays arabes, tout en déclarant avoir dans ses structures une instance spécialisée dans la chari'a capable de trancher dans de telles affaires (des otages , Ndlr), ce qui revient à dire que les preneurs d'otages ne portent aucun crédit aux fetwas des référents musulmans et qu'ils ne se fient qu'à l'exégèse dont se servent les groupes salafistes djihadistes en temps de guerre. Cependant, ce qui avait intrigué particulièrement les diplomates français présents dans la région, c'est la rhétorique du communiqué qui «fait beaucoup référence à l'Afrique, en particulier aux pays du Maghreb et son langage rappelle celui du groupe Takfir wal hijra, un groupe extrémiste qu'on retrouve à l'intérieur du GIA algérien», estimait un diplomate français en poste dans la région, le jour même de la diffusion du communiqué. «Il n'est pas interdit de penser que l'Armée islamique en Irak est composée d'extrémistes radicaux qui considèrent les islamistes ne faisant pas partie de leur groupe comme des corrompus. La plupart des terroristes algériens ont adopté ce courant de pensée. Dans ce cas, la situation des deux Français risque d'être grave», estime ce diplomate. Le groupe dresse une longue liste de «crimes commis par la France en Syrie, au Liban, en Algérie, en Egypte, en Palestine, en Tunisie, en Mauritanie, au Tchad, au Niger, au Mali, au Burkina Faso et en Afghanistan». L'on se souvient de la place privilégiée qu'occupait la France dans «les cibles» du GIA entre 1994 et 1996. Aujourd'hui, le GIA qui a pratiquement disparu en tant que groupe structuré, a été supplanté par le Gspc, mais celui-ci cultive une haine particulière à l'endroit des seuls Etats-Unis, à l'instar d'Al Qaîda. La rhétorique du GIA a néanmoins survécu à l'organisation et l'on peut à satiété suivre les dérives sémantiques et dogmatiques telles qu'on les a suivies dans l'évolution du GIA de Chérif Gousmi (février 1994) à celui de Antar Zouabri (1996-2002) en passant par Djamel Zitouni (septembre 1994-juillet 1996), période durant laquelle la tendance takfirie avait pris le dessus. La désintégration du GIA donne l'occasion à plusieurs éléments de s'orienter vers un djihad transnational, en Bosnie-Herzégovine, en Tchétchénie, en Afghanistan et en Irak, à partir du début de la troisième guerre du Golfe. La récente capture d'un chef de guerre algérien de nationalité britannique en Russie, et qui serait, selon les services spéciaux de Moscou, un proche de Chamil Bassaïev, le leader de la guérilla tchétchène, plaide en faveur de cette implantation des anciens du GIA un peu partout en «terre de guerre». Il est certain que la guerre en Algérie entre 1992 et 2000 a servi pour beaucoup à s'affirmer comme de nouveaux gourous du djihad transnational, à entrer en contact avec des guérillas «débutantes» et de servir de porte-drapeau dans des guerres qui, quelles qu'elles soient, ne sont pas aussi intenses que celles menées en Algérie.