Une bataille discrète a eu lieu ces derniers mois aux Etats-Unis, entre la Maison-Blanche et le Congrès avec en filigrane la reconnaissance de Jérusalem en tant que capitale d'Israël. Plusieurs tentatives ont eu lieu ces dernières années - sous la pression du Congrès, du lobby israélien et d'Israël - pour franchir le Rubicon. Mais Washington pouvait-il se permettre d'engager les Etats-Unis dans un déni du droit international et défier frontalement l'ONU? Ce qui amena les présidents US - y compris les plus fanatiquement pro-Israël, à l'image de George W. Bush - à la retenue et à tempérer les ardeurs des uns et des autres. Si le Congrès a signé des lois de transfert de l'ambassade US à Jérusalem, le veto présidentiel y mettait le holà, les Etats-Unis ayant plus à perdre qu'à y gagner. Et vint l'opportunité de passer outre le veto de la Maison-Blanche que le Congrès a saisi au vol: des citoyens US dont le fils est né à Jérusalem ont exigé que soit mis sur le passeport de l'enfant le nom du pays: Israël. C'est ainsi, qu'une loi fédérale, signée en 2002 par l'ancien président George W. Bush, autorisait un citoyen états-unien né à Jérusalem de porter la mention «Israël» sur son passeport. Cependant, tout pro-israélien qu'il était, Bush prit la précaution d'assortir sa signature d'une déclaration prohibant formellement le passage imposé par le Congrès, qui suggérait que Jérusalem était la «capitale» de l'Etat hébreu, comme une «ingérence inacceptable dans le pouvoir constitutionnel du président à conduire la politique étrangère du pays». Ingérence inadmissible donc du Congrès dans les prérogatives de l'Exécutif que la Maison-Blanche n'a pas voulu laisser passer en portant l'affaire devant la Cour suprême des Etats-Unis. Celle-ci, après huit mois de délibération, s'est prononcée lundi (le 7 juin dernier) sur ce cas rétablissant l'Exécutif dans ses droits. Par six voix pour et une contre (celle du président de la Cour) sur neuf - notons que trois juges juifs ont voté pour - la Cour suprême a estimé que le président des Etats-Unis a le «pouvoir exclusif de reconnaître une souveraineté étrangère» et c'est à lui qu'il revient de décider «du statut de Jérusalem» sur un passeport. La décision de la Haute Cour, présentée par le juge Anthony Kennedy précise: «Cette disposition force le président, via son secrétaire d'Etat, à identifier, à leur demande, des citoyens nés à Jérusalem comme étant nés en Israël alors que, sur le plan de la politique étrangère des Etats-Unis, ni Israël ni aucun autre pays n'est reconnu comme ayant la souveraineté sur Jérusalem». La Haute Cour US n'a ainsi fait que se conformer au droit international et singulièrement au statut de Jérusalem tel qu'édicté par le Conseil de sécurité de l'ONU du 29 novembre 1947 dans la résolution 181 (II) de partage de la Palestine historique. L'ONU projetait la démilitarisation de Jérusalem en constituant une entité distincte sous l'égide du Conseil de tutelle des Nations unies, qui devait élaborer un statut pour la Ville sainte et désigner un gouverneur. La guerre de 1948 a fait avorter ce projet, mais n'en a pas changé le fond: Israël n'a aucun droit sur Jérusalem - partagée en deux secteurs Est (sous juridiction jordanienne) et Ouest (occupé par Israël). Aussi, la résolution 194 (III) du 11 décembre 1949 réitérait-elle le principe de l'internationalisation et des droits existants sur la Ville sainte. Après la guerre des Six-Jours (juin 1967) et l'occupation de Jérusalem-Est par Israël, le Conseil de sécurité de l'ONU décréta la résolution 252 (1968) qui réaffirme absolument que «toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël, y compris l'expropriation de terres et de biens immobiliers, qui tendent à modifier le statut juridique de Jérusalem sont non valides et ne peuvent modifier ce statut». Et le Conseil demande expressément à Israël de «rapporter toutes les mesures de cette nature déjà prises et de s'abstenir immédiatement de toutes nouvelles actions qui tendent à modifier le statut de Jérusalem». Sans les citer toutes, les résolutions de l'ONU ont réaffirmé au long des années le caractère spécial de Jérusalem sur laquelle Israël n'a aucun droit nonobstant ses tentatives de changer son statut. En outre, le Conseil de sécurité a engagé Israël à «s'acquitter scrupuleusement des obligations juridiques et des responsabilités lui incombant en vertu de la quatrième Convention de Genève (de 1949, relative à la protection de la population civile en temps de guerre) qui est applicable à tous les territoires occupés par Israël depuis 1967» y compris donc Jérusalem. Aussi, la décision de la Cour suprême US clarifie-t-elle la donne pour ce qui est d'El-Qods, remettant les choses à l'endroit. Un échec cuisant pour le Congrès et... Israël.