Quand l'imagination littéraire s'autorise l'audace de décrire les réalités humaines, elle révèle une esthétique militante de vérité. «Et si le pétrole disparaissait?... La catastrophe arrive en 2022: la chute d'un énorme astéroïde embrase tout le Sahara. L'Algérie perd son pétrole, son gaz et le moral. Complètement démantelée, bégayant entre des traditions ébranlées et un modernisme de surface, l'économie se dégrade, les gens fuient alors que des pieds-noirs octogénaires envisagent le retour. Les Algériens ne se reconnaissent plus et, à force de s'être regardés avec une lentille culturelle occidentale, le pays s'effondre faute d'un projet de société viable.» Ainsi, nous prévient Abderrahmane Zakad dans sa fiction, autant brillante qu'hallucinante, intitulée Les Amours d'un journaliste (*). L'auteur fait vivre aux populations algériennes impuissantes une surprenante aventure de conscience face à la colère des torchères dressées devenues enfer sur tout le territoire. Où sont passés les pays amis, les pays frères? Tous ceux à qui le peuple a offert notamment sa générosité et son énergie afin de les servir et de les imiter, espérant être «comme eux». Un talent d'homme d'honneur Avant d'aller plus loin, je rappelle que Abderrahmane Zakad est né en 1938 à Sétif. Il y a passé son enfance, puis a vécu son adolescence à Bejaïa et plus tard à Alger. Son oeuvre est importante, car son architecture est bel et bien celle d'un urbaniste (c'est sa formation), d'un artiste des mots et des couleurs (il est poète, il joue de plusieurs instruments de musique), il milite pour la «défense et illustration» de la culture de son pays. Il a écrit des scénarii de documentaires dont certains ont été réalisés en film (La vieille ville de Constantine, L'Histoire d'un quartier d'Alger, La vieille ville de Tlemcen,...). Ses publication dans différents genres littéraires sont nombreuses, par exemple: Trabendo, roman, éd. Marsa, Paris, 2001; Un Chat est un chat, poèmes, éd. Marsa, 2003; Les Jeux de l'Amour et de l'Honneur, roman, éd. Bibliopolis, Alger, 2004; Le Vent dans le musée, nouvelles, éd. Alpha, Alger 2006; Une Enfance dans le M'Zab, nouvelles, éd. Alpha, 2008; Une Femme dans les affaires, éd. El Othmania, Alger, 2009; Le Terroriste, roman, éd. Mille-Feuilles, Alger, 2009, Le Patrimoine, poésie, 2012, et bientôt des contes fantastiques. Comment considérer l'édition à compte d'auteur de l'ouvrage Les Amours d'un Journaliste, autrement qu'un acte de courage de Abderrahmane Zakad, on peut le dire, de passion à contribuer à l'évolution de la littérature algérienne, sans aucun doute, de bonne volonté, faire oeuvre pie pour la jeunesse, très certainement? Il ne manque pas non plus d'esprit artistique et de rigueur de pensée, puisqu'il a eu une brillante et longue carrière professionnelle d'ingénieur-urbaniste qu'il ne finit pas de vivre au quotidien. Bien qu'il soit à la retraite depuis plusieurs années, il reste un homme de terrain actif à l'écoute des projets d'aménagement et de construction en Algérie et tout particulièrement de ce qui touche à la sauvegarde des villes historiques telle qu'El Qaçba d'El Djazâir. Enfin, il n'est pas inintéressant de rappeler qu'il est ancien officier de l'ALN et de l'ANP, ayant déserté de l'armée française pour rejoindre la Révolution, et qu'il a repris la vie civile et ses études à partir de 1964. Mais je pense que sa véritable vocation d'écrivain est de ne pas trahir son talent d'homme d'humeur complexe, de verve et de coeur aussi, et qui, trop raide parfois sous l'emprise de l'injustice flagrante, de l'inégalité sociale, du mensonge et de l'inimitié imbécile, de l'incompréhension hypocrite, de la naïveté bafouée, il n'hésite pas à crier jusqu'à la dépression et à écrire de même. Il est «fou» Zakad! Pourtant, dans un paragraphe de facebook, sur le site de Sétif.info, du 3 juillet 2012, il écrit: «La liberté d'expression, il faut l'utiliser comme si on parle à son père ou à sa mère: c'est-à-dire ne pas insulter et dire ce qui est vrai et utile. Je ne suis ni un moraliste ni un conseil. Si certains trouvent que l'Algérie est foutue, c'est leur droit. Accordez-moi le droit de dire que mon pays est merveilleux, que sa jeunesse est dynamique, ses réussites nombreuses, ses échecs dommageables et regrettables. Nous vivons des moments difficiles et on entend déjà des bruits de bottes à nos frontières. Aux jeunes de faire mieux. J'use de la faveur que permet mon âge (75 ans) pour jouir du bonheur d'être avec vous. D'autant que je suis né à l'hôpital de Sétif en 1938, j'habitais près des Combattants, j'allais à l'école indigène et je garde encore en moi le parfum du tben et du gart dans le lait caillé que me donnait hadj Brahim dans sa ferme. Je garde encore en moi les traces du typhus de 1948.» Et le voilà, dans Les Amours d'un Journaliste, riche de toutes les instances émotionnelles, observateur, curieux, analyste, humoriste, railleur, courtois, irascible, généreux, truculent, incroyablement homme-écrivain éclos merveilleusement dans le livre qu'il nous propose, édité à compte d'auteur (ACA). La splendeur multiple de l'amour Que nous propose-t-il? Quelle imagination créative!... Voyons: on a toujours dit que ce sont les hydrocarbures qui font vivre les Algériens, que le gaz et le pétrole ne sont pas intarissables. On a pensé à l'après-pétrole. Des écrivains, des humoristes, des économistes, des historiens, des politiciens,... y ont réfléchi. Ils réfléchissent toujours. Mais Abderrahmane Zakad, sous le titre, à contrepoint, nous conte «Les Amours d'un journaliste», un Algérien découvrant qu'à une certaine époque l'Algérie vivait sans gaz ni pétrole! Sous ce titre anodin, paisible, tendre et doux, étonnant et détonnant, que nous cache l'auteur? Or, des choses sérieuses de la vie y sont décrites. L'auteur nous parle, avec des mots de chez nous, du bonheur et des souffrances des hommes, des ambitions politiques des uns, des magouilles des autres et aussi de beauté quand il décrit avec audace, poésie et vérité des situations où s'animent formidablement ses personnages (dont on devine plusieurs) et même les animaux et quand il peint des paysages familiers tristes ou superbes de son pays... Il a cette juste parole populaire, légendant subtilement l'illustration de la Une de couverture: «Lorsqu'on interdit à la vérité d'entrer par la porte, elle entrera par la fenêtre.» L'histoire commence par un prologue, aussi court (ou aussi long?) que la durée de l'insouciance des Algériens à consolider leur indépendance dans tous les domaines que ce soit en économie, en politique, en société, en culture, en éducation,... Ici, nous sommes hors du temps. Réda, un ancien du journal Les Echos, et son épouse Lilia, tous les deux en tenue de soirée sont au théâtre Mohamed Touri pour «revoir Les Concierges, la fameuse pièce avec Rouiched et Sid Ali Kouiret, sans cesse reprise depuis les années 1990». Que ce temps est loin! Très loin! Le regard de Réda croise celui de Salima sa collègue d'autrefois aux Echos. Un passé enfoui ressurgit dans la mémoire du journaliste qui se revoit «gambader dans le métro d'Alger pour un reportage... C'était en 2022». Nous sommes alors en l'an de grâce 2022, exactement le samedi 5 juillet 2022, fête de l'indépendance, à la station de Bâb El Oued... Une météorite de 800 m de diamètre tombe sur le Sahara et le désintègre. Tout le pétrole et le gaz brûlent. Pendant un mois, il a fait nuit noire dans tout le pays couvert par les fumées, les poussières et les scories. Peu à peu, l'Algérie perd ses richesses, la rente et le moral. La population des villes a fui vers la campagne. On ne sait plus cultiver la terre, et les pratiques ancestrales ont été oubliées. La faim sévit, la pauvreté s'affiche et s'enfle, et devant la misère les spéculateurs pullulent et s'ingénient. Certains s'enrichissent dans l'agriculture après avoir fait revenir les colons. Le caïdat se réinstalle et les marabouts réapparaissent, les élites sont ignorées, la jeunesse est livrée à elle-même. Sans pétrole et sans gaz, l'Algérie se retrouve dans une situation catastrophique qui surprend et désarme les responsables. Le pays s'est dramatiquement appauvri; il est exsangue. Les Algériens souffrent d'un malheur dont ils finiront bien par se dire, sans langue de bois, les sources maléfiques et par se demander quelles en sont les véritables causes. Réda, le journaliste, fouille dans les archives et sort les affaires scabreuses qui ont miné le pays. Mais dans le malheur et la décadence, éclot un amour entre Réda et Lilia, une jeune avocate qui mène une enquête périlleuse pour comprendre le drame poignant d'une Algérie qui n'a pu complètement s'extirper du marasme politique, économique et culturel. L'auteur met l'espoir algérien dans la jeunesse, dans la splendeur multiple de l'amour de ce couple exemplaire qui aime aussi son travail de journaliste et sa seule Patrie l'Algérie... L'Algérie se relèvera-t-elle? La réponse est dans la hardiesse de ce livre Les Amours d'un Journaliste de Abderrahmane Zakad. Voire donc. (*) Les Amours d'un journaliste de Abderrahmane Zakad, Edition ACA (À Compte d'Auteur°, Alger, 2012, 342 pages.