Les estivants sont livrés à eux-mêmes Les estivants se morfondent sans solutions dans un quotidien stressant, les petits métiers de l'été viendront allonger les listes des chômeurs de leurs régions et les autorités semblent vainement chercher des solutions dans un brouillard de textes et de lois. Accueillie d'abord comme une bonne nouvelle par les estivants, l'annonce de la fin des contrats de concessions de plage, en avril dernier semble avoir eu des réactions mitigées sur le terrain. Cette dernière stipule une interdiction ferme de location de matériel et d'équipements de plage et met fin aux parkings improvisés. Désormais, ces services seront à la charge de la wilaya qui mettra gratuitement à la disposition des estivants le confort nécessaire pour leur journée de plage et ce dans le but d'éradiquer l'anarchie qui régnait sur nos plages et le monopole imposé par les plagistes. Ces derniers investissaient les plages de façon massive et obligeaient les estivants à payer le prix fort pour s'installer sur une plage généralement bondée de monde où les parasols et les chaises se dressaient sans rupture, ne laissant aucune chance aux estivants de circuler normalement «je trouve qu'il était temps d'arrêter cette mascarade, je suis pour cette nouvelle mesure, qui j'espère libérera les estivants du racket qu'ils subissent chaque été. On ne pouvait plus s'installer sur la plage sans avoir à payer quelque chose et ce, en plus du parking, où il fallait payer cher la place, et arriver tôt pour en trouver une» nous dira Aïssa, un habitué de la plage du Chenoua à Tipasa. 100 chaises et parasols par jour Pour d'autres citoyens, les services qu'offraient les plagistes étaient peut-être chers, mais avait le mérite de s'accompagner d'un entretien des lieux et d'une surveillance supplémentaire «c'est vrai que c'est cher, mais on avait un minimum de propreté autour de nous et on pouvait à tout moment demander aux plagistes quelques petites prestations. On est arrivé ce matin sur cette plage où d'habitude, dès notre arrivée, on est rapidement installés et l'endroit est passé régulièrement au râteau. Aujourd'hui, on a mis plus d'une heure pour pouvoir trouver une place propre, mais autour de nous le spectacle est désolant. On est entouré de détritus et de sachets en plastique, on préfère de loin payer 1000 DA et profiter amplement de la journée, même s'il y a beaucoup de monde», nous révèle Mohamed à partir d'Oran, qui finalement avait pris la décision d'écourter cette journée de plage. Sur un autre plan, les plagistes se retrouvent, recrutés par les services de la wilaya pour assurer la distribution d'un quota de 100 chaises et parasols par journée, alors que pour la plupart c'est un investissement réalisé durement durant des années, qui part en fumée et ce, en plus du mépris qu'ils subissent de certains estivants, avides de faire valoir leurs nouveaux droits à la gratuité des plages et des parkings «je me retrouve presqu'au chômage et, en plus j'ai des dettes, je n'ai même pas encore payé le matériel de plage que j'ai acheté. Je ne peux plus travailler et assurer les besoins de ma famille. On ne nous a pas avertis suffisamment à temps pour nous permettre de prendre nos dispositions. Ils auraient dû nous annoncer cette nouvelle mesure à la fin de la saison estivale précédente au minimum. Je suis complètement perdu et je suis obligé d'accepter d'être embauché par la wilaya», nous confie Brahim, l'un des anciens plagistes de la grande plage de Zéralda. En plus d'un mécontentement très ressenti auprès des plagistes, d'une réaction partagée des estivants et d'un constat catastrophique de l'état des plages, cette nouvelle mesure a donné lieu à des subterfuges utilisés autant par les plagistes que par les estivants. Pour les premiers qui ont perdu leur gagne-pain et se retrouvent du jour au lendemain sans alternatives, le but est de rentabiliser la journée coûte que coûte. Pour ce faire, l'astuce est vite trouvée, ils vont agir sur un facteur infaillible et déterminant pour les estivants, à savoir le temps. Devant un afflux important et soutenu des estivants durant la journée, les 100 chaises et parasols autorisés sont vite consommés par les premiers arrivés. Pour les autres, il faudrait attendre, faire une queue interminable pour avoir une chaise ou un parasol, sans aucune assurance de réussite. Et c'est là où les plagistes entrent en action et proposent aux estivants de leur éviter cette corvée, contre la modique somme de 500 DA. Ces derniers, non seulement gagnent au change, puisqu'ils ne payent que la moitié par rapport à ce qui était exigé avant, et n'auront pas à attendre parfois près de deux heures pour cela. Pour les estivants qui veulent éviter tout ce manège, et profiter tranquillement d'un moment en bord de mer, l'alternative est simple. Ils ont opté pour une baignade matinale, ils arrivent à partir de 7h30 du matin, pour repartir en fin de matinée «quand on arrive, la plage est déserte et propre, l'eau est claire et les enfants ont tout l'espace pour jouer et nager tranquillement. C'est vrai que cela ne nous fait que quelques heures de plage, mais on les apprécie intensément. L'après-midi on se repose et les enfants sont très contents» nous révèle Mouloud. Les dérives d'une mesure Par ailleurs, il est à rappeler que les prévisions émises par les différentes wilayas, en matière de taux de fréquentation des plages pour cette année, fait état d'un nombre colossal de départs en vacances. Pour l'est du pays c'est plus de 15 millions d'arrivées. Le littoral de l'Ouest en attend autant, quant aux régions du Centre, elles promettent de faire plus que le plein, à l'image des wilayas de Tipasa et de Boumerdès, qui accueillent chaque année plus de 3 millions d'estivants. Ceci étant, pour cette année, une importante part de la clientèle destinée au tourisme à l'étranger a été récupérée, selon les opérateurs, et ce après la chute de l'option de la destination Tunisie. En somme, cette mesure qui oeuvre certes pour le bien du citoyen et de l'estivant en particulier, intervient dans un contexte flou où le tourisme domestique n'est qu'à ces balbutiements. Et pour cause, un large plan de réalisation d'infrastructures hôtelières et touristique a été mis en place, et prendra plusieurs années pour s'achever. D'un autre côté, plusieurs établissements de formation hôtelières verront le jour et tenteront d'apporter un savoir-faire et un professionnalisme dans les prestations. En réalité tout reste à faire dans ce domaine en Algérie. Ce qui explique en partie les déboires et les dérives qui découlent de cette nouvelle mesure, qui ne trouve pas pour l'instant un écho clair, ni de la part des estivants ni de celle des plagistes. Il est indéniable que l'aspect soudain de son application y est pour beaucoup, comme sus-cité, une mesure d'une telle ampleur, aurait nécessité selon certains observateurs, un préavis plus important et une plus large préparation. Ils estiment que les autorités devaient au moins penser à un substitut plus efficace qu'un quota d'une centaine de chaises, avant de prendre une telle décision. Pour eux, une mesure qui s'applique sur toute la côte algérienne mériterait une réflexion, des études et un déploiement d'effectifs nettement plus importants, et plus qualifiés. D'un autre côté, nos interlocuteurs, dénoncent un manque flagrant de civisme, et une pauvreté cruelle en matière de culture du tourisme. Et ils parlent avec amertume du potentiel naturel de notre pays. Ils évoquent sans tarir d'exemples, des centaines d'endroits féeriques uniques au monde, mais malheureusement non exploités et se désolent que nous n'ayons pas la chance d'en profiter. Au demeurant, nos plages continuent d'être le théâtre du chaos, de la désolation et de l'anarchie. Les estivants se morfondent sans solution dans un quotidien stressant, les petits métiers d'été viendront allonger les listes des chômeurs de leurs régions et les autorités semblent vainement chercher des solutions dans un brouillard de textes et de lois qui, finalement, sortent complètement de leur mission quand elles arrivent à être appliquées.