La guerre des mots est engagée entre la Russie et l'Occident, ce dernier ayant accentué la guerre économique qu'il mène contre Moscou depuis 2014. De fait, la seconde Guerre froide semble bel et bien se mettre en place au regard des chantages des uns, les provocations des autres. Les Euro-Etats-uniens et les Russes - quoique encore à fleurets mouchetés - ne s'en donnent pas moins des coups que chacun souhaite décisifs. La géopolitique moderne, instrumente une politique à géométrie variable où les mêmes causes n'ont pas nécessairement les mêmes effets. Ainsi, ce qui paraît tout à fait justifié, pour les uns, ne l'est pas du tout pour les autres: de la sorte, les décisions des Occidentaux sont jugées appropriées, celles de la Russie estimées portant atteinte à la sécurité du monde. Dès lors, les choses ont-elles bougé la semaine dernière quand le Pentagone annonça son projet d'installer en Europe de l'Est, aux portes de Moscou, des armes lourdes et un contingent de 5000 hommes? Les dirigeants européens se sont immédiatement félicités de cette initiative, selon eux opportune. Comment, cependant, interpréter ce projet d'établissement de chars de combat aux frontières d'un pays qui n'est pas exactement un allié? Cela d'autant plus que les bases états-uniennes et de l'Otan établies dans les pays baltes menacent directement la sécurité de la Russie. L'Occident s'attend-il à ce que Moscou saute de joie de voir des armées de pays qui ne lui veulent pas que du bien s'installer à ses lisières? C'est ce que du moins, il semble avoir supputé, ne s'attendant pas à la réaction forte de Moscou qui annonça, par la voix de Vladimir Poutine, l'acquisition de 40 missiles à tête nucléaire. Tout en semant l'émoi en Occident, cette annonce a induit une levée de boucliers de politiques et experts occidentaux qui fulminent contre ce qu'ils qualifient «d'intimidation» et de «chantage» de la part de la Russie. Ainsi, un expert à l'European Council on Foreign Relations en Grande-Bretagne, a estimé que «chacun interprète de travers les intentions de l'autre, spécialement Moscou. Le danger est réel que la Russie réponde à une attaque qui n'existe que dans sa tête». Tout est donc, selon cet expert, dans l'interprétation d'actes politique et militaire venant des uns et des autres. Que l'Occident installe une armada aux frontières d'un pays stratégiquement concurrent est jugé normal et acceptable et ne saurait se traduire que comme un renforcement de la sécurité du monde. Que le camp d'en face réalise la réciprocité et le voilà accusé des intentions les plus belliqueuses. De fait, le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg, le plus résolu à isoler la Russie par des bases militaires occidentales et milite donc pour un raffermissement tactique aux frontières de la Russie, a considéré «injustifiée et dangereuse» la prochaine acquisition par Moscou de 40 missiles. De son côté, le chef de la diplomatie états-uniennes, John Kerry, dont le pays projette d'installer des armes de guerre aux frontières de la Russie - dont le quotidien le New York Times avait fait état, samedi dernier - ajoutait, assurant «personne ne veut un retour à la Guerre froide» Ah? Bah! Berlin qui a accueilli positivement le projet états-unien de stockage d'armes lourdes en Europe de l'Est, mettait en revanche en garde contre «l'escalade des mots puis des actes». On ne le lui fait pas dire. Berlin tout en trouvant ordinaire l'escalade militaire des Etats-Unis, s'insurge que la Russie se prémunisse contre un danger qui se positionne à 100 km de Moscou. D'autant plus que l'Occident pousse des cris d'orfraie à la perspective de voir la Russie installer des missiles de courte portée Iskander à Kaliningrad, clame-t-on «aux portes de l'Union européenne». Etablir des bases militaires occidentales aux portes de Moscou, est donc légitime, que la Russie fasse de même pour équilibrer la donne militaire et c'est le branle-bas de combat. En vérité, la réalité est toute autre. Les Etats-Unis consacrent un budget colossal à la défense, disposent de la plus puissante armée conventionnelle dans le monde, ont d'autre part renouvelé et modernisé leur armement stratégique, alors que l'arsenal russe outre vétuste est en fait obsolète, que contrebalance à peine une armée russe très affaiblie depuis l'effondrement de l'Union soviétique. Aussi, la Russie compense-t-elle cette infériorité de son armée par la modernisation de son arsenal nucléaire pour rétablir l'équilibre avec les Etats-Unis. Ces derniers cherchent-ils ainsi à prendre l'ascendant sur leur seul vrai concurrent, tentant de l'affaiblir davantage en orientant ses initiatives dans le sens de la domination de cet adversaire? Le projet belliciste états-unien entre dans ce contexte. Un jeu dangereux pour la sécurité de la planète.