Une victoire pour le droit et Mohamed Cherif Ould El Hocine, en attendant d'autres.... C'est un vieillard fatigué qui a été jugé mardi à Blida pour parti pris en 2000! Il a écopé, après une courte mise en examen, d'une peine d'emprisonnement d'une année ferme, de 20 000 DA d'amende et de la confiscation du passeport permettant à la victime de respirer un bon bol d'air frais. La gravité du délit de «parti pris» retenu contre l'ex-président du Conseil d'Etat, Ahmed Bellil, qui a commis un acte volontaire d'impartialité au profit de l'adversaire du gérant Mohamed Chérif Ould El Hocine de l'Entreprise des panneaux de signalisation et de revêtement (Epsr) a été derrière le «gel» des suites à donner quant au verdict du 16 février 1987 de la chambre administrative de la Cour suprême qui avait, au préalable, désigné un expert dont les conclusions ont conduit la chambre à l'annulation de la décision interministérielle du 21 octobre 1987 en vertu de laquelle son entreprise avait été transformée en société publique et ordonné la restitution des biens mobiliers et immobiliers à son propriétaire légitime, au même titre que toute la Sarl Epsr, en l'occurrence le plaignant qui attendait avec un vif intérêt que chacun des ministères des Finances, de l'Intérieur et de l'Equipement et de la Construction, qui avaient introduit contre ledit arrêt donnant gain de cause au plaignant, une demande en rétractation avec comme cerise sur le gâteau l'intrusion d'une tierce opposition dans l'audience du 8 mai 2000, présidée par Mokdad Koroghli, lequel, ô comble de la coïncidence se trouvait le jour de l'audience à Paris en mission «descendue» du ciel! «Plus faux que le faux» Après la lecture des arrêts signés par Ahmed Bellil, Ould El Hocine s'est vite rendu compte que l'audience était faussée, car Bellil avait remplacé le président de l'audience du 8 mai 2000, la signature de l'expédition de l'arrêt était non conforme à l'original, car c'était Mabrouk Mahdadi qui avait présidé l'audience, et les arrêts rendus durant cette audience ont été délivrés au nom de Koroghli. «Plus faux que le faux», ont estimé de talentueux juristes consultés à ce sujet. Pis encore, en plus du faux, il y a eu mensonge car comme le plaignant Ould El Hocine, le gérant de la Sarl Epsr, s'était rendu compte dans la foulée que Bellil avait remis une expédition de l'arrêt n°18.2566 à son adversaire et lorsque le même plaignant lui avait demandé de lui remettre une expédition du même arrêt, il avait été informé par le... greffier (!!!???) qu'elle n'était pas encore prête et lui avait remis une attestation! Ainsi, cela constitue une partialité au profit de l'adversaire du gérant de la Sarl Epsr! Quant à l'«erreur matérielle» mise en avant, la présidente du Conseil d'Etat de l'époque avait, soi-disant, consulté le dossier en question en sa qualité de rapporteur, et découvert une faute matérielle, vite rectifiée, en vertu d'une ordonnance rendue par M.Bellil car cette «faute» ne touche pas l'essence de l'arrêt et au profit du justiciable. Mais que dira-t-il aujourd'hui à Blida? Le 26 janvier 2004, soit près de trois ans après les «deux délits de faux», Bellil était entendu et avait nié évidemment les faits reprochés, en expliquant dans le jargon propre aux «hauts magistrats» que cette manière de faire était courante et relevait surtout de la question de problèmes de gestion et même qu'il avait personnellement pris le taureau par les cornes après avoir hérité des dossiers de la défunte chambre administrative de la Cour suprême que le Conseil d'Etat avait remplacée, et donc pris en charge «personnellement» la signature de tous les arrêts concernés par le retard rendu par la défunte chambre administrative. Et le jour du procès, il y avait beaucoup d'absents dont Mokdad Koroghli, ce président de l'audience de la Cour suprême - Conseil d'Etat qui se trouvait à... Paris. Naïma Lamraoui, la juge, et Mohamed Riad Belaraoui, le procureur, étaient toute ouïe lors de l'introduction des questions préjudicielles par Maîtres Khaled Bourayou et Bouyoussef, les avocats de Ahmed Bellil, l'inculpé de parti pris, le 8 mai 2000 et poursuivi depuis 2002. Maîtres Mohamed Mentalechta et Ksentini répondirent sur le champ aux deux confrères adversaires. Le bâtonnier a rétorqué rapidement au fait que l'action publique a été déclenchée en une semaine: «C'est très bien. O.K., d'accord, mais le procès n'a eu lieu qu'après... douze ans! Epoustouflant!». Belaraoui se lève et va en droite ligne avec les répliques de la défense de Ould El Hocine que Lamraoui a invité à s'asseoir aux côtés des avocats à 82 ans, cela se comprend! Le procureur détaille sa conviction que toutes les procédures engagées contre l'inculpé étaient saines et les deux demandes à écarter... Maître Bouyoussef s'accroche à l'annulation des procédures purement et simplement. Maître Bourayou revient sur l'absence de plainte de Ould El Hocine mais la présence d'une lettre adressée au ministre de la Justice de l'époque: «A cela il faut ajouter la prescription!» Lamraoui met un terme aux interventions et s'adresse à Ahmed Bellil: «Qu'avez-vous à dire à propos de la plainte de Ould El Hocine?» Et de tourner la tête vers la victime pour l'inviter à s'exprimer. La voix est inaudible, la douleur aussi, surtout que la présidente avait balisé les réponses autour de l'arrêt décrié, et la juge déclame: «Inculpé, donnez-moi un article de loi qui vous permet de remettre à une partie une copie de l'arrêt.» L'ex-président du Conseil d'Etat, inculpé, tente d'échapper aux rudes mâchoires de la question de la magistrate qui a très bien étudié le dossier en oubliant totalement le personnage d'en face. Elle est vraiment arbitre et nous sentons cette volonté d'en finir proprement, surtout en s'accrochant au but visé par l'inculpé qui a délivré une simple attestation à l'adversaire qui, lui, a reçu l'original de l'arrêt! Bellil est resté le brillant magistrat qu'il a été il y a une vingtaine d'années avant de se voir suspendu et poursuivi. C'est pourquoi, ses réponses sont teintées d'amertume. Il aurait aimé ne pas être à la barre, mais à la place de Abdelsadok, l'actuelle charmante présidente d'Etat! Puis, l'inculpé répond à une rude question du bâtonnier, Farouk Ksentini, à propos du remplacement de Koroghli par Mahdadi. Il sort de sa gibecière un arrêt pris à cet effet que conteste l'avocat de Blida qui s'est écrié: «Que l'inculpé nous lise un texte qui lui permette de délivrer un arrêt de cette nature!». Et Ksentini affirme que le remplacement d'un président d'audience par un autre a ses règles. Maître Bouyoussef crie: «Hors sujet!». Lamraoui écarquille ses yeux et rétablit l'ordre aussi vite que la naissance de l'incident. Bellil reprend ses arguments autour de la désignation d'un autre magistrat à la place de l'absent... Une question de Maître Mentalechta pousse Bellil dans ses derniers retranchements. Il revient à Ben Aknoun, à la frappe, à l'envoi de Koroghli en mission à Paris, le jour de l'audience. Belaraoui reproche à Bellil d'avoir outrepassé ses prérogatives en marchant sur les plates-bandes du greffe! «C'est cela l'inculpation!» Là aussi, Bellil souffre dans ses réponses, surtout que les magistrats du jour n'étaient encore qu'étudiants au moment où il présidait le Conseil d'Etat. Et chapeau à Naïma Lamraoui qui maîtrisait la situation dans une salle attentive... «Hors sujet!» Le moment le plus crucial du procès aura lieu lorsque l'inculpé Bellil (qui a été magistrat à l'ère du parti unique où le serment était autre que celui de nos jours) avait cru se protéger et échapper à une condamnation en articulant: «J'ai pris position pour l'Etat, une entreprise publique!». Maître Ksentini lui répondra en ces termes: «Pourquoi avoir pris partie, et même pour l'Etat? Vous étiez juge, magistrat, arbitre et vous vous deviez d'être au-dessus de la mêlée! Votre comportement n'a pas honoré la justice. Est-ce que, en toute honnêteté, un président de tribunal ou de cour reçoit à tour de bras des avocats pour leur remettre un document que seuls les greffiers sont censés délivrer? Non, c'est un acte d'injustice. C'étaient des faux, pas de parti pris.» Mohamed Riad Belaraoui, le procureur, effectue une remarquable intervention - probablement pour le «nif» de la magistrature - et donc, tombera avec un «gourdin» sur le vieillard qui se rappelle bizarrement de quelques détails de ce dossier, comme si, en 2000, le Conseil d'Etat n'avait que cette affaire! Le parquetier s'était calmement attaché à la seule fonction du président du Conseil d'Etat. Il a même salué Lamraoui qui avait posé les très bonnes questions à Bellil, qui n'avait pas voulu répondre. «Inculpé, y a-t-il un texte de loi qui vous permette de faire une mission du greffe? Saviez-vous que l'arrêt corrigeant 'l'erreur matérielle'' était signé un vendredi 'férié''?» Franchement, la présidente a été à la hauteur dans la conduite de ce procès à «risques moraux» pour une jeune juge du siège ayant en face un «monument» de la magistrature sur tous les plans! Maître Mentalechta assure d'emblée qu'il n'existe aucun tribunal qui puisse trancher dans cette grave affaire concernant un ex-magistrat, si on ne revient pas aux faits nés en... 1980, date du début de la spoliation de la Sarl Epsr de Chéraga - qui a commencé par l'enfermement de Ould El Hocine en vue de s'emparer de tous les documents qui seront, plus tard, usités avec des faux en vue de tromper la justice. «Tous les documents de la naissance de l'Epsr en 1975 allaient être utilisés pour s'emparer de l'entreprise, enviée et finalement coupée en deux: Epsr et Enps!» L'avocat a raconté toute l'histoire de cet ancien moudjahid de l'ex-Wilaya IV historique qui ignorait qu'un jour, il allait souffrir le martyre depuis 35 ans! Et le jour où la justice, en 1997, a ordonné la restitution de tous les biens de la Sarl Epsr, les freins rongent la machine de l'exécution de justice... Maître Farouk Ksentini, le deuxième plaideur, va parler de substitution de magistrats et la date de l'arrêt, le 5 mai 2000 étant un... vendredi... sain et saint! Aux lecteurs de juger. En plus, l'inculpé a imité trois signatures sur le même arrêt! «Le faux y est.» Nous réclamons l'incompétence du tribunal, car les faits sont établis. Et le bâtonnier de préciser que Bellil n'est pas ici à titre de personne morale. «Il est là en tant qu'individu inculpé!», a-t-il affirmé, avant de se lancer dans un véritable réquisitoire de l'homme qui a osé piétiner les procédures qui existent pour ce qui est de la délivrance de documents à la place du greffe. «Nous considérons qu'il y a faux, car il y a des précédents qui ont vu des greffiers en criminelle. Il s'agit de l'ex-président du Conseil d'Etat! Bellil s'est comporté en tant que juge, secrétaire et greffier, et on veut que Ould El Hocine n'ait pas de préjudice!» Cet arrêt délivré à l'adversaire pouvait accélérer l'expulsion de Ould El Hocine de son domicile. Bellil a joué en faveur d'une entreprise publique aux dépens d'un «privé»! Elle est belle notre justice. En renfort, Maître Bouyoussef passera un long moment où il regrettera que les questions préjudicielles portant autour de nombreux vices de forme dont la prescription et la lourdeur de la partie plaignante à déposer plainte en saisissant directement le ministre de la Justice de l'époque. «C'est un immense magistrat du pays. Cela va faire douze ans qu'il attend, sous le coup du contrôle judiciaire, que justice se fasse car ce qu'a fait Ahmed Bellil n'a en rien changé le cours de ce dossier qui roule depuis des décennies.» Vainement, car Naïma Lamraoui, la juge du jour, a eu une nette idée de ce qui s'était passé il y aura près de quinze ans, ce jeudi, car les faits remontent au... 8 mai 2000! Reste l'appel, mais ce sera là aussi un remake de ce procès qui a mis du temps à s'ouvrir...